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MEMOIRES DE LA SOCIETE HISTORIQUE ET LITTERAIRE – TOURNAI.
Par A. de la GRANGE, Membre titulaire. Louis CLOQUET, Membre titulaire.
1929. Extraits concernant les fondeurs de cloches.

IV — Les fondeurs de cloches.

Les cloches, ces voix des cités chrétiennes, tantôt graves et tantôt joyeuses, ont eu au moyen-âge leur époque de splendeur, alors que tant de clochers s'élevaient côte à côte dans l'enceinte étroite de nos villes. Dans le Nord surtout chacun de ceux-ci en possédait un nombre extraordinaire. A côté des grosses cloches des églises et des abbayes sonnant le pardon et le glas funèbre, les offices et l’angélus, et des bourdons des beffrois convoquant le peuple aux assembles publiques, battant le tocsin ou l'appel aux armes, chaque ville avait un, ou souvent plusieurs de ces joyeux carillons, qui, de quart d'heure en quart d'heure, jetaient à tous les habitants leurs trilles argentines. C'était surtout le cas pour Tournai, ou, indépendamment du Beffroi, les églises paroissiales avaient leur carillon. Ainsi la sonnerie de Saint-Brice ne comptait pas moins de neuf cloches et trente-sept timbres de carillon. Le carillon de Saint-Jacques, refait à diverses époques, fut recomposé en 1737 de dix-sept cloches, par le sieur Barbieux. Au siècle dernier l’église de Saint-Jean-Baptiste en possédait autant. L'humble église de la Madeleine n’était elle-même pas dépourvue de carillon.

Des milliers de cloches ont disparu par la fêlure, qui est pour elles un mortel fléau. Les anciennes sont devenues relativement rares ; elles ont été refondues, trop souvent sans qu'on enregistre les précieux documents moulés dans leur bronze. Cette circonstance rend plus précieux les monuments campanaires échappés soit aux accidents, soit aux innovations de la mode et de la vanité de donateurs impatients de graver leur nom dans l’airain.

La plus antique parmi les cloches qui ont disparu de nos églises, et l’une des premières dont il soit fait mention dans la chrétienté, est celle que fit fondre vers 835 l’abbé Herbert de Lobbes, et qui devint célèbre dans toute la région ; elle était l'œuvre d'un artisan nommé Paterne, que l’on peut considérer comme le patriarche des fondeurs wallons. Au siècle suivant le fondeur Daniel exécutait deux cloches pour l’abbé Folcuin du même monastère : tant il est faux, que c'est seulement vers 1264 que le bronze se naturalise en Gaule, ainsi qu’il est devenu classique, dans les traités du bronze, de le répéter après Benvenuto Cellini.

Viollet-Le-Duc cite comme la plus ancienne cloche qu'il ait vue celle de Moissac, datant de 1273, refondue en 1845. M. Dergny, qui vers 1860 a visité plus de cent clochers en Normandie, déclare n’en avoir rencontré qu’une seule remontant jusqu’au XVe siècle. La petite cloche de Fontenailles, qui date de 1197, et qu'on conserve au musée de Bayeux, parait être la doyenne de France. La Lorraine, patrie des plus célèbres fondeurs, n'a pas gardé de spécimens antérieurs au XIVe siècle. Une des plus anciennes du Midi, est celle de Saint -Nicolas de Toulouse, datée de 1397. Les plus âgées des cloches hollandaises remontent à 1307. Un grand nombre de cloches ont été refondues au XVIe siècle. Parmi elles il faut citer comme les plus célèbres les cloches de Reims. La seule cloche des églises de Flandres qui remonte au XIVe siècle, à notre connaissance du moins, est celle de Lampernisse, qui porte le millésime 1352. Cet aperçu suffit à nous montrer le cas que nous devons faire des vieilles cloches que possède notre ville.

Les églises de Tournai sont bien partagées sous ce rapport ; celle de Sainte- Marie-Madeleine a le rare bonheur de posséder trois cloches du moyen- âge, l’une d’elles remonte au milieu du XVe siècle. Elles étaient trois de la même année, dont une seule a survécu, comme elle le dit dans sa bien gracieuse inscription : Marie suis qui sonne au lever Jésus Christ, je sers contre l’orage qui dans l’air tonne et est au mois de mars nous trois on nous posa céans en l’an (…). Les deux autres ont été refondues au XVIe siècle.

