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Les Hemony, fondeurs de cloches


(Une biographie de Pierre et François Hemony)


Une cloche Hemony. Photo : Irpa.

* HEMONY

Les Hemony sont originaires du Bassigny, de Levécourt plus précisément. Ils représentent une petite lignée de fondeurs, qui comporte : Blaise HEMONY, François HEMONY, Pierre I HEMONY, Pierre II HEMONY (dit Pieter), Gérard HEMONY. Les relations entre eux ne sont pas toujours faciles à établir. En Belgique, seuls François et Pierre II ont été actifs. Dans les Pays-Bas Espagnols, l’étendue a été beaucoup plus grande. Blaise et Pierre I sont frères. Il est probable que François et Pierre II sont fils de Pierre I.

Leur nom s'orthographierait en principe HEMONIN. C'est en tout cas comme ça qu'ils sont connus dans différents actes. Quant au village de Levécourt, les personnes connues sont Hemonin et non Hemony. Pour autant, la totalité des cloches sont signées HEMONY. Faut-il s'en formaliser ? Probablement pas. On sait que les variations orthographiques sont nombreuses en cette époque.

Les deux frères Hemony qui nous intéressent ne sont pas néerlandais. Nombreux sont ceux qui les considèrent comme étant des fondeurs d'Amsterdam. C'est en partie faux. Les Hemony, originaires de Levécourt, se sont expatriés et fixés aux Pays-Bas, notamment à Amsterdam concernant la ville la plus célèbre.

Les destins de François et Pierre HEMONY sont souvent indistincts. Nous allons évoquer en quelques lignes ce qui est connu actuellement les concernant.

* HEMONY François
Né aux alentours de 1609 à Levécourt. Nous ne disposons pas de son acte de naissance. Il fait partie d’une famille de fondeurs. Il est assez probable qu’il côtoie l’univers campanaire dès son plus jeune âge. Il coule sa première cloche en 1636, en Allemagne. Cette coulée est réalisée lors d'une campagne, en compagnie de Joseph MICHELIN, qui s'occupe assez probablement de son écolage.

De manière indépendante, la première cloche est coulée en 1641, dans la ville de Goor (NL), faisant partie de la commune actuelle de Hof van Twente, dans la province d'Overijssel. Peu après, en 1642, les deux frères reçoivent une commande à Zutphen (NL), une commune située en province de Gueldre. Ils s’établissent en ce lieu, ce qui semble témoigner d’un abandon définitif du Bassigny lorrain cette année là. Nous ne connaissons pas la justification de l’abandon du Bassigny, mais deux paramètres sont à prendre en compte. D’une part la région est en guerre, 1642 marque le siège de la ville de La Mothe. D’autre part, il exista très nombreux fondeurs en Bassigny. La concurrence était très rude et la seule solution qui existait afin de trouver du travail, c’était de s’expatrier ou partir en campagnes incessantes.

Cette commande à Zutphen est importante étant donné qu’il s’agit d’un carillon. Seul ennui, les fondeurs du Bassigny possèdent une médiocre expérience en matière de coulée de carillons. C’est cette année là qu’ils s’allient avec Jacob Van Eyck, carillonneur de la ville d’Utrecht. Ils effectuent des recherches mathématiques assez poussées sur les questions de profilage, ce qui vaut au carillon de Zutphen la mention d’être une réussite éclatante.

Une fonderie est fondée à Zutphen, treize carillons sortiront de cet établissement. Probablement avant l’établissement en Pays-Bas espagnols, François se marie avec Marie MICHELIN. Son prénom est parfois orthographié Maria, probablement du fait d'une néerlandisation du prénom. Nous ne connaissons pas la date de mariage, toutefois les MICHELIN représentent une lignée importante de fondeurs en Bassigny. Nous savons que la période d’établissement à Zutphen n’était pas celle d’une grande richesse. Cela s’ajoute au fait que les Hemony étaient catholiques, tout en se retrouvant dans une province majoritairement protestante. Cela leur valut certains écartements des milieux publics – toutefois sans importance majeure.

