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Le tunnel de Godarville


Ce souterrain comporte des concrétions rares. Il est impératif de ne pas les dégrader. Donc, si vous deviez vous y rendre, faites attention où vous marchez, ne mettez pas les pieds dessus, évitez de toucher à la rampe, méfiez-vous que votre sac ne touche pas les murs. Ca évitera que les concrétions ne soient massacrées par votre présence. Attention, ce souterrain serait un lieu d'hivernage pour chauves-souris. N'y entrez pas en hiver (début octobre à fin mars), sinon vous risquez fortement de les déranger (lumière, chaleur, bruit, etc). Le réveil en hiver signifie la mort de cet animal protégé et tellement utile, dont les populations sont en déclin. Merci à madame Sandrine Lamotte, du département Nature et Forêt de la Région Wallonne, pour l'accueil au tunnel et ses explications enrichissantes.

Les photos de 2002 sont disponibles ici. Elles n'apportent pas beaucoup d'informations supplémentaires mais sont disponibles pour mémoire.

Vous pouvez écouter ce tunnel ci-dessous.
https://tchorski.fr/audio/godarville.mp3

Godarville est une section de la commune de Chapelle-Lez-Herlaimont, dans la province de Hainaut. Le tunnel est traditionnellement appelé 'de Godarville', même s'il se situe partiellement sur la commune de Seneffe.

Aux environs de 1570, le projet de relier Charleroi à Bruxelles au moyen d'un canal commence doucement à apparaître dans les esprits, afin de dynamiser le commerce. La réalisation de ce projet était bloquée par un obstacle : le franchissement de la crête de partage entre le bassin de la Meuse et celui de l'Escaut. C'est au 19ème siècle que fut trouvée la solution, le percement d'un tunnel au lieu-dit Bête-Refaite entre Godarville et Seneffe. Ce tunnel est en quelque sorte la genèse de Godarville. Un documentaire est disponible dessus ici.

Le tunnel de Bête-Refaite est le premier tunnel, creusé entre 1827 et 1832, d'une longueur de 1267 mètres, d'une hauteur de 3 mètres et d'une capacité de 70 tonnes. Il se révéla assez rapidement insuffisant et il en fut dès lors percé un second. C'est le tunnel de Godarville dont nous parlons ici. Percé entre 1882 et 1885, il a une longueur de 1050 mètres, une hauteur de 9 mètres, une capacité de 300 tonnes. Aujourd'hui, il est abandonné, remplacé par le canal Bruxelles-Charleroi.
Le tunnel de Godarville fut construit sous l'impulsion de Jean-Baptiste Daudergnies, son inauguration se déroula en 1885. Les embarcations étaient halées par des chevaux, accueillis dans les prés attenants. L'appellation "tunnel de la Bête-Refaite" provient du nom du relais postal qui se trouvait au sommet de la colline. Les chevaux qui arrivaient fourbus au sommet de la colline avaient besoin de se "refaire" (se reposer).

En 1882, le tunnel de Godarville est donc débuté par l'entreprise Daudergnies, héritière directe du savoir-faire de Jean-Baptiste Daudergnies. Ce dernier est né le 11 janvier 1827 à Basècles (section de la commune de Beloil). L'entreprise est appelée d'urgence pour le percement du tunnel de Godarville sur requête du gouvernement. Le Ministère belge des Travaux publics a fait appel au savoir-faire de Daudergnies car le souterrain doit traverser des terrains sablonneux entrecoupés de sources, ce qui rend les terrains ébouleux, tout comme au tunnel de Bête-Refaite. D'une largeur de 8 à 9 mètres, sa réalisation a nécessité l'évacuation de 120.000 m3 de déblais et l'exécution de plus de 50.000 m3 de maçonnerie. Durant les travaux, Ferdinand de Lesseps, instigateur du canal de Corinthe, du canal de Suez et du canal de Panama rencontra Jean-Baptiste Daudergnies. Lesseps estime que son homologue pourrait résoudre de nombreux problèmes rencontrés sur d'autres chantiers. Une rencontre avec Georges Clemenceau aura lieu plus tard, suivie d'une visite du tunnel de Godarville. Daudergnies fut choisi par Clémenceau pour aller achever le chantier du canal de Panama. Le 22 mars 1886, un an après Godarville, il partit donc là-bas. A peine arrivé et malgré les conseils de prudence qui lui furent donnés, il voulut se rendre compte de l'état des travaux en traversant tout l'isthme. Frappé d'insolation, il mourut trois jours après, le 15 avril 1886. ll avait 59 ans.


Jean-Baptiste Daudergnies.

On ne compte en Europe qu'un nombre restreint de tunnels à péniches (actifs ou non) dont je cite à ma connaissance : un ou deux en Italie, quelques-uns en France (Arzviller, La Collancelle, touage de Riqueval, canal de Saint-Quentin, canal Saint-Martin à Paris, canal de Bourgogne à Créancey, tunnel de l'Erdre à Nantes), en Belgique (Bête-Refaite, Bernistap inachevé, souterrain de Moen détruit, Palingbeek détruit). Godarville est le plus grand tunnel à bateaux de Belgique.

