Il
s'agit d'un vaste reportage sur les aspects campanaires de la cathédrale
de Liège.
Un très grand merci à monsieur Jean-Claude
Frankin pour l'accueil sur place et son enthousiasme. Merci à Emmanuel
Delsaute pour l'initiative d'aller filmer la volée. Merci à
Fabrice Renard pour son concert au carillon. Aide
à la documentation historique : Christophe Cattelain.
Ces soutiens conjugués ont donné un merveilleux énorme reportage.
Le reportage a été effectué avant tout pour documenter la grande volée du 21 juillet. En effet, il s'agit de la plus grande sonnerie de Wallonie. L'ensemble campanaire de Liège est en de nombreux points exceptionnel.
La
sonnerie
Le gros bourdon est l'un des plus lourds de Belgique, il pèse
8227 kg, ce qui est légèrement supérieur à Salvator
de Bruxelles, pour la même note (sol). C'est un profil lourd. La sonnerie
est composée de 6 cloches. Deux de ces cloches (une Causard, une Van Aerschodt)
servent aussi au carillon. Les 4 autres sont uniquement des cloches de volée.
Le
carillon
Il comporte 49 cloches. Le détail est le suivant :
- 1 cloche Albert De Roesbeke (1340).
- 34 cloches A.J. Vanden Gheyn (1751).
- 1 cloche Séverin Van Aerschodt (1870).
- 1 cloche A. Causard (1881), qui fait partie des cloches de volée.
- 1 cloche Constant Sergeys (1906).
- 1 cloche Marcel Michiels Sr (sans date).
- 10 cloches Jacques Sergeys (1976).
La
cloche De Roesbeke est tout à fait exceptionnelle. Nous y reviendrons assez
lourdement !
Le carillon sonne tous les quarts d'heure de manière automatique, grâce à un tambour électrique à palpeurs. Ce carillon possède aussi un jeu manuel. Le carillonneur titulaire est Fabrice Renard.
Vous pouvez écouter la petite ritournelle des quarts d'heures ci-dessous :
Le carillon a un aspect déroutant. La cabine est très séparée de ses cloches, ce qui fait qu'en cabine, on n'entend presque pas le son de frappe mais uniquement celui du clavier. Pour arranger la situation pour le musicien, un gros tuyau flexible (de chaufferie ou similaire) a été tiré entre le carillon et le clavier. Le son passe par le tuyau, c'est en quelque sorte un téléphone à cloche. A noter que pour compliquer le tout, quelques cloches de volée servent aussi au carillon. Elles sont situées quelque chose comme 4 à 5 étages en dessous de la cabine. Pour celles-là, on ne les entend pas. Le carillonneur joue donc à l'aveugle, enfin à la sourd.
Les
cloches de volée sont situées dans une vaste salle, donc très
en dessous du clavier. Les autres cloches sont situées au dessus, dans
un lanternon. Du fait de l'étroitesse de ce lanternon, le carillon est
extrêmement compact. Les cloches sont toutes fixes, séparées
de 5 à 10 centimètres, ramassées dans un tout petit volume.
Elles sont tintées par des battants tirés, ramenés en place
pour la plupart grâce à un ressort à feuillard, ce qui est
un système classique. Un certain nombre de cloches est équipé
de marteaux extérieurs pour le tintement de ritournelle automatique, tous
les quarts d'heure. La plus grosse, la De Roesbeke, tinte les heures. J'ai une
hésitation quant à définir s'il s'agit d'une bancloche ou
d'un timbre. La bancloche est une cloche d'appel vis-à-vis de la population.
Le timbre est une cloche fixe qui souvent, sonne les heures. J'aurais tendance
à dire, même si ça a pu changer par le passé, que c'est
un timbre.
La cloche Van Roesbeke, directement intégrée au carillon,
ne part pas en volée.
Une grande majorité des cloches (34) sont des Josephus Vanden Gheyn. Elles sont de bonne facture. (10) sont des Jacques Sergeys. (1) cloche est - donc - la Van Roesbeke. Pour les autres, le manque d'accessibilité fait qu'il faut fonctionner par déduction par rapport aux références littéraires actuellement connues. On déduit qu'(1) petite cloche, non visible sans grimper, et de Marcel Michiels Sr. On déduit qu'(1) cloche Constant Sergeys se trouve quelque part en hauteur aussi. Cela nous monte à 47 cloches. Donc, 2 cloches de volée dans la grande salle servent au carillon. Il est probable qu'il s'agit de la Causard II et de la Van Aesrchodt I.