En 1657, soit 13 ans après l’établissement à Zutphen, François Hemony déménage à Amsterdam. La ville lui propose depuis deux ans des conditions avantageuses afin qu’il s’établisse en ce lieu. En cette date, les destins de François et Pierre se séparent. En effet, Pierre choisit de déménager vers Gent (Gand), afin d'établir un registre de fonte à son propre compte. En cette période (1661), François reçoit le mathématicien Christiaan HUYGENS. Les questions des profilages sont abordées à nouveau, puis affinées. Cette période débouche sur la constitution de plusieurs écrits et l'élaboration de théories.

La période d’installation à Amsterdam est très fructueuse. Vingt carillons sont coulés. Des collaborations intéressantes ont lieu, notamment avec Claudy FREMY et Mammès FREMY (ce dernier est le cousin de François et Pierre). Les deux fondeurs FREMY semblent être inféodés à HEMONY, bien qu’ils agissent à plusieurs reprises comme fondeurs tout à fait indépendants, certains documents les mentionnent comme étant des élèves. L’atelier d’Amsterdam est connu par une célèbre représentation d’époque. C’est un rare document permettant de découvrir l’apparence d’une fonderie à poste fixe en cette époque. Le plus souvent, ces installations nous restent complètement mystérieuses. Les réalisations de carillons à Amsterdam sont globalement bonnes. Elles ne sont pas toutes parfaites, mais relèvent d’une qualité supérieures par rapport aux autres réalisations de l’époque. Ces réussites sont une importante manne financière.


La fonderie de François Hemony.

En 1661, l’épouse de François décède. Il est connu qu’en 1664, alors que François a 55 ans, ce dernier traverse une période de maladie. Il décède peu avant le 24 mai 1667 et est enterré ce jour là.

En 1664, le frère de François est probablement appelé en renfort, vu le nombre de commandes. Ceci n’est pas prouvé (la question du renfort), si ce n’est que rapidement, Pierre viendra s’établir définitivement à Amsterdam. Trois carillons sont encore réalisés dans les trois ans de maladie. En 1667, Pierre prend la succession de l’établissement.

La biographie de Pierre ne se focalise que sur quelques éléments, étant donné que nombreux aspects sont déjà cités au sein de la biographie de François.

* HEMONY Pierre (Pieter)
Né aux alentours de 1619 à Levécourt. Nous ne disposons pas de son acte de naissance. Pierre Hemony demeure célibataire tout le long de sa vie. Il réalise de nombreuses cloches, avec une particularité : il garde plus que son frère une certaine tradition d’itinérance. Il se fixe malgré tout en certains endroits, notamment en venant aider à Zutphen aux moments adéquats, puis nettement plus tard, il se fixe à Gent (Gand) et Amsterdam.

Durant sa période d’établissement à Gent (Gand), Pierre acquiert de la célébrité lors d’une très bonne réalisation : le carillon du beffroi en 1659-1660. Malgré tout, les réalisations de carillons ne sont pas infiniment nombreuses, et cela pourra valoir un sentiment de déception à Pierre HEMONY. De plus, le carillon de Gent est l’objet de disputes incessantes et relativement lassantes quant à la qualité sonore de l’instrument. Des discussions sans queue ni tête existent quant à savoir s’il faut frapper la cloche à l’intérieur ou à l’extérieur. Le carillon étant ici à battant tiré, les argumentations sont que cela ne s’entend pas très bien de dehors. Comme on le sait à ce jour, il s’agit d’inepties. Il est clair que ces querelles stériles auront un impact, notamment à cause des poursuites judiciaires, alors que le carillon est excellent. Dans l’attente et contre tout, Pierre est nommé bourgeois de la ville et réalisera encore des carillons par la suite, mais en 1667, il quitte Gent définitivement.

En 1672, il est contacté par Brugge (Bruges), qui souhaite la réalisation d'un nouveau carillon. Il se déplace d'Amsterdam en 1673 afin de défendre sa proposition. Il est toutefois décidé à l’issue de cette rencontre que les cloches seraient fondues à Brugge en coulée sur site. Pierre HEMONY, disposant d'une fonderie à poste fixe et aucune possibilité d'itinérance pour un volume de la sorte, est écarté. Le contrat n'est pas signé et la situation reste sans suite.

