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La montagna dimenticata (partie 2/5) - page 1/4

Ce documentaire est dédié à Julio Llamazares.

Prologue - Ce récit est la retranscription la plus exacte possible de la vérité. Les personnages et les lieux ont existé. Cependant, les lettres retrouvées dans les maisons abandonnées ont des contenus lacunaires. Il a donc été tenté de broder entre les diverses pièces de tissus pour réaliser un tableau réaliste des évènements. Cela génère, de toute évidence, des approximations. Que le lecteur m’en excuse.

Nous sommes au petit hameau de Spagnoi. Il est situé au sud de Don di Gosaldo, hameau principal de Gosaldo, une petite ville de 800 et quelques habitants pour un territoire grand comme plusieurs fois une capitale. Situé à la limite entre l’Alto-Adige et le Veneto, ce village s’exprimait majoritairement en belunexe, qui est un patois assez proche du ladin, fort répandu dans le Südtirol.

Spagnoi était un hameau, avant. Aujourd’hui, c’est un village abandonné. Sur la carte, il est tracé un sentier qui descend dans la montagne à partir du cimetière de Don. Ce sentier est refermé. Ca fait longtemps qu’il a disparu, il est envahi par la végétation, les arbres effondrés. La descente jusqu’à Spagnoi est fort difficile. Le hameau est caché dans une végétation luxuriante.


Spagnoi se trouve au fond de ce vallon, à droite.

Le 4 novembre 1966, la montagne a été éventrée par des pluies exceptionnelles. Les pâtures ont été ruinées, les boues ont ravagé les pentes, le torrent Cordevole en crue a arraché les murs, explosé les rives, déchiré les vacheries. A Spagnoi, le torrente Molini a probablement tout démoli. Les champs ont glissé, entraînant tout sur le passage. Les hameaux de Spagnoi, Bezzoi, Martinoi, California, Titelle, Rozze, Turbai, Curdaz ont été démantelés. Aujourd'hui, les arbres crèvent les toits, les branches percent les murs, les racines démantibulent les fondation, il ne reste que le récit, muet, d'un immense massacre. Dans les maisons, il reste encore les lits, depuis 66, dont les matelas rembourrés au barbes de maïs ou plumes de poules ont été éventrés par les voleurs. Ces idiots ne se doutaient pas que de toute façon, il n'y avait pas de magot. C'est la vie de fort pauvres gens, pour la plupart agriculteurs, dont l'existence a été bouleversée, ils sont parti du vallon en laissant tout, y compris leurs espoirs. Il reste les vestes accrochées dans les armoires, il reste des centaines de lettres, des photos blanchâtres éparpillées, les papiers d'hôpital du padre, la casserole sur le fourneau. A ce jour, dans les boîtes de courriers, rongées par l'humidité, il y a des nids de guêpes. Dans les greniers bancales et croulants, il y a des chauve-souris. La boîte à lettre est par terre, sous des bois pourrissants.

A Spagnoi habitaient Giuseppe Casaril, fils de Giovanni Casaril, marié à Maria Casaril, née Marcon.
Leurs enfants : Davide Casaril, Mario Casaril. Certains courriers évoquent Remigio Casaril expatrié à Eguzon, en Indre, en 1948, il serait un fils de Giuseppe. Il aurait aussi eu une fille, Caterina Casaril. Ainsi, Giuseppe aurait eu quatre enfants.
Giuseppe aurait eu un frère, Giocondo.

Giuseppe Casaril est le centre de cette étude.

Les grands-parents. Giovanni Casaril est le père de Giuseppe, né le 23/12/1882 dans ses documents d'identité, le 24 sur sa tombe. Il ne faut pas le confondre avec son homonyme, le père Giocondo Giovanni Casaril, décédé en 2001, ni avec le Giovanni Casaril contemporain, domicilié à Le Feste 11. Giovanni est né à Gosaldo. Nous ne savons rien à son sujet, si ce n’est qu’il possédait les terres de Spagnoi. Il était marié à Margherita Luigia Marcon, 28/12/1886, décédée le 05/12/1978, appelée la grand-mère dans les courriers. Il ne faut pas non plus le confondre (encore !!) avec Giovanni Casaril, né le 20/10/1889, marié à Maria Bressan, dont il y a une tombe homonyme au cimetière.

Les parents. Giuseppe Casaril et Maria Marcon. Etrangement, aucune trace. Eventuellement Giuseppe, né le 18/01/1915, décédé le 06/08/1992.

Les enfants.

Davide Casaril. Aucune information, sauf 1933 - 1999.

Mario Casaril. Aucune information, sauf 28/12/1926 - 16/03/1981.

Remigio déclare habiter au hameau d’Argantières. En réalité, il habite à Argentière, à Eguzon-Chantome, en Indre, en France. On peut supposer qu’il travaillait à la mine de Plombagine d’Eguzon, minerai qui est un graphite presque pur. Ce rapprochement est fait parce qu’il y a à Gosaldo une mine de mercure, à Agordo une mine de pyrite cuprifère, et que les italiens avaient une bonne technologie minière, mais ce que j’avance est la plus parfaite supposition. Remigio est inconnu au cimetière de Don di Gosaldo. Aujourd’hui, il n’y a plus de Casaril en Indre et le plus proche Casaril actuel est à 3h40 de route.

Caterina Casaril nous est inconnue. Les faisceaux d’indices (cahiers d'école) laissent à penser qu’elle n’est pas la sœur de Giuseppe mais sa fille cadette, quatrième enfant de Giuseppe. Elle déclare plus tard habiter à Timlach ou Trimlach en Suisse. L’orthographe est variable selon les lettres. En réalité, elle habite Trimbach, qui est une commune Suisse d’Olten, du canton de Soleure. L’expression est allemande et en plus répandu, cela se dit Solothurn. Il existe à ce jour un Casaril à Frauenfeld, mais c’est à 1h15 de route. Une Caterina Casaril réside au cimetière de Don, 19/02/1891 - 08/06/1983. Les dates sont incohérentes pour en faire la fille de Giuseppe. Pas de supposition...

Reconstitution.
Grands-parents : Giovanni Casaril - Margherita Marcon
Parents : Giuseppe Casaril - Maria Marcon
Enfants : Mario, Davide, Remigio, Caterina (?)
Oncle : Giocondo


Giovanni

Margherita

Giuseppe

Caterina

Davide

Mario

Les affaires n’allaient pas très fort. Les cultures étaient maigres. Giuseppe se déclare comme manoeuvre agricole aux impôts d'Agordo en 1930, où il déclare de faibles sommes. A cette date, il ne possédait pas de bêtes. Il possédait une maison coloniale et un oratoire. Il possède un droit d'eau dans le Molini.

Dans les journées des 3 et 4 novembre 1966, un centre cyclonal s’est créé à l’ouest de la Vénétie, provoquant des précipitations d’une ampleur exceptionnelle. Il est tombé 579 mm en l’espace de 19 heures, le tout répercuté et amplifié immensément par les eaux de ruissellement du Mont Agner. Les cours d’eau ont pris une ampleur phénoménale. Les torrenti Cordevole, Pezzea, Mis, Molini, sont devenus de véritables fleuves. Dans l’ensemble de l’Italie du Nord, les dégâts aux biens publics et privés sont gigantesques. Cette pluie dépasse de 337% la plus grande pluie du siècle (1949). Il a été enregistré que le Lago dei Mis avait monté de 1,96m, alors que toutes les vannes étaient ouvertes.

Bien qu’aucune trace des familles nous soient parvenues, les dernières lettres préservées datant de 1964, il est à supposer que tous les villages ont été ravagés. Des preuves existent pour Rozze et California, une photo d’époque où l’on voit les habitations. Pourquoi aurait-ce été différent un peu plus haut ? Les habitations sont toutes dans un état de délabrement similaire, ce qui fait penser à un abandon successif sur une courte période. Le centre de Don a aussi été ravagé, comme le prouve une photo de 1966 que possède Giocondo Dalle Feste.

Aujourd’hui, les pentes de Gosaldo ne gardent presque plus de traces de ces évènements catastrophiques. Plus ou presque... On a de manière indéniable ces maisons abandonnées. Exode rural de la montagne, fait classique de l’éloignement des hameaux, ou exode rural attisé par des glissements de terrains ? Quelquefois aussi, on trouve d’énormes blocs erratiques, on se demande ce qu’ils font là dans les pentes. Il est difficile de faire le point après 44 ans d’abandon.

Les courriers et les photos sont fort abîmés. L’humidité a rongé, mais malheureusement aussi les souris, peut-être les écureuils... De ce fait, il manque des mots.


Le torrente Molini aujourd'hui, bucolique. On peine à l'imaginer fluvial...


Nous voici dans les premières ruines de Spagnoi.


Un monde très (très très) solitaire, retranché, hostile. Les pentes sont abruptes, la végétation repoussante.


La plupart des maisons ont leur toit éventré. On n'y trouve plus rien.


En contrepartie, quelques-unes soutiennent les décennies.


Dont cette petite habitation, celle de Giuseppe.


Son lit au matelas de paille est encore là.


Sa veste est accrochée au mur.


Et nous commençons les découvertes.

Toutes les lettres sont accessibles en plus grand, pour lire, en cliquant dessus.


Une lettre de Davide.


Une lettre de Maria, à Trimbach.


Dans l'armoire, la veste est pendue depuis 1966, peut-être.


Et les découvertes continuent.


La succession de Giovanni à Giuseppe.


Les possessions de Giuseppe.

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