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La cokerie de la Providence (1/11)

Dédié à Antonin Lainé, ça crache et ça fume.

Ce reportage photographique concerne la cokerie de Charleroi. Elle est dans un état de ruine tel que les processus de cokéfaction en deviennent quasiment illisibles. Malheureusement je n'ai eu à aucun moment précédent la possibilité de m'y rendre. C'est de la sorte que je puis dire sans ambages : il est trop tard. Tout du moins ce documentaire me permet tout de même de présenter quelques traces historiques, ainsi que de vagues notions théoriques de cokéfaction, notamment dans la section des sous-produits qui a moins souffert des affres du temps. Pour tout le reste, c'est à dire l'immense majorité de l'usine, les vandales ont tout pris, ce cumulé au fait que d'énormes parties ont subi des démolitions partielles. Soyons clairs à ce sujet, la cokerie est une ruine. Ceci est renforcé par l'aspect que ces photos ne datent pas d'hier et que les dégradations sont inexorables, quand bien même elles ne seraient que climatiques - ce qui largement n'est pas unique. Voyez les fours, même s'ils n'ont plus leurs portes, sur le pont c'est une jungle de bouleaux impénétrable. Lorsqu'il est trop tard on ne peut retourner en arrière.

L'historique de la cokerie est un livre à part entière, tant le site a cumulé, tout comme Liège, des strates multiples d'une archéologie industrielle majeure. L'histoire de Charleroi commence à la révolution industrielle, ce qui en ce secteur devrait posséder les majuscules, tant ce furent des lettres de noblesse. La ville de Marchienne, petit hameau de 900 habitants, connaît un développement de population fulgurant, l'amenant en quelques décennies à 20.000 habitants au début du 20ème siècle. Ville d'extrêmes en son genre, elle connaît aujourd'hui une déchéance terrifiante, laissant des stigmates bien difficiles à corriger ; même si peu à peu (à pas de géants mais la tâche est lourde), le paysage urbain s'améliore.

Avant tout, il est à témoigner que cette usine qui nous intéresse se situe dans l'endroit le plus parfait qui puisse exister : une abondance de mines de charbon à proximité immédiate (voyez les nombreux terrils environnant la cokerie), du minerai de fer en abondance un peu plus loin, avec un gisement mirifique en Lorraine. Les terrains sont plats, à proximité du canal du Centre et de la Sambre. Cette situation géographique a contribué à constituer l'aisance.

La fondation de la Providence date du 21 février 1838. Cela correspond à un acte notarié qui change le statut d'une entreprise déjà existante depuis 6 ans, en vue d'obtenir par un montage financier de solides appuis bancaires. 1832 le canal de Charleroi venait d'être mis sous eau, nous voilà 6 ans après, devant deux petits bâtiments exigus, deux trains de laminoirs commandés par une machine à vapeur. Très rapidement, l'usine va connaître un essor gigantesque, devenant un site comportant un haut-fourneau, des fours à puddler, laminoirs, aciéries. Au fil des ans, la Providence se transforme en Aciéries et Minières de la Sambre et Thy-Le-Château de Marcinelle. Cependant, un évènement grave va mettre l'usine à sac : la première guerre mondiale. L'occupant allemand démantèle largement l'outil de production, à tel point que 4 ans seront nécessaires afin de remettre à neuf les installations. Par chance l'usine se relève de ses cendres, au gré de profondes mutations, jusqu'à l'émergence du second écueil, la seconde guerre mondiale, malmenant là aussi l'outil.

A la suite de ces profondes destructions, l'usine se métamorphose afin de suivre un nouveau rythme imposé par la création de la CECA en 1952. C'est exactement à cette période que naît l'usine qui nous intéresse à propos, la cokerie de la Providence, qui au fil des années changera de nom de nombreuses fois, mais reste bel et bien l'outil créé à cette date sous ce nom, globalement inchangé. Elle est alors menée par le consortium industriel des forges de la Providence. A deux batteries, en 1981 le site est augmenté d'une batterie supplémentaire et en 1990, le site reçoit une modernisation globale, notamment en l'objet des enfourneuse et défourneuse. Pas une année ne passe sans que survienne une réorganisation, ce qui s'avère être une constante dans l'univers de la sidérurgie. La filière fonte faisait partie d'Usinor sous la dénomination Cockerill-Sambre, puis en 2001, Usinor allié à Duferco créent le site de Carsid, Carolorégienne de Sidérurgie. Cette fusion entraîne la fermeture du haut-fourneau de Clabecq, qui se voit sacrifié car devenant coûteux et excédentaire ; Carsid reprend 150 des 400 ouvriers de Clabecq. En 2006, Duferco et le groupe russe Novolipetsk steel (NLMK) s'allient.