Il décède le 17 février 1680. Entre 1667, la date de décès de François, et 1680, sept carillons sont réalisés par Pierre. Cela témoigne, une fois de plus, d’un travail intense. Durant leur carrière, les Hemony ont réalisé 53 carillons, cela sans compter les nombreuses cloches de sonneries. Fait assez intéressant quant aux migrations des fondeurs du Bassigny : les lettres de François Hemony nous apprennent qu’il ne s’exprimait pas dans un bon néerlandais, mais assez souvent en allemand. C’est assez étonnant pour un fondeur qui migra dans une zone néerlandophone dès ses 32 ans, puis y resta jusqu’à la fin de son assez courte vie. En contrepartie, Pierre Hemony parlait un meilleur néerlandais. Cela rejoint finalement le trait comme quoi Pierre a traduit son prénom par Pieter, tandis que François ne le traduisit jamais par Frans.

Pierre publie en 1678 un traité : De On-Noodfakelijkheid en ondienstigheid van Cis en Dis in de Bassen der Klokken ; Le superflu et l'inutilité de do dièse et de ré dièse dans les basses des cloches. Cet ouvrage a été rédigé suite à l'expertise du carillon de Gouda. Ce pamphlet conteste l'opinion de Quirinus VAN BLANCKENBURG, qui lui avait conseillé de couler, pour ce carillon, une cloche en do dièse et une cloche en ré dièse à l'octave inférieure. Il est envisageable de penser que ce pamphlet n'émane pas totalement de Pierre HEMONY, mais d'un téléguidage de la part de Dirk SCHOLL, pour de simples questions de musicologie relatives aux goûts du moment.

De toute sa vie, il semblerait que Pierre ait vécu dans l’ombre de son grand frère François. Les évènements de Gent n’ont certainement pas travaillé en faveur d’un équilibre. Pierre HEMONY traversa des périodes d’état dépressif.

La succession des HEMONY serait plus ou moins reprise par Mammès FREMY. Pour des raisons que nous ne comprenons pas très bien, cela n’est pas couronné de succès. D’après ce que nous comprenons, il pourrait s’agir de cas de débauches. C’est évoqué sous toutes réserves. Il aurait aussi été qualifié d’imposteur, ce qui administrativement parlant est très grave. Il décède en 1684. La suite n’est pas bien meilleure, où un carillon de Claude FREMY est considéré comme étant d’une justesse sonore déplorable. Ce dernier décède en 1699.

Les HEMONY laissent à ce jour un patrimoine morcelé et grandement disparu, mais ce qu’il reste témoigne d’un grand talent. Le DFIM mentionne que ces deux fondeurs auraient réalisé un volume de cloches situé entre 3000 et 4000 au total (faisant fi de toute frontière).


Le village de Levécourt. Photo : Google.
Ce village a eu peu d'importance dans la vie des Hémony. Ils en partirent rapidement.

Conseil : Les Hemony n'ont JAMAIS réalisé de clochette. Ils ont, au plus petit, réalisé les cloches les plus aigües d'un ensemble de carillon, dont ils coulaient toute la fournée. De ce fait, toutes les clochettes Hemony à vendre sur Ebay (et autres) sont des contrefaçons. Elles peuvent d'ailleurs être anciennes, il s'agissait simplement de fondeurs de métaux qui essayaient de profiter de la réputation afin de vendre. Elles peuvent être de talent, c'est ça qui est le plus étonnant, mais elles ne sont pas originaires des ateliers Hemony.

[Cet article qui suit est polémique à l'encontre de Wikipedia.]

Lorsqu'il est écrit dans Wikipedia : Les frères François et Pierre Hemony, les plus illustres des facteurs de carillons qu'aient connus les Pays-Bas, furent les premiers à produire un jeu de cloches au timbre pur, et surent par là convertir le carillon en un instrument de musique de plein droit.

A cela, nous contestons. Qu'en est-il des Waghevens ? Des Van Den Ghein ? De Melchior De Haze ? De tous les fondeurs médiévaux de voorslag ? En quoi sont-ils supérieurs aux dynasties ou fondeurs précités ? Il est cité encore qu'ils furent les premiers à produire un jeu de cloches au timbre pur. Faux ! Les Hemony étaient TRÈS soigneux quant à leurs profils, mais déjà, le fondeur médiéval Geert Van Wou l'était, et pas qu'un peu. Cela nous parait d’une part surestimé, d’autre part l’objet de négligences vis-à-vis d’autres fondeurs. Il n'est pas inutile de mentionner que les Hemony étaient de très bons fondeurs, mais bien d'autres contemporains ou antérieurs avaient leur niveau : Florentin Le Guay, François Delespine, Bartholomeus Cauthals, etc.

