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La montagna dimenticata (partie 3/5) - page 1/4


La via del mercurio

Nous allons continuer notre voyage dans la montagne abandonnée. Nous allons à présent descendre un peu plus bas dans le vallon, une centaine de mètres à peine, aux hameaux de Pattine et California. Il y a là un gisement de mercure, sous la forme très répandue localement de cinabre, mais aussi un peu de calomel. On appelle ce lieu la miniera di Vallalta.

La minière fait partie de la montagne abandonnée. Ce sujet peut paraître satellite par rapport aux villages abandonnés de Spagnoi et Martinoi. Replacé dans son contexte, le lieu en fait pourtant partie intégrante. En effet, la minière est située au pied du vallon des villages abandonnés. Il ne fait nul doute qu'une partie de la population y travaillait, bien que je n'en possède presque aucune preuve. Le hameau de California a été créé pour la mine. On y retrouve d'ailleurs des vestiges typiquement industriels.

Il s'agit d'une exploitation de mercure. C'est assez rare dans le paysage minier. On le trouve essentiellement sous forme de cinabre, ce qui n'a rien d'étonnant car c'est le principal minerai de mercure. Dans le cours du torrente Pezzea, on trouve de grandes quantités de pierres rougeâtres, qui semblent en être. Au pied de la mine O'Connor, il y a un gisement de pierres grises granuleuses, baignant dans une masse pâteuse grise un peu collante. A regarder de près ce minéral gris, on voit de minuscules gouttelettes grises. Sans nul doute, c'est du mercure natif. C'est dire la toxicité du terrain ! Quant aux minéraux un peu plus rares, quelques blocs gris-rougeâtres seraient des échantillons de schwazite. Le mercure est utilisé en industrie électrique, pour la fabrication d'instruments de mesure, en médecine et dans l'industrie d'armement.

On accède à la mine par un long chemin, qui est en tous points charmant. Le séjour débute au hameau de Titelle, à l'entrée du long corridor encaissé de la vallée dei Mis. Il faut s'engager sur le pont en bois aux lattes douteuses (!) et poursuivre le large chemin empierré jusqu'au hameau de Pattine. Au début de ce chemin à droite, on pourra apprécier la présence de quelques galeries de mines, probablement des recherches, creusées de toute apparence dans des terrains relativement stériles. Pattinerest un hameau du typerSpagnoi ou Martinoi, mais pas encore entièrement abandonné. Tant que le chien ne sonne pas l'alarme, c'est un lieu tranquille, silencieux, à la limite du fantomatique. Pourtant, le gazon est tondu, il y a de la vie. Il ne faut pas hésiter à demander son chemin, car l'accès au sentier est compliqué. Disons que… C'est simple mais il faut connaître ! Les (enfin la) personne est sympathique, demander le chemin pour il Campo Torondo. Au début, le chemin est commun, la difficulté d'orientation ne se trouve qu'à Pattine.

Le chemin monte fort dans une forêt de mélèzes habitée par des cassenoix bruyants et des mésanges affamées. Lorsqu'enfin, on aperçoit une jolie grange abandonnée, I Salt, il faut tourner à droite. Cette grange est d'une architecture typique des bâtiments agricoles de la valleragordina. On se croirait pour un peu revenu dans une agriculture d'un siècle passé. Le chemin serpente alors longuement dans une jolie forêt de feuillus. Sur ce sinueux sentier, on pourra apprécier une série de quelques maisons abandonnées.

La première maison est appelée Càsin. Elle avait une vocation d'habitation et à l'étage, comme très souvent dans la région, une affectation de grange. Aujourd'hui, cette maison est pourrissante. Le plancher de l'étage est vermoulu, il n'est plus possible de marcher dessus. Dedans habitent deux écureuils, qui au départ timides, deviennent de moins en moins farouches. Ils viennent voir ce qu'il se passe, un peu courroucés, puis soudainement apaisés au vue de la carotte qui les attend ! Ce genre d'habitation s'appelle dans la région une maison matrimoniale. Les écureuils l'ont compris !

Plus loin, une seconde habitation : c'est celle de la mine, destinée au logement. Elle s'appelle la Casa Colonica. On y retrouve une structure identique que la précédente, mais en un peu plus vaste et surtout nettement plus pauvre. Le sol de l'habitation est en terre battue, avec des galets en rosaces pour faire le carrelage. Sur certaines planches, on peut très clairement déceler la présence d'écritures des mineurs : des signatures, des dédicaces. Cependant, vu l'ancienneté de ces témoignages, il est difficile de les déchiffrer. De plus, la grange est colonisée par deux nids de guêpes, chose fréquente dans les villages abandonnés, ce qui ne facilite pas le séjour… Casa Colonica, les guêpes l'ont compris...

La mine est assez proche de la Casa Colonica. Un peu plus loin, en se rapprochant du torrente Pezzea, on trouvera un vestige de bâtiment destiné au stockage des matériels de mine. Il n'en reste plus rien qu'un vieil appentis sans grande valeur patrimoniale. La mine se situe en contrebas, à quelques mètres à peine du torrent.