Saint-Brice possède trois belles cloches anciennes, qui doivent dater de la reconstruction du clocher, vers 1500. La plus grosse, qui pèse 10000 livres, porte cette inscription curieuse : En exaltant la fleur de lys, fleur triomphante et pacifique, au nom Loyse pour Loys XF roi très pacific, qui désirant la paix publicq, le pardon de paix impietra, de Sixte Quart apostolicq, lequel par moy sonne sera.

L'église de Leers-Nord possède une cloche très ancienne ; sa curieuse inscription et les figures bizarres qui l'accompagnent la font reconnaitre pour celle que la corporation des bouchers de Tournai donna jadis à l'église de Saint-Pierre.

L'église de Flobecq possède une cloche du XVe siècle. Celle de Pommeroeil en a une qu’Antoine Regnault fondit en 1661.

C’est vers la fin du XIVe siècle, que l’industrie de la fonte des cloches semble s'être implantée a Tournai et dans le pays voisin. Des 1381 nous voyons à Mons maitre Jean de Harlebeke exécuter les quatre cloches du beffroi de cette ville, bien que, en 1390, les magistrats montois s'adressent encore au maitre dinantais Henri de Roussillon, pour se procurer la cloche du campanile de leur Hôtel de Ville. A Tournai, comme nous l’avons dit, dès 1395, Jehan de Paris fournit la clochette de la chapelle de l’ancien hôtel de ville. Trois années plus tôt encore, un fondeur d'origine artésienne, Robin de Croisilles, est chargé de fondre la Bancloque, le Vigneron et le Timbre. L'une de ces cloches, le Vigneron, s'étant fêlée (rompue) peu d’années après, ce fut notre compatriote Michel de Gand, qui fut chargé de le refondre en 1416, comme on le verra bientôt.

Robert de Croisilles, était maitre des cloches de la cathédrale de Cambrai. Il refondit la cloche Estreline de cette église en la même année que le Vigneron. II parait que ce fondeur appartenait à une famille de l'Artois (Croisille est une localité artésienne), dont les membres ont laissé leur nom sur plusieurs cloches encore existantes au XIVe siècle. M.J.M. Richard cite un peintre nommé Baude de Croisilles, établi à Arras en 1302, et M. le chanoine Dehaisnes mentionne en 1324 un orfèvre artésien du même nom.

M. le professeur H. de Loersch, de l’université de Bonn, fait connaitre l'auteur, nommé Jacques de Croisilles, d'une cloche de la paroisse de Saint- Pierre à Aix-la-Chapelle, encore conserve et datée de 1251. La Banclok de Compiègne fut fondue en 1305 par Gilles de Bliki et Guillaume de Croisilles. Les cloches de Valenciennes, et de Beauvais (1326) sont de ce dernier, et celles de Péronne (au nombre de trois, fondues de 1376 à 1398) d'un autre Guillaume de Croisilles, qui était probablement son fils ainsi que Robert, l’auteur de la Blanclok de Tournai. M. J. Houdoy nous apprend dans son histoire de la cathédrale de Cambrai, qu'en 1408 Colard de Croisilles, fondeur de cloches, refondait la petite Perrinette.

Au XVe siècle la fonte des cloches est devenue une industrie tournaisienne. Loin de dépeindre des artisans étrangers, notre ville envoie ses cloches au dehors, à Courtrai, et jusqu'a Louvain. Toutefois les fonderies de Lille luifont une certaine concurrence.

Voici quelques données, la plupart inédites, concernant cette branche de l’art du cuivre de notre ville.

Colart Bachin, maitre fondeur cité dans les comptes de l'église de Saint- Nicolas en 1433, est sans doute le même que Colard, le fondeur qui en1431 dépend et repend le Vigneron pour en améliorer la suspension.

Simon Maigret, fondeur de cloches tournaisien, coula en 1457 le bourdonet une autre grosse cloche de l’église Saint-Pierre à Louvain. Ces cloches portent encore le nom de notre concitoyen. Mathieu Goury livre en 1504 une cloche de 3000 livres à l’église de Pecq. Son œuvre est examinée par Gérard du Hem, « caudrelier, » et Jehan Marchand, fondeur de laiton.

