La
tour dans le passé.
Il s'agit d'un documentaire sur le carillon de St-Amand Les Eaux (Fr). Un grand merci à Charles Dairay et sa famille pour l'invitation et l'accueil. La moitié des photos a été réalisée par Sandy De Wilde.
Le carillon se trouve dans la tour abbatiale. Cette tour a été récemment rénovée.
En 1340, sous les ravages de la guerre de Cent Ans, la ville est dévastée et la tour abbatiale n'échappe pas au sévice. Ce ne sera pas le seul saccage que connaîtra la ville, souvent pillée et en butte aux armées. Diverses dégradations majeures auront lieu en 1478 et 1566, puis inévitablement 1789. L'abbatiale que nous connaissons aujourd'hui a été érigée à la suite de ces premières dévastations. L'abbé Nicolas Dubois fera monter l'édifice entre 1626 et 1640. Bien que fort étrange, il est d'inspiration baroque, encore qu'il n'y ait aucune réelle unité architecturale dans la conception. De nos jours, seule la tour subsiste, le reste est depuis longtemps disparu. Elle constituait une tour d'angle. Haute de 82 mètres, c'est un monolithe imposant. Elle est purement insolite et fait presque penser au palais du facteur Cheval. Des grotesques, des chimères et des fantaisies ornent les parois. Tout particulièrement, on relèvera la présence de deux dragon-anacondas géants, et de Dieu au milieu de nuages et d'angelots particulièrement moqueurs. Ces sculptures originales donnent un charme indéniable et surtout une apparence burlesque qui reste gravée dans la mémoire.
L'escalier d'accès au carillon serait tout particulièrement ancien, en tout cas pour la partie en pierre. Il est évoqué qu'il proviendrait, en réemploi, d'un édifice originel (XIème siècle ?). Les murs de la partie haute quant à eux regorgent de graffitis, ce qui est du plus superbe ! Un certain nombre est une collection de signatures des carillonneurs successifs. On trouve aussi une grande roue en bois, désaffectée mais très bien conservée. Nous pouvons nous interroger s'il ne s'agit pas là d'un vestige d'une ancienne roue à chiens, qui aurait alors servi à monter en tour les cloches et l'horloge.
Le campanaire (carillon)
Gislebert, moine d'Elnon, évoque dans un poème la perte de 17 cloches en 1066. Il existait donc, à cette période romane, ce que nous pouvons imaginer être un carillon primitif. A noter que ce moine nous intéresse à plus d'un titre, notamment parce que c'est lui qui a conçu le portail de la cathédrale Saint-Lazare d'Autun. Cependant, nous devons déplorer avoir été dans l'impossibilité de trouver ce texte. Nous ne pouvons donc citer une source fiable en bibliographie.
Une certaine partie du 'campanaire' date encore de la conception de la tour, c'est-à-dire 1640. Nous mettons entre guillemet le mot campanaire, étant donné que le tambour de l'horloge monumentale y est compris. Visiblement, le bourdon Amanda fait partie de la fournée.
Le carillon comporte 48 cloches au total. Il totalise un poids de 7500kg. Le détail du carillon, en tant qu'inventaire de l'instrument, est :
Deux cloches de 1784, provenant des Barbieux, de Tournai. Elles sont officiellement identifiées comme, étant je cite, de : G.L. Barbieux, qui vint fondre les 48 cloches du carillon, au pied de la Tour en 1784-1785. Cette citation (site internet de la ville de Saint-Amand) ne nous est pas fort compréhensible, étant donné que nous ne connaissons pas de G.L. Barbieux. A cette date là, nous pouvons supposer avec quasi certitude qu'il s'agit de Clément Barbieux, fils de Jean-Baptiste Barbieux. Fait surprenant, il s'agirait alors des seules cloches qui sont attribuées à ce fondeur, étant donné qu'il n'en existe aucune actuellement répertoriée en Belgique ni en France. Il est assez probable, vu les beaux rinceaux, qu'il fut aidé. Nous pouvons supposer, sans pour autant l'affirmer, que les Drouot étaient dans les parages. Ces deux cloches sonnent le Sib(3) et le Lab(3). L'erreur de dénomination vient très probablement d'une erreur de lecture sur CL Barbieux en épigraphie. On ne peut pas dire que ça soit bien grave.
Les Barbieux représentent une toute petite dynastie de fondeurs de cloches. La lignée comporte François, Jean-Baptiste son fils et Clément, le fils de Jean-Baptiste. La lignée de fondeurs débute en 1713 et s'éteint en 1785. Surtout actifs à Tournai, on leur connait encore quelques cloches au beffroi et à la cathédrale. Le nombre de fonte n'est pas très élevé, la qualité n'est pas toujours au rendez-vous, mais quelques cloches sont de fort bonne facture. Les épigraphies sont soignées en rapport aux autres travaux de l'époque. Père et fils (François et Jean-Baptiste) collaboreront ensemble de 1744 à 1755. Quelques travaux, de piètre qualité, seront refusés. A noter que Jean-Baptiste Barbieux est l'oncle de Jean-Baptiste-Joseph Flincon, lui-même fondeur de cloches.