Les vestiges miniers

La première découverte est celle de la galerie Vallalta, dont il ne reste que le porche d'entrée. Soit dit en passant, il est joli. La mine est entièrement effondrée, il n'est pas possible d'en voir le moindre vestige. A droite de l'entrée subsiste une petite niche à Sainte-Barbe.

La seconde découverte, à la hauteur du torrent, c'est la galerie O'Connor. C'est une galerie d'un mètre de hauteur, obturée par un serrement partiel à une distance de quelques mètres de l'entrée. Une eau très chargée en sulfures s'en échappe, elle a une couleur potiron caractéristique. Il serait aisé de démolir le mur de serrement, mais cela serait une calamité environnementale. En effet, des quantités énormes de sulfures se déverseraient dans la rivière, entraînant le mercure dans lerPezzea, le Mis, puis le lac de retenue du Mis, le fiume Piave . En gros, tout crèverait…

De plus, au vu de la toxicité élevée du mercure, il serait dangereux de rentrer en contact d'une quelconque manière avec cette eau de manière prolongée.

La troisième découverte se situe de l'autre côté durPezzea. Traversez le torrent en utilisant un gué. En hauteur, en remontant le Pezzea, à une cinquantaine de mètres en amont de la galerie O'Connor se trouve la galerie Terrabuio. Elle a une hauteur d'un mètre environ et ressemble à une petite galerie d'exhaure. Derrière, dans la falaise, se connectait une petite galerie de recherche dans les filons de cinabre. La longueur est faible. Elle est remblayée.

Sans nul doute, de nombreuses galeries se cachent ailleurs. Il est évoqué par exemple la présence d'une galerie au confluent du Pezzea et du Molini. Nous ne l'avons pas localisée.

Le voyage continue en remontant le sentier pentu vers le hameau de Marcòi. On trouvera le vestige ruiné d'une installation éventuellement destinée au grillage du minerai (?) et quelques pas plus loin, la présence de deux très belles roues de meules. Au hameau de Marcòi, le chemin devient compliqué, voire inexistant parfois. Nous rejoindrons tant bien que mal, mais avec beaucoup de plaisir, le hameau abandonné de California. Ce toponyme évoque la période de ruée vers l'or. L'illusion minière de l'argent facile faisait rage, alors que l'agriculture livrait de maigres résultats pour un travail ingrat.

Nous nous concentrerons ici uniquement sur l'installation industrielle de California. La partie habitée sera décrite dans le documentaire surrRozze.

L'histoire de la Vallalta, un long torrent (Pezzea) peu tranquille

Le 29 septembre 1740 est accordée par le magistrat aux minières de la République de Venise le droit de concession et d'usufruit, dédiée à monsieur Luigi Pisani. Le lieu est alors inhospitalier (et l'est d'ailleurs toujours, car le moindre raccord au plus petit espace un tant soit peu urbain signifie 40 minutes de route). Les distances poussent les futurs exploitants à implanter l'installation de lavage à proximité immédiate de la mine, le minerai lavé était alors envoyé à dos de mule vers Venise ou Merano. Le début d'exploitation est lent et difficile, il ne connaîtra son apogée qu'en 1850-1870. En tout état de cause, certains documents semblent attester qu'en 1854, une centaine de familles sont employées à la mine, ce qui est un ouvrage conséquent au vu de la ruralité de la région.

En 1740 et décennies suivantes ont été exploités en premier lieu les placers et filons de minerais riches, essentiellement donc des poches de minerais natifs. Le minerai extrait était acheminé à Belluno par le Sagron, un mont peu hospitalier, la route dei Mis n'existait pas alors. En 1770, pour combler des besoins de modernisation et des transports toujours plus pénalisants, une nouvelle laverie sera installée, plongeant l'installation quasiment à l'arrêt jusqu'à 1800. A partir de cette date, ce sera Melchiorre Zanchi qui deviendra le chef d'exploitation, il fera effectuer le percement de la galerie Zanchi, longue de 750 mètres. Dans la foulée, la Società Veneta Montanistica effectuera une série de travaux d'excavation fructueux à la galerie O'Connor. Malheureusement, entre 1860 et 1868 auront lieu une série d'accidents mortels, qui coûteront la vie à plusieurs mineurs.

A partir de 1869, ce sera Antonio De Manzoni qui gérera la mine, durant une période de 15 ans. Sa gestion sera si désastreuse qu'il compromettra entièrement les travaux actuels, ruinant les chantiers et affectant durement la stabilité des travaux souterrains. En 1901, un premier essai de relance sera effectué. En 1923, ce sera la Società Monte Amiata qui tentera l'aventure. Tout cela se soldera par des échecs. Un dernier essai aura lieu en 1958, sous la houlette de la Nuova Società Mineraria Vallalta. Ce sera le dernier échec, la mine sera définitivement fermée. En effet, les inondations du 19 janvier 1962 noient les derniers travaux accessibles. C'est sans parler de l'inondation de novembre 1966. La société est placée en liquidation, c'est la fin de la mine de la Vallalta.