Gérard du Hem n'était pas que chaudronnier ; il était aussi fondeur de cloche. II était marié à Jehanne Genois (sans doute une parente du sculpteur de talent dont nous avons parlé), et mourut en 1541. Après lui apparait comme artisan du même métier Guillaume du Hem, sans doute son fils ou son neveu, qui livre une cloche pour le beffroi. Quant à Gérard, il vend en 1517, aux paroissiens de Deerlyck, près de Courtrai, 2284 livres de métal pour faire fondre des cloches. Vers 1530, le même fondeur, en compagnie de son frère Jehan du Hem, s'engage à fournir à l'église de Saint- Piat, huit cloches « bonnes et belles, accordées pour faire un bon battelage et harmonieuses, rendant son, chacune selon leur poix, aussi bon que les cloques de Saint-Martin (…) » Probablement ces promesses magnifiques furent-elles mal tenues, car des artistes furent nommés pour trancher un différent qui surgit à leur sujet entre les égliseurs et nos fondeurs.

Aussi en 1402 Maitre Isaac Heuwin, de Lille, livre les grosses cloches de l'église de Saint-Julien à Ath.

Tournai possédait alors au moins deux fonderies de cloches. Nous venons de constater l'existence de l'atelier des du Hem de 1517 à 1541. II avait un rival dans celui de Nicolas Boileaume, « fondeur de cloches, qui, en 1532, refond les clochettes des portes de Sainte-Fontaine et de Valenciennes » et peut-être celui de maître Thomas Chevalier existait-il en même temps. Ce fondeur de cloches habitait rue de la Ture, et était marié à Anne de Vanestin. II eut pour enfants : Michel, Thomas, Simon, Suzanne, Marie et Jeanne Chevalier.

Le 5 juillet 1563 il leur fit une donation d’entre vifs. A cette époque toutefois, nous étions tributaires de Malines pour certaines fournitures spéciales, comme celles du mécanisme du carillon du Beffroi, car en 1544on achetait à Jacques Waghemens, (ou Waghevens), demeurant à Malines, fondeur de cloches, «dix-sept appeaulx nouveaux pour l’horloge de la Ville ».

Nos ateliers subsistent au XVIIe siècle. Jean Grongnart, fondeur de cloches, fait en 1620 la quinzième cloche du baillage du Beffroi. Ce fondeur était-il tournaisien? Etait-il parent de Pierre Grongnart, fondeur montois, qui coule dès 1598 deux des trois cloches de l’église de Ligne, et en 1645 la grosse cloche de celle de Saint-Julien à Ath?

Jean Florent est mentionné en 1626 comme fondeur de cloches. En 1631, Antoine Scaverain, fondeur de laiton, refond deux nouvelles clochettes fêlées du Beffroi, en en augmentant le poids, et en fond une nouvelle pour 162 livres. II reçoit 127 livres, 14 sols, en 1653 pour avoir refondu une cloche de l'église de la Madeleine. Jehan Serve, fondeur de cloches, demeurant en la paroisse de Sainte-Marguerite, reconnait avoir reçu 1156 livres de métal pour fondre une cloche pour l'église de Dergneau. Adrien Allio, maitre fondeur, fournit à la Ville en 1673 deux cloches « de métaille » pesant 98 livres.

Francois et Pierre Colin, refondaient la grosse cloche de la paroisse de Saint- Sauveur en 1670. Le premier habitait la paroisse de Saint-Piat. A sa mort (1691), il attribuait à son neveu Francois Barbieux, ses outils, ainsi que les croisures de fer servant à tourner les plats d'estainnier, et les patrons qui seront trouvés à ma mort servant a mon métier. » II fournit en 1690 et en 1693 quantité de chandeliers a la Ville. Cette lignée de fondeurs devait s’éteindre au siècle suivant en la personne du maitre fondeur Jean Colin qui fournit en 1723 deux cloches pour l'hôtel de ville. II était paroissien de Saint-Piat. En 1752, il lègue à son tour ses « ustensils et instruments a tourner cuivre » à Francois Barbieux, dont il était également l’oncle.