Lorsqu'il est évoqué qu'ils étudient l'accordage des cloches avec Jacob van Eyck en 1642, c'est faux ! Ils étudient en profondeur toutes les questions relatives au PROFILAGE et à l'expression des HARMONIQUES. La notion d'accordage a été évoquée par Amédée Bollée du Mans, mais surtout mise en pratique la première fois par les Paccard en 1914. Sur les cloches Hemony, il ne fut pratiqué aucun accordage. Le profil était bon à la sortie de coulée, sauf quelques questions relatives à l’ébarbage, minimes et normales. A ce titre, il est intéressant de signaler que les Hemony ont travaillé sur des profils expérimentaux, notamment en collaboration avec Claudy Fremy et (supposé pour ce second) Mammès Fremy. Ces expérimentations de l'époque mènent à des travaux passionnants, quoique relativement ubuesques. Les procédés sont copiés à toute vergogne par les fondeurs de carillons qui suivront le courant, tandis que les Hemony s'inspirent aussi des recherches existantes, voir à ce titre notamment le très étrange profil du timbre de la cathédrale d'Amiens.

Lorsqu'il est cité les Pays-Bas, lesquels ? Les actuels, les Pays-Bas Espagnols ? L'article renvoie sur les frontières des Pays-bas actuels. Cela ne veut rien dire !

Suite de citation : L’on ne saurait surestimer le rôle joué par les fondeurs François et Pierre Hemony dans l’art campanaire et, plus particulièrement, dans l’art du carillon. Ils surent dégager ce dernier de l’état primitif dans lequel il se trouvait au XVIe siècle et le transformer en un instrument de musique à part entière. Réponse pourrait tenir en un mot : pitié ! Lisez la biographie des Waghevens... Il est clairement établi, et notamment dans le cadre de la biographie d’Alexis JULLIEN (voir l’ouvrage d’André Lehr à ce sujet) que l’art du carillon était souffrant à cet époque. Notamment, les cloches n’étaient pas assez justes. Bien des carillons ont fait l’objet de disputes, parce que les cloches étaient dissonantes. Mais cela ne revient pas à dire que l’art du carillon était dans un état primitif ! Pitié, pitié ! Les fondeurs de l’époque faisaient des efforts conséquents. Il serait loisible de citer nombreux fondeurs, dont encore une fois les Waghevens (à ce titre toujours utilisés à Enghien), les Delapaix (toujours utilisés à Mons). Et si le carillon de Mons sonne faux, c’est en très large partie dû aux Félix Van Aerschodt. Les propos de Wikipedia sont à nuancer. Les Hemony ont réalisé des apports importants en matière de carillon, vu qu’ils ont étudié le profilage, ils ont aussi partiellement raté des coulées. A savoir également qu'ils coulaient en grande capacité. Du coup, une livrée de cloches de carillon se retrouve « concordante » car coulée en une seule livrée. Quand on voit qu’Alexis Jullien livre le carillon de Lier entre 1703 et 1707, avec de plus encore des apports ultérieurs, d’office on sait qu’il existe des différences de profilage, ce d’autant plus que l’accordage n’existait pas à l’époque.

Les travaux des Hemony en matière de carillon sont à estimer, oui les apports furent importants. De plus, ils se sont placés comme précurseurs. Mais de loin, ils ne furent pas les seuls. C’est le profil de la cloche Gloriosa de Erfurt (1497), de Geert Van Wou, qui a servi à établir une partie des profils des Causard par dom Jean Blessing, largement postérieurs.La question du profilage est à considérer dans un ensemble, une époque, et avec une certaine modestie.

A ce titre, nous rejoignons totalement le contenu de l'étude d'André Lehr, De Klokkengieters François en Pieter Hemony. Il évoque cette question, avec les distinctions qui s'imposent.

Bibliographie
-André Lehr, De Klokkengieters François en Pieter Hemony.
-Dictionnaire des facteurs d'instruments de musique en Wallonie, Malou Haine, Nicolas Meeùs.
-Base de données de l'IRPA reprenant le fonds De Beer.
-Centre généalogique de la Haute-Marne.
-Maurice Thouvenin, relevés généalogiques sur les fondeurs du Bassigny. Edité au profit des chercheurs.

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