A cette fin de travaux, il est constaté que la mine s'étage d'un seul tenant sur 151 mètres de hauteur de galeries imbriquées, reliées entre elles par des puits internes. L'excavation est réalisée dans une vaste poche minéralisée. Les galeries sont faites montantes. Les minerais sont abattus, tombent dans la galerie du bas, puis sont sorties dehorsà l'aide de chevaux. La plupart des travaux étaient manuels, il y a eu peu d'industrialisation dans cette mine. Les chantiers du jour étaient constitués d'un lavoir et de deux fours de grillage. Sous l'effet de la chaleur, le sulfure de mercure se décompose en soufre et en mercure. On imagine aisément les pollutions massives qui étaient engendrées à l'époque. Les vapeurs de mercure ont d'ailleurs atteint la santé de nombreux travailleurs.

Les niveaux de la mine sont, d'après miniere dei Dogi, les suivants :
Piano superiore Papadopoli +98 m
Piano intermedio Papadopoli +87 m
Piano inferiore Papadopoli +75 m
Piano O'Connor +65 m
Piano Reali +55 m
Piano Berti +39 m
Piano Pomello +21 m
Piano Zanchi +0,00 m
Piano Manzoni -18 m
Piano Gasparini -35 m
Piano Tomè -54 m
Piano Mulazzani -76 m
Piano Catullo -100 m

On constate ainsi que la mine s'étage sur quasiment 200 mètres, ce qui est encore au-delà des 151 mètres évoqués. Je ne possède pas le mot de la fin sur la réalité des travaux souterrains.

Les habitants, les travailleurs

Il est évoqué que la main d'œuvre provenait des villages avoisinants, jusqu'au hameau de Tiser. A pied, ce n'est franchement pas à côté, on imagine avec peine le labeur que ça devait être. En 1879, le personnel se constituait de 313 personnes ; après c'est descendu à 150. Il y avait un directeur d'exploitation, un assistant technique, un agent comptable, un médecin, une quinzaine de personnes au lavage, des chefs de fours de grillage, des mineurs. La Casa Colonica a été utilisée pour loger du personnel, bien que les capacités d'accueil étaient limitées. Le réel logement des mineurs s'effectuait dans l'hôtellerie de California. C'était un vaste bâtiment de restauration, de jeux et de repos. Il a été gravement touché par les inondations de 1966. Il en reste de beaux vestiges aujourd'hui. La production annuelle était d'environ 30 tonnes de mercure dans les meilleurs périodes. Autrement la moyenne se situait à 20 tonnes.

De toute apparence, il n'y avait pas de mineurs dans les familles Casaril, il n'y a en tout cas aucun document en ma possession qui puisse en témoigner. En contrepartie, les mineurs avaient faim ! Il semblerait qu'un important groupement d'agriculteurs fournissaient des céréales et des légumes à la société minière. Cela se soldait par un bon de 2% obligatoire, que l'agriculteur devait verser à la Cassa Generale di Confraternita per la Malattia e la Pensione. Dans les quatre cas, Spagnoi, Martinoi, Rozze, Beltrai, je possède ces documents. Nos Casaril étaient-ils ainsi liés à la mine ? Livraient-ils des légumes à la mine en échange d'argent ? Il est difficile de considérer un tel versement à une caisse de pension comme une preuve, c'est un indice…

Bibliographie
Percorso dei siti minerari della via del ferro, miniere dei Dogi.
Magico Veneto Montagna Veneta : Parco Nazionale Dolomiti Bellunesi, Miniere Vallalta, p800.
Baccos F. Osservazioni geologico-minerarie e genetiche sui giacimenti cinabriferi di Vallalta (Alpi Dolomitiche). Atti della giornata di studi minerari, Agordo, 7 ottobre 1967.
Cenni geologici e mineralogici sulle Provincie Venete e sul Tirolo. Vicenza 1829.
Donata Brianta. Europa mineraria : circolazione delle élites e trasferimento tecnologico.
Guide des pierres et minéraux, Delachaux & Niestlé.


Nous voici àrPattine où le beau hameau, fort isolé, possède une ancienne peinture.
Ce genre de représentations étaient très fréquentes, mais elles souffrent des années.


La grange i Salt. Les bois séchés sont là depuis... ... étiez-vous né ?


Le chemin dit Focella Franche est parfois bordé d'anciens murs de pierres à
sec, afin de le garder bien marqué dans la pente ?


Les ruines sont parfois si anciennes qu'elles n'ont même plus de nom.


La montagne abandonnée.


Dans la Càsin, le vestige de la table et les bancs, laissé comme intact... Ca sent le moisi, le renfermé.
Nous sommes chezrUrbano ? Qui sait... Son fantôme paraissait si proche, si proche...


Nous avons refermé la porte avec le sentiment d'avoir été chez un ami aimé disparu.


La cuisine, d'une... telle pauvreté, c'est un monde de différence.


La grange, avec l'étable pour les bêtes.


Le sol de l'étable, en galets.


Ce n'est pas pour la qualité dérisoire des photos mais surtout pour le contenu historique...


Nous passons alors devant la Casa Colonica. Bien que de plus belle facture, elle est encore plus pauvre.


La porte de la grange.


La poignée...


Avec une paille pourrissante depuis longtemps.

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