L'usine ferme le 9 janvier 2008, date à laquelle le dernier défournement est effectué. Sous la pression politique et la nécessité de moderniser une nouvelle fois l'outil de production, Duferco se voit contrainte de fermer l'usine, laquelle se trouve être trop polluante et difficile à moderniser du fait de l'ancienneté de certaines sections. Ceux de cette époque se rappelleront parfaitement les énormes panaches noirs occasionnés au-dessus des fours, lors de l'enfournement, du fait des aménées de coke chinois à bas coût. Il en ressort que, manquant de coke en vue d'alimenter le HF4, le gueulard est dès lors alimenté avec du coke russe. Puis comme on le sait, le HF4 finit par s'éteindre lui aussi en 2012.

Pour simple rappel, il s'agit d'une cokerie intégrée : elle fait partie d'un site sidérurgique comportant (donc bien entendu) la cokerie, qui est le point de départ en matière de charbon, la pelletisation qui comporte l'agglomération du minerai de fer (souvent appelée l'agglo), le haut-fourneau qui convertit le minerai en fonte, une aciérie convertissant la fonte en acier par un processus de réduction, une coulée continue à brame, un laminoir à produits longs (spécificité de Charleroi), une tréfilerie, un four électrique, le tout agrémenté des inévitables silos, convoyeurs, gazomètres, etc. Le site est aussi entouré d'entreprises non alliées, à savoir Thy-Marcinelle et la Fafer. La situation est globalement difficile à lire, il faut y prendre du temps.

Le coke est élaboré à partir de houilles nobles ; elles sont carbonisées à plus de mille degrés et à l'abri de l'air, dans des batteries de fours. La combustion dure, selon ce qu'on souhaite obtenir, de 15 à 19 heures. Ces processus produisent de nombreux sous-produits (d'où le nom d'une large part de l'usine, les sous-produits) : ammoniac, goudrons, benzols, etc.

La géographie de la cokerie de la Providence est celle d'un site où globalement, l'on a manqué de place au fil des années. Les très nombreuses transformations ont rendu ce site globalement difficilement lisible, du fait de son caractère d'intégration. Des bâtiments liés au HF4 se trouvent intégrés à la cokerie, tandis que d'autres éléments sont à l'écart (principalement le gazomètre, qui est presque relégué à l'installation (démolie) de la rue Blasse. Ces aspects ont bien entendu contribué à rendre la modernisation difficile. Décrivons ceci.

Les quatre batteries de 122 fours sont situées au centre du site. Il s'agit de batteries de type Coppee. L'alimentation en charbon provient de l'extrême nord du site, donc le long du canal Charleroi-Bruxelles. Un énorme convoyeur démarre des silos à charbon, jusqu'à la tour à charbon. Le convoyeur ayant brûlé, ce dernier est dans un état pitoyable. Les enfourneuse, défourneuse-répaleuse, guide-coke et coke-car ont été ferraillés. De tout cela plus rien n'existe.

Le charbon, et c'est là que c'est ubuesque, traverse la section des sous-produits. Le convoyeur passe au-dessus. Des fours, les gaz sont refroidis et lavés par le biais de l'eau ammoniacale, située à l'ouest du site, entre les silos et les fours. A l'est se trouvent le dégoudronnage électrostatique, le débenzolage, la sulfatation.

Tout à fait à l'est du site se trouve le château d'eau, qui alimentait la tour d'extinction ; nous sommes donc dans une configuration classique de voie humide. Cette dernière a été démolie. Quant à l'ouest du site, il possède la ruine du laboratoire. Au nord-ouest très à l'écart se trouvait le gazomètre, chargé du gaz de fours. Ce gazomètre a été démoli.

L'extinction par voie humide pose des soucis environnementaux, car la vapeur est contaminée en acide sulfurique.

Non loin du château d'eau se trouve la tour du charbon micronisé. Là ce processus n'a rien à voir avec la cokerie, puisque c'est même une technique qui la supplante. Dans un but d'économie financière et de pollution, le HF4 (sous réserve de modernisation, effectuée en 2008), était alimenté de charbon micronisé en fluide d'azote, ce afin de remplacer le coke. Cette tour, entièrement en tôles, est encore bien visible. A côté se trouve un hall de pièces, n'ayant là aussi rien à voir avec la cokerie. On y trouve des pièces HF, à savoir notamment un superbe gueulard et des molettes.

Les gaz de cokerie étant lavés, ils se révèlent combustibles. Dès lors, ils sont utilisés dans une centrale vapeur de production d'électricité et de chaleur. Ce vaste bâtiment est situé à l'extrême sud du site, le long de la route de Mons. Cette salle, en principe nommée « énergie » a parfois été baptisée la salle bleue par les ouvriers. Elle comporte les chaudières, turbines et tout grand classique d'une centrale électrique de type thermique.