François Barbieux, notre principal fondeur du siècle dernier, fut seul héritier de ses oncles Jean et François Colin. C’est de ses mains que sont sorties, en 1713, la moderne Marie Pontoise, une autre cloche plus petite de la cathédrale provenant de l'abbaye de Saint-Martin (1733), et une quantité de cloches des églises paroissiales. La même année on lui confia un travail important : le 24 novembre 1713 se fêla la grosse cloche du château de Mons. On fit venir de Tournai, pour la refondre, notre François Barbieux. Deux fois, il manqua son ouvrage, par suite une avarie survenue à son four;

la troisième fois, il réussit en perfection, si ce n’est que la cloche était de deux tons plus haut qu’il n'était convenu. Elle fut coulée le 16 mars 1714. L'alliage était mêlé de cuivre rouge venant de Suède, et d’étain d'Angleterre.

En 1744, la ville de Tournai l'appelait à réparer le carillon du Beffroi. II a laissé son nom sur une cloche de l'église de Sainte-Marguerite datée de 1734.On lui commande en1737 un carillon dedix-sept cloches pour l'église de Saint-Jacques. Il fait quatre autres petites cloches pour la même église en 1753, une pour l’église de la Madeleine en 1734.

Il devait avoir pour successeurs, a l'époque moderne, les Drouot, auteurs de plusieurs cloches de nos églises, à la cathédrale, a Saint-Jacques, a Saint- Quentin, à Sainte-Marguerite, à la Madeleine, etc., et dont un rejeton perpétue dans nos murs cette belle industrie.

Notons encore (…) que le Bulletin de la commission historique du département du Nord (t. 1, page 96, note), signale une cloche de l'église de Baisieux, fondue en 1761, par Denis-Joseph Vandale de Tournai. Nous donnons aux annexes l'inscription qu'elle porte.

ANNEXES

Allio (Adrien) — A Adrien Allio, maistre fondeur, pour avoir livré deux cloches de métaille, pesant les deux quattre vingt dix huict livres, paye 235 lb. 4 s. (C. d'ouv. de 1673).

Barbieux (François) — A François Barbieux, fondeur de cloches, lui a esté payé à bon compte de la réparation du carillon du Belfroid, 610 lb. (C.d'ouv. de 1744). Au nomme Barbieux, fondeur de cloches, en suite de convention faite pour augmenter et perfectionner le carillon du Beffroid, 360 lb. (C. d'ouv. de 1745). François Barbieux, fondeur de cloches, fut institué héritier par ses deux oncles, Jean et François Colin, fondeurs.

Boileaume (Nicolas) — A Nicolas Boileaume, fondeur de clocques, pouravoir refondu deux clocquettes servans l’une a la porte Saincte-Fontaine et l'aultre à la porte Vallenchenoise, lesquelles paravant estoient cassees, 13 lb. 9 s. (C. d'ouv. de 1532).

Chevalier (Thomas) — Fondeur de cloches, habitait la rue de la Ture. Le 5 juillet 1563, il fait une donation d'entre-vifs à Michel, Thomas, Simon, Suzanne, Marie et Jeanne Chevalier, enfants qu'il avait eus de sa seconde femme, Anne de Vanestin.

Colart, le fondeur — A maistre Colart le fondeur, fondeur de cloques, pour son sallaire et deserte d'avoir despendu et rependu les cloques duWigneron et du Disner, estant au Belfroy, afin que on les peust sonner plus aisiement, comme il estoit mestier de faire, 12 lb. 10 s. (C. d'ouv. de 1431).

Grongnart (Jehan) — A Jean Grongnart, fondeur de cloches, pour la façonde la quinzième cloche du baillage du Belfroid, 11 lb. 10 s. (C. d'ouv. de 1620).

Scaverain (Antoine) — A Antoine Scaverain, fondeur de layton, pour avoir fondu deux nouvelles cloches cassées du Belfroid, les augmenter de poix,en fondu une nouvelle et livre le metail, 1é2 lb. (C. gen. de 1731). Payé à Anthoine Scaverain, pour et en tant moins de la refonte d'une cloche, 127 lb. 14 s. (C. de I'egl. Sainte-Marie-Madeleine, 1653).

Serre (Jehan) — Le 7 mars 1565, Jehan Serre, fondeur de cloches, demeurant en la paroisse Sainte-Marguerite, reconnait avoir reçu 1156 livres de métal pour fondre et composer une cloche pour l’église de Dergneau.