Grospierres, le Chastelas
Cette page est un documentaire sur le village fantôme du Chastelas, à Grospierres en Ardèche. Ce genre de reportage se trouve un peu à la limite de l’urbex, tant les lieux sont en état de ruine. Les maisons étaient déjà abandonnées en 1930. Afin de ne pas payer d’impôt, les anciens habitants démontaient les toitures en partant. Ca a largement contribué à l’accélération de la dégradation des lieux.
Peut-on parler de village abandonné, d’archéologie ? Quelque part peu importe. Ce hameau abandonné d’Ardèche offre une randonnée passionnante et un paysage peu commun (c’est par exemple très peu le cas de Rochecolombe, qui en fin de compte n’est pas fantôme, malgré ce qu’on peut y lire).
L’accès au hameau fantôme de Chastelas est pour le moins déroutant. C’est un entrelacs de petites routes, desquelles il est réellement difficile de s’orienter. En réalité, un petit parking, dédié aux randonnées, existe en bas du chemin. Le site ne connaît aucune restriction d’accès, si ce n’est qu’une large part des habitations relève de la propriété privée.
Une association, Renaissance du Chastelas, possède une part des habitations et tente, tant bien que mal, de rénover certaines. C’est notamment le cas du château et du four à pain. Comme ils l’évoquent, le reste appartient à des propriétaires privés ou à la commune. Bien des maisons sont dans un état tel que les murs ou les voûtes forment des lieux relativement dangereux.
De ce que l’on sait, le château existait déjà au XIIème siècle. Les dates figurant sur les maisons, rares en réalité, mentionnent le XIXème siècle. Il est indéniable, au vu de l’architecture, qu’un grand nombre est plus ancien. Le bâti est entièrement dévoré par la végétation, très peu y échappe.
Comment vivait-on dans un lieu aussi aride, aussi austère ? Les environs ne sont que cailloux et jungle multiforme. Un gros rocher domine le village, on dirait qu’il n’a pas de toponymie. Un peu plus loin, une magnifique chapelle s’appelle Notre-Dame des Songes. Ca fait rêver. Un peu plus loin encore, on peut se baigner dans les eaux limpides de la Font Vive. Un lieu de rêve ? Comme je le disais pour Thines, où j’habite : le plus beau des écrins peut se transformer en enfer quand on n’y gagne pas sa vie.
Les habitants partent peu à peu pour du plus facile, si ce n’est qu’ici, la déprise agricole a été encore plus précoce qu’ailleurs. L’on relève que le village est vide en 1930. On dépasse largement La Pluie Jaune, les villages abandonnés des Pyrénées espagnoles. Bref, les paysans ont indéniablement croulé sous les difficultés, ça se comprend, et sont descendus dans les plaines fertiles. C’est ce qui nous offre ce paysage aujourd’hui.
Le hameau compte 28 maisons, bien qu’il soit difficile de le déterminer. C’est à la fois imbriqué et parfois confus. Je vous invite à la promenade. La lumière est bien meilleure le soir, ne faites pas comme moi à y aller tôt le matin.
La promenade propose cette première maison.
Elle possède un beau linteau.
Elle est dévorée par le lierre.
Détail sur la clé de voûte.
Au fil des promenades, nous avons trouvé une ultra-merveille, ce frontispice.
Le texte est une énigme d'ampleur, on y comprend rien ! En 1992, un certain Robert Helmling en dresse l'analyse.
Le texte : ARVEYTRE FERMY ANTONIOVSOVICHELIM JORK VENTAVZEN SIBENE ONDRE TREY FOUPCHY GOD FREN CVM TERAIN MAKSOV
Ce chercheur dit :
ARVEYTRE, serait dérivé du mot allemand Travail.
FERMY, provient de l'allemand Für ou de l'occitan Per. Traduction Par Moi.
ANTONIO OVICHE, plusieurs chercheurs disent qu'il s'agirait de Antoine Boissin.
CHBLIM, CHELIM, un lien de parenté avec l'hébreu Chalom
IORK, doit être rapproché de l'allemand Verke, travail.
VEN, ils ne savent pas.
TAVZEN SIBENE ONDRE TREY, mille sept cent trois.
FOUPCHY, éventuellement du latin fodicare, ayant donné FOUTJA, fouir, piocher, cultiver, ou du latin Unctum, oindre, qui a reçu l'onction.
GOD, Dieu.
FREN, du latin Firma, signifiant ferme.
CVM, cum, Avec.
TERAIN, du vieux provençal, TERREU, Terre.
MAKSOV, prénom de Marc, ov indiquant le fils de Marc.
Ce qui nous donne, si on s'accroche :
TRAVAIL FAIT PAR MOI ANTOINE BOISSIN, SALUT.
BATI QUI A ETE CONSTRUIT ET BENI EN 1703.
GRACE A DIEU, FERME ET TERRE DU FILS DE MARC.
Michel Wienin, qui a eu la gentillesse de nous guider dans une mine médiévale il y a 15 ans, traduit :
REALISE POUR MOI ANTOINE OICKER DE SOUABE, EN L'AN 1753, LOUONS DIEU AVEC TOUTE LA TERRE. Il traduit FOUPCHY par Fünfzig, cinquante.
Philippe Colbach nous en donne l'analyse suivante. Nous le remercions vivement pour ce travail très détaillé.
La personne en relation avec le frontispice du village du Chastelas est sans aucun doute d'origine germanophone dans un sens plus large, peut-être de l'espace flamand ou néerlandais, et ne maîtrise pas l'écriture. Et chaque ligne est à interpréter séparément, à chaque fois une déclaration séparée.
1ère ligne
Avec la mutation consonantique dans l'espace linguistique germanique, différentes variétés locales de dialectes sont apparues, dont le luxembourgeois, une langue mosellane. Par exemple, le 'b' du Hochdeutsch, la langue officielle allemande, est prononcé 'w' [prononcé 'v' en français] dans ces dialectes : 'bleiben' [fr. rester] en luxembourgeois s'écrit et se prononce 'bleiwen'.
ARVEYTRE est dérivé du mot allemand 'Arbeit' [fr. travail], mais dans le sens de 'machen' [fr. faire], donc : FAIT.
FER MY : deux mots séparé, les lettres F et M étant majorées, les lettres majorées séparant les mots pour la lisibilité. Dans la suite de ce raisonnement, FER MY signifie 'für mich' [fr. pour moi, et non par moi]. Le pronom 'mich' et souvent prononcé 'mi' dans différents dialectes germanophones.
ANTONIOUS : Antoine
Fait pour moi, Antoine (...).
Pour les deux mots OVLCHE (lettre O majorée) CHELIM (lettre C majorée), aucune explication. Les interprétations de Robert Helmling ne convainquent pas. Et la lettre S fait partie du nom ANTONIOUS, son origine de Souabe (interprétation de Michel Wienin) ne tient pas.
2e ligne, nouvelle déclaration
IORK : allemand 'Werk', anglais 'work', dans le sens de travail (et plus large : une création).
VEN : la signification de VEN est assez clair, de même que FOUPCHY (dans la même ligne), et toute cette ligne donne son sens. VEN = 'von' [néerlandais. van, fr. de]. FOUPCHY = 50, 'fünfzig', en néerlandais 'vijftig' [sans 'n'], des fois prononcé dans des dialectes 'fufzich', le 'u' allemand étant prononcé 'ou