Deux cloches proviennent de Marcel Michiels Jr, de Tournai, fondues en 1931. Elles s'appellent 'Paix' et 'Solidarité'. Ce sont des fontes tout à fait classiques le concernant, très réussies, malgré que ça se trouve relativement au début de son art campanaire. Il est assez amusant de constater que les Paccard de 1957, au Quesnoy, sont assez similaires en épigraphie à ces deux cloches là.
Pour compléter, 43 cloches sont des Paccard, d'Annecy, datant de 1950. Elles ont des décors classiques, similaires à celles du Quesnoy.
En dernier lieu, une cloche de 1984 terminera le tableau de chasse. C'est une Cornille-Havard de Villedieu-les-Poêles. Elle pèse 690kg et s'appelle Sidonie. Elle porte un blason de St-Amand les Eaux. Elle sonne le fa#(3).
Amanda
Le bourdon date de 1640, date de finition de la construction de la tour. Il pèse 4090 kg selon certaines sources (Heberlé, Inv. NPdC), 4560 kg selon d'autres (Recif 5144). La note est Sol(2) selon les sources consultées, mon mesurage révèle très franchement un La(2). Il fait un diamètre de 192 cm selon la première source, 157 cm selon la seconde source. Je dois dire malheureusement que c'est invérifiable à mon niveau, étant donné qu'il faudrait faire de la lévitation pour le savoir. Les deux poids mentionnés restent franchement plausibles, ainsi je ne peux m'exprimer quant à dire lequel est le bon. Quant à la note, la fondamentale est si altérée qu'il serait malhonnête d'affirmer la note, d'autant plus que les harmoniques sont très-très richement fournies.
Ce bourdon n'est pas relié au carillon. Il n'est pas non plus une cloche d'heure. Il ne sonne plus rien. Il est équipé d'un magnifique volant en bois et fourni de deux cordes, pour la volée manuelle. Plus aucune volée n'est pratiquée à ce jour. Il est donc à considérer comme un bourdon actuellement désaffecté. Il possède un très long baudrier en cuir, usagé. Le battant frappe le haut de la pince. Il y a un important éclat au bord. Cela fait quelque peu penser à la Savinienne. On peut d'ailleurs y lire une sonorité assez proche. C'est une particularité intéressante.
La dédicace est très difficilement lisible, pour deux causes : la situation en hauteur, relativement inaccessible, une épaisse couche de vert-de-gris recouvre les lettres. De ce fait, la lecture de la dédicace provient de la source : Art campanaire en Nord Pas-de-Calais, ouvrage collectif, coordination : Philippe Heberlé.
Le texte est le suivant : R. ADMODUM DNS D. NICOLAUS DU BOIS MONASTERII S. AMANDI EXEMPTI ET IMEDIATE SEDI APOSTOLICE SUBIECTI ABBAS DIGNISS CAPELLAE COMES COMES IN PABULA AMENDENSIS OPPIDI TOPARCHA ETCZ ME FUDIT A° D 1639 QUI TURRIM STRUXIT ME FUDIT PRAESTI AMANDAM SYLVIUS UT POPULOS AD PIA VOTA VOCEM PAREO IUSSA LUBENS PÈRE SED FULMINE TACTUS QUISQUIS AB OFFICIO ME MOVET INDE MEO.
D'après cette même source, la traduction est : Le très révérend Seigneur dom Nicolas du Bois, très digne abbé du monastère de St-Amand, monastère exempt et immédiatement soumis au siège apostolique, Comte de Capelle, Comte de Pévèle, Seigneur de la ville de St-Amand, etc. me fit fondre l'an du seigneur 1639. Celui qui bâtit cette tour me fit fondre pour que j'appelle le peuple aux prières. J'obéis volontiers à cet ordre, qu'il périsse frappé par la foudre quiconque me détourne de mon office.
Pour ce présent documentaire, la cloche a été lancée en volée par deux personnes. C'est un peu juste (c'était dur !), ce qui explique que ça ne soit pas une pleine volée. En attendant, ça vaut mieux vu l'importante ébréchure. Le battant frappe juste au niveau de l'endroit fragilisé. Une rénovation de ce bourdon, exceptionnel, serait une valeur ajoutée de taille pour Saint-Amand les Eaux. Le travail nécessaire n'est pas très conséquent, hormis les questions de manutention du lourd objet dans un environnement peu propice aux machines. La cloche doit être tournée d'un quart, le baudrier doit être remplacé. Le volant n'est plus du tout fonctionnel. L'idéal est de faire comme à Franière, c'est-à-dire garder l'ancien volant en bois pour l'aspect patrimonial, placer un volant neuf de l'autre côté de la couronne. Les paliers et tourilles sont un peu usagés, cependant le beffroi est dans un parfait état de conservation. Aucune fêlure n'a été constatée dans la robe. L'ébréchure n'est à mon sens pas à réparer. Le son est profondément affecté par l'airain manquant, mais cela donne un charme.
Cette cloche a généré un engouement incroyable, j'ai reçu de très nombreux commentaires à son sujet.
Les photos