Près de la centrale se trouve aussi la salle des pompes, prenant l'eau dans la Sambre et alimentant le château d'eau, en vue de l'extinction. Les charbons et cokes étaient respectivement stockés à l'ouest et à l'est, acheminés via de nombreux convoyeurs et tours d'angle, dont il reste quelques ruines dans un état bien attristant.

Avant de démarrer la visite, je propose un plan de l'installation. Au vu que des données techniques vont être abordées, malgré la détérioration abondante des outils de travail et du coup les difficultés d'identification, ce plan me semble indispensable, au vu de plus que je n'en ai trouvé aucun sur place (dès lors j'en ai constitué un). Ce plan est disponible à la lecture en plus haute résolution en cliquant sur l'image, qui est un lien.


Il est toujours identique en quelque sorte, mon processus. A Charleroi, je me donne rendez-vous très tôt le matin. Après 45 minutes de route, il est 6h25 lorsque ce jour j'entame les premiers pas dans la ville. Cette grosse route passante est encore totalement déserte, le soleil levant lèche les cheminées de l'agglomération.


Et que dire si ce n'est qu'en ce jour d'hiver encore, je m'en voudrai d'avoir oublié le bonnet, de me faire balayer par un vent glacial - piquant - chargé des poussières et des scories.


Ce sera là notre seul parcours ensoleillé, au sein d'une terrible ambiance où le bout des doigts ressent l'intense congélation. Les autres photos sont plus anciennes.


Notre promenade débute dans une de ces aubes quelconque en automne.


Au soleil levant, le spectacle approche très vite la désolation.


Outre l'usure de l'outil de travail...


...la nature reprend invariablement ses droits.


Les bâtiments offrent un spectacle d'une grande morosité...


...au milieu de débuts de démantèlements, alliés de morbides vandalismes.

Les galeries


Malgré des recherches poussées, je n'ai trouvé aucun process portant le nom de 'Didier'.
Ce serait dès lors une dénomination locale.


Nous allons commencer l'incursion dans la cokerie en visitant les galeries.


Ce sont les injecteurs de gaz, se trouvant sous les piédroits des fours.


Ce volant de manoeuvre permet d'actionner l'inversion Coppee.


Il se trouve dans ces sombres tunnels un injecteur par four.


L'inversion Coppee correspond à un système mis en place dans les fours. Les carneaux fonctionnent par paires. Chaque paire admet un mélange de gaz et d'air, produisant un mélange de fumées chaudes. Ces fumées sortent à des carneaux à 1300 degrés environ. Afin de minimiser les déperditions énergétiques et maximiser le rendement de combustion, les fumées sont utilisées afin de chauffer un régénérateur composé de briques réfractaires. Toutes les demi-heures, les flux dans les carneaux de combustion et ceux des fumées descendantes sont inversés. Ce processus permet de chauffer les gaz destinés à la combustion à une température de 1000 degrés environ. De la sorte, il existe une sirène à proximité des carneaux, laquelle commande toutes les demi-heures un signal de demande d'inversion. Ces flux dans les carneaux sont menés avec des chaînes, que l'on appelle les chaînes d'inversion, et commandées à partir d'un superbe gouvernail de navire. L'inversion, en résumé, correspond donc à des alternance flamme fumée, sur un rythme d'une heure sur les deux processus.


Les galeries sont souvent de jolis paysages dans les cokeries.


C'est aussi un lieu qui souffre beaucoup du fait des productions d'acide sulfurique.


En temps de fonctionnement ce type de lieu n'est pas visitable avec aisance.


En effet l'atmosphère est explosive et potentiellement remplie de CO.


Au vu de l'âge des batteries, certains injecteurs sont différents.


En tout cas la corrosion n'est pas triste.


Les pots de purge des fours en galerie se trouvent en fin de galerie. On les appelle aussi les bains de pieds, bon donc ça porte bien son nom ! C'est un lieu où l'on récupère la condensation ayant lieu dans les canalisations. Au vu de l'importance de ce processus, on calorifuge l'ensemble, afin que cela fonctionne même par temps de gel. La panne d'un pot de purge est signalée par une alarme.


Abstraction grise.

La tour à charbon


Placée au-dessus des fours, elle est un gros silo.


Elle reçoit le charbon criblé des silos à charbon. Elle sert de réservoir à charbon afin d'alimenter l'enfourneuse
et dès lors, les fours eux-mêmes. Si les silos concentrent le gros du volume, la tour elle permet la constitution des mélanges et s'avère être un réservoir tampon, afin que le mélange ne vienne jamais à manquer.


Celle-ci est particulièrement glauque, bien que ce soit... souvent le cas !


L'alimentation en charbon doit être continue, l'enfourneuse ne peut pas trainer à ne rien faire, cela amènerait une puissante détérioration des fours qui doivent rester pleins, d'où le fait que la cribla en mélange soit mise en silos dans cette grosse tour en béton.

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