Le tunnel présente une voûte ronde. Il est aujourd'hui encore en eau sur deux tiers de sa longueur. La partie du côté Charleroi est ensablée. En effet, le canal d'approche a été comblé par les déblais du creusement du tunnel Charleroi-Bruxelles, ce qui empêche une bonne circulation des eaux. Dans le tunnel, si les premiers mètres sont solides, la suite est boueuse et graduellement mouvante. La situation intermédiaire entre l'eau et la terre ferme est un sable mouvant, ne vous y aventurez en aucun cas.

Le canal est bordé d'une banquette en pavés. Cette banquette est protégée par une barrière en colonnettes de fer, relativement dégradée. Au premier tiers - côté Bruxelles - se trouve une margelle en caillebotis, d'apparence assez moderne. Les bateaux étaient exclusivement tirés à la force de chevaux.

Le canal ne permettait une circulation qu'à sens unique et une seule péniche à la fois, cela portait le temps de transit entre Bruxelles et Charleroi à une durée trop élevée, le tunnel devenait un obstacle plus qu'une facilitation. Lorsqu'on décida de porter le canal au gabarit 1350 tonnes, il fut choisi de désaffecter le tunnel de Godarville. L'élargissement demandait une technicité trop élevée et un coût faramineux. C'est ainsi que fut réalisée l'immense tranchée du canal Charleroi-Bruxelles que nous connaissons aujourd'hui. Les travaux sont si importants que le tunnel de Bête-Refaite est éventré, démolissant l'une des deux entrées. Le tunnel de Godarville lui, fut entièrement désaffecté en 1958.

Aujourd'hui, le tunnel existe toujours et en tant que vestige de l'archéologie industrielle, il nous intéresse à plus d'un titre. Au même niveau que le tunnel de la Collancelle (encore circulé, celui-ci), Godarville offre un formidable regard sur l'industrie de la batellerie au 19ème siècle. Après avoir condamné Bête-Refaite, le tunnel de Godarville fut à son tour condamné par le canal à grand débit. Aujourd'hui, le tunnel est pourtant habité, enfin si l'on puis dire...

En effet, la banquette est extraordinairement colonisée par une invasion de concrétions extrêmement fragiles, dont certaines sont naturellement molles. Ce sont des mondmilch, ou lait de lune. On retrouve souvent ces concrétions dans les mines, alliées à des minerais ferreux. La particularité du mondmilch est de ne jamais complètement durcir. Cela s'explique par l'apport de grandes quantités d'eau pendant sa cristallisation. Il va de soi qu'un simple contact suffit à les abîmer. Ces concrétions ne sont pas les seules. Outre les classiques stalactites et stalagmites, relativement peu nombreuses, et quelquefois du mycélium et des racines emprisonnés dans la calcite, on trouve aussi une quantité impressionnante de mini-vasques, qu'on pourrait appeler des choux. Les formes sont excentriques. La genèse de ces mini-gours n'est pas forcément très connue, la forme du sol et la manière dont l'eau l'éclabousse n'est pas étrangère à sa formation. Aujourd'hui, le tunnel est un site scientifique d'étude des flux hydrauliques. Cet état de protection ne change rien par rapport à votre présence. Ces concrétions sont au sol et forment des barrières, c'est à vous de les enjamber, de les protéger. C'est votre comportement qui est important, méthode CCCP : Connaître, Comprendre, Cultiver, Protéger. Ce lieu n'est pas 'fun', c'est un concentré de patrimoine. Soyez respectueux.

A Godarville, les concrétions sont souvent colorées par des sels métalliques, c'est pourquoi les mondmilch ne sont pas blancs mais bruns striés de noir, probablement la présence de fers et de quelques traces manganésifères. Les gours, que j'appelle affectueusement les choux extraterrestres, devaient comporter des perles des cavernes, de petites concrétions rondes. Elles ont, pour la plupart, été volées. Il est inutile d'emporter une concrétion, ce n'est beau que sous terre. Dehors, ça devient terne et mat... Quelques concrétions, plutôt mondmilch, forment des piles d'assiettes. Il y a quelques excentriques sur les colonnettes de la barrière, mais elles ont tendance à être démolies à cause de la fréquentation peu respectueuse. D'autres sont entièrement recouvertes de calcite, formant des formes blanchâtres étranges. Quelques marmites à choux sont présentées ci-dessous.

Pour la petite anecdote et pour clôturer le sujet, Sandrine Lamotte cite la présence d'une carpe blanche, dépygmentée. On la voit parfois errer dans les eaux du tunnel, elle n'est probablement jamais sortie.

Le tunnel


Les alentours du tunnel sont bleus d'un océan de jacinthes.


L'entrée sud-est du tunnel, côté Godarville.


Un anneau pour retenir les péniches ou les chevaux.


Un crochet pour probablement accrocher les portes mobiles aux murs.


Voici l'aspect du tunnel dans sa partie sud-est.


Il y a une margelle. Les boues à droite sont dangereuses, on s'y enfonce.


A cet endroit, on voit bien les pavés de la margelle.


L'aspect du tunnel dans sa partie nord-ouest.

Les concrétions

Ce sont quelques exemples de concrétions au sol ou au mur.
Pour un joli point de vue sur les concrétions ainsi que de plus amples explications, se réferer à cette page.

La sortie


La porte du côté Seneffe (nord-ouest).


Une des cheminées d'aérage.


Sur celle-ci, je corrige ce que j'ai pu écrire en 2002, c'est DAUDERNI à la place de DAUBERNI. Cela fait référence à Jean-Baptiste Daudergnies, l'architecte du tunnel.

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