Exploration campanaire, les cloches de Laveyrune
Voici une exploration campanaire du clocher de Laveyrune. Si je devinais ce lieu comme étant difficile, le moins qu’on puisse dire est qu’il a tenu ses promesses. Un immense merci à la municipalité de Laveyrune pour toute la patience et la gentillesse lors de la visite !
Cela devait être une formalité. Mois de mai, je m’y rends au retour de la Haute-Loire, me disant qu’un simple drone permettrait d’identifier les fondeurs. Le vent balaye les prairies. Si je devine en un court instant deux Morel-Reynaud sur l’avant de l’édifice, je suis sur le départ lorsque je me rends compte qu’il y en a une troisième en façade sud. Elle est ancienne. Le drone bavarde : elle date indiscutablement de 1624. Une planche la sépare de la chambre des cloches, empêchant son expertise. En quelques mots, l’aventure commence.
Laveyrune est une petite commune localisée sur les hauteurs de la montagne ardéchoise. Si avant tout, le commun des mortels ignore son nom hormis les férus de Stevenson, c’est aussi un territoire de frontière et de surprise. Lorsque l’on regarde la carte du diocèse de Viviers, c’est le bout du bout. On en a connu d’autres, citons Orgnac l’Aven par exemple. Mais, Laveyrune commune ardéchoise possède un code postal en 48, la paroisse est Langogne (48). Autrement dit, son cœur penche vers la Lozère !
Proche des centres névralgiques que sont Langogne, La Bastide, Luc, cela apparaît comme tout à fait logique. L’église est posée un peu à l’écart du village, qui possède un tissu urbanistique relâché. C’est calme, verdoyant, et en longueur sur un territoire totalement gigantesque.
On trouve donc trois cloches dans des baies ouvertes. A l’avant, ce sont deux lyonnaises. On les aurait volontiers qualifiées de Gédéon Morel, un peu rapide voire pressé, sans un regard de plus, mais il s’avère qu’il s’agit d’Oronce REYNAUD. Nullement étonnant, puisque ce dernier a racheté la fonderie, et dès lors les matrices ainsi que le savoir faire. Elles datent de 1880 dans une coulée homogène.
Reynaud est le seul (le seul du seul du seul !) à décorer son anse mère de palmettes. C’en devient une telle obsession du détail, de la perfection, que cela en vaut une photo.
La plus petite est une DUPUY. Impossible de dire si nous rencontrons une Dupuy La Souche ou une Dupuy Chassiers, car ils travaillaient ensemble. Au contraire de ce que j’ai pu prétendre oralement, il ne s’agit pas d’une lignée Seurot. Les mots sont séparés par un losange décoré de végétation. C’est une particularité rencontrée sur Saint-Laurent d’Aubenas (identifiée par la Drac).
En découle l’identification du fondeur pour Fabras, Chassagnes (Les Vans), Saint-Didier-Sous-Aubenas, Vagnas. Elles sont toutes identiques. Nous relevons à ce titre, ici encore, le très fameux Saint-Jean-Baptiste à trois jambes. Il s’agit, en réalité et en toute simplicité, à la peau de chameau qui pend entre ses jambes.
La cloche de Laveyrune date de 1624, la date est fortement lisible sur la robe. Il est de très grande évidence qu’elle mérite un classement à la POP à titre de mobilier.
Elle se caractérise, comme ses sœurs, par une épigraphie remarquablement fine. Identiques à Vagnas (même dimensions), les effigies sont d’un soin intense. Leur style fait d’ailleurs penser à du médiéval ; tout en considérant qu’on n’a pas de textura quadrata, il s’agit uniquement des matrices d’effigies.
La cloche ancienne ne sonne plus de manière usuelle. Aux flancs nord et sud de l’église, il a été placé des planches car sinon avec la tourmente, le clocher se remplit de neige. Le maire Alain Ranc évoque que cette dernière existe certes, mais elle est moins fréquente de nos jours. Du coup, il a été nécessaire de démonter afin d’expertiser. Vraiment merci à la municipalité de m’avoir permis de bricoler l’installation, il aurait été si simple de me refuser.
Le cadre empêche la mise en volée de la cloche. Il appert de toute façon que la suspension est morte. La cloche n’est nullement en danger de chute tant qu’elle ne sonne pas. Le battant est d’origine, percé d’un trou en angle droit qui permettait le passage d’une petite corde. Sans détour, tout cela est très précieux.
La lignée des Dupuy est sporadiquement documentée dans la revue du Vivarais, c’est en fait une dynastie considérable, dont majorité des fondeurs sont restés altiligériens. Les cloches Dupuy ont un profil se rapprochant du médiéval. Lorsqu’on les écoute, ça sonne « tellement médiéval ». On pourrait supputer qu’ils aient eu des planches à trousser et/ou un enseignement technique plutôt daté pour leur époque. Cela ne fait que renforcer l’estime qu’on leur porte !
La grande cloche est montée sur un boîtier d’automation Poitevin Ecat Punto 4. Comme je ne le connais pas (du tout), je n’ai pas sonné en automatique. J’ai été surpris par l’angle de volée, égale 90 degrés, en rétrograde sur joug arqué. C’est très élevé. Si je pensais que c’était dû à ma volée manuelle, l’angélus automatique de midi a confirmé que le montage est de la sorte. Aux fins documentaire, je place le court angélus en fin de vidéo.
L’automation engage un angélus ultra trop rapide.
Il serait en soi aisé de déplacer le boîtier électrique et d’installer un moteur sur la seconde Reynaud. Il reste que cela ne fait probablement pas appel aux besoins de la population. Monsieur le Maire évoque la tenue d’une dizaine de messes par an. Par rapport à ce que nous connaissons en Ardèche méridionale, c’est déjà pas mal. Nombre de nos établissements en ont zéro.
La cloche ancienne mériterait mille fois d’être exposée dans l’éventuelle (souhaitable) future salle communale dans la colonie Sainte-Barbe. Ce n’est pas chose simple d’estimer son poids au vu de l’ancienneté de son profil. Elle sonne un Fa très éraillé. Elle pourrait peser entre 86 et 95 kilogrammes. En attendant là où elle se trouve, elle continuera de mener une vie paisible de belle retraitée, contemplant au loin les randonneurs de Stevenson.
Affaire menée avec succès, ce qui était loin d’être acquis. La découverte d’une Dupuy fait très plaisir.