Les cloches du carillon sont superficiellement assez abîmées par les conditions climatiques. Le bronze est altéré et a tendance à faire des pelades vertes. Ca n'a aucune conséquence sur le son, mais par contre l'aspect de ces cloches n'est pas superbe. La Van Roesbeke est piquetée de petites desquamations sur la face dirigée vers l'extérieur. Un regard à l'intérieur montre qu'elle n'aurait jamais été tournée de 90 degrés, en tout cas je le suppose depuis la date de construction du lanternon, c'est-à-dire probablement 1812.
La
cloche Van Roesbeke ne comporte aucun décor, si ce n'est la présence
de filets, au cerveau et à la pince. Au cerveau, très haut, ce qui
est assez fréquent pour les cloches médiévales, on trouve
la mention du fondeur et la date. La police d'écriture est très
proche de l'onciale, bien qu'il y ait des variations, qui sont probablement plus
de l'ordre de la recherche artistique qu'autre chose, notamment pour le G. On
y lit (ou décrypte parfois, car certaines lettres sont usées) :
ANNO DNI M CCC XL PONO MENSE OCTOBRI MAGISTER ALBERTUS DE ROESBEKE ME RE(FOP?)
MAUI (TX?) UT PUS (UCC?)OR - DESIDERATA. Le mot desiderata est situé seul,
sous la dédicace, est étrange. Nous sommes incapables d'expliquer
à quoi cela fait référence. Cela se traduit par : «
des choses désirées », ce qui en latin comme en français
ne fait aucune différence. Peut-être était-ce une cloche attendue
depuis longtemps. Nous supposons que Pono, collé à la date, signifie
« placé le », surtout que les accents, réellement figurés
au dessus des lettres, sont correctement placés. Dans ce cas, cela nous
fait un placement au mois d'octobre. Les autres mots sont délicats à
interpréter. Les lettres sont fort effacés. En reconstruisant, cela
donne des mots qui n'existent pas en latin. Il y a donc forcément erreur.
Eventuellement, on peut supposer que Refop serait Refudit ?
Il est donc assez
rare d'avoir une dédicace aussi claire pour une cloche de cet âge,
les informations essentielles sont très claires (fondeur + date),... mais
en tout cas voilà, c'est 1340 et pas 1315.
Les cloches de volée sont au nombre de 6. Le beffroi en bois est une formidable structure d'une petite quinzaine de mètres de haut, complexe et parfois difficile d'accès. Le gros bourdon est de Severin Van Aerschodt. Les cloches 2, 3 sont des Adrien Causard. Trois plus petites cloches sont des Josephus Vanden Gheyn, d'une facture tout à fait similaire au carillon, mais en très meilleur état. Est simplement à déplorer la peinture anti-rouille sur les ferrures. Cette peinture rouge a dégouliné sur les faussures. C'est très dommage. Il est évident que ce n'est pas un travail facile à réaliser, mais aujourd'hui ces cloches anciennes sont dégradées.
Le gros bourdon a un profil lourd. Il est plus trapu que Salvator, pour presque le même poids et la même note (sol). La décoration est assez simple, tout en étant riche et originale. Les rinceaux sont géométriques et n'appellent pas trop de remarques : croisillons, colonnades, terminaisons de rideaux. A noter par contre les blasons et médaillons, fort jolis et de facture délicate, étudiés plus loin dans le documentaire.
Les Causard ont une décoration Néo-Gothique habituelle, qui est cela-dit de très grande qualité.
A
noter que derrière le beffroi, dans sa partie la plus inaccessible, on
trouve la présence d'une ancienne cage à écureuil. C'est
très rare.
A noter aussi que dans le comble de la nef, on trouve un
trou de passage de cloche.
Entre les grosses cloches et le carillon
se trouve une petite pièce isolée du reste, c'est la salle
de l'horloge. C'est une horloge à tambour, désaffectée.
Elle est très belle et encore fort bien conservée. C'est
une Gilles Debefve Premier, qui date de 1756. Ces pièces mystérieuses
et sombres, un peu isolées du reste, du genre les chambres de sonneurs,
sont toujours des salles au trésor. L'horloge est de style Régence.
Elle est couronnée de quatre coqs comme élément de
frein. Deux sont manquants. Le tambour est encore en parfait état.
On note qu'historiquement, les Debefve ont été fondeurs
de tambours et facteurs d'instrument de musique, notamment au Portugal.
Ils ont probablement participé au tout premier carillon avec Josephus
Vanden Gheyn et éventuellement livré 40 cloches ; à
noter la participation de Gilles II Debefve sur le sujet. Elles ne sont
plus présentes actuellement dans le carillon. Rien n'exclut que
la cloche de sacristie provienne de là, la date pourrait être
cohérente (1736), mais en même temps, rien ne le prouve non
plus.
Nous
ne connaissons pas de cloche Debefve en Belgique pour le moment.
La cloche inconnue n'est pas une cloche de chour mais de sacristie. Elle est donc datée 1736, cela est mentionné clairement à la pince. L'épigraphie n'est pas facile à lire car une partie se trouve presque collée au mur. Nous y lisons, au moins partiellement : HVB DE GRADY MAR FRANC A ? VEREAM. Cela ne nous donne assez peu d'indications précises sur le fondeur. En tout cas, ça ne nous est pas connu pour le moment. Nous ne relevons aucun fondeur possédant comme nom, entier ou partiel, Grady.
Nous allons désormais grimper les étages !
La
cathédrale de Liège.
Le beffroi
C'est
une énorme structure en bois. Ici, nous sommes à la base.
Et
ça monte ça monte dans un enchevêtrement complexe...
Pour
nous, ça a le désavantage majeur de cacher les cloches.
Derrière
le beffroi, la cage à écureuil. Dans les édifices anciens,
ça servait à monter les pierres. Ici, c'est impossible car la tour
est en brique. Eventuellement, cela a servi à monter quelques cloches,
ou bien des pièces de mouton. Dans tous les cas, cette roue est à
protéger, c'est rare.
Lorsque
les cloches partent en volée, le bois émet des craquements.
Nous
voici au début de tout, au pied des cloches.
Le plenum
Un
plenum est une mise en volée de toutes les cloches. C'est un jeu réservé
aux grandes occasions.
La
masse en mouvement est très impressionnante.
Les
cloches sont en rétrograde, le battant frappe le bas de la pince.
Le
bourdon en mouvement, c'est quelque chose d'énorme !
Inventaire des cloches de volée
Nous allons passer les six cloches en revue.
Trois décors nous ont particulièrement donné du fil à retordre ! Grâce aux recherches de Christophe Cattelain, il a été possible de déterminer un certain nombre de détails permettant de plus ou moins identifier ce que représentent ces dessins. Cela sera précisé sur les photos, un peu plus loin.
La
cloche Severin Van Aerschodt, 1870.
-Médaillon, face avant. Il représente
le pape Pie IX. Le nom est marqué à côté, en latinisé
: Pius IX. Ces lettres sont devenues illisibles avec l'usure.
-Blason, face
arrière. Il représente les armoiries du pape Pie IX. Le tracé
est quasiment identique à l'original officiel, au détail près
que la cloche possède des branchages de laurier en plus, en tant qu'éléments
de décoration autour du blason.
La
cloche 2 Adrien Causard, 1881.
-Médaillon, face avant. L'entourage du
blason fait penser qu'il s'agit de l'armoirie d'un baron ou d'un prince. Nous
n'évoquons pas tout le détail des noms car c'est très compliqué
et ce n'est pas l'objet de cette étude. C'est en tout cas d'une similitude
très proche.
Le centre fait apparaître un losange. Dans le centre,
une croix naissante d'un cour.
Au dessus à gauche, probablement une
mitre.
Au dessus à droite, un élément fin et sinueux,
mais non identifié cause corrosion.
Les armoiries ne correspondent à
aucun prince-évêque, même du point de vue de quelques vagues
similitudes.
Eventuellement, ce sont les armoiries d'un archevêque. Le
chapeau de sinople au dessus de l'ensemble y fait fort penser. L'ornement de l'écu
correspond presque entièrement. Le nombre de glands, 10 par côté,
est concordant.
Eventuellement les blasons de Engelbert Sterckx, fait cardinal
en 1838 (donc peu probable, cloche de 1881, le nombre de glands est alors de 15)
ou Victor-Auguste Dechamps, fait cardinal en 1875 (donc peu probable pour même
raison). Nous n'avons pas de propositions complémentaires.
La cloche 1 (le gros Bourdon)
C'est
une très très très belle cloche (restons modeste !)
La
robe dans son entièreté.
Début
de zoom sur la faussure.
L'épigraphie
est en caractères romains simples. La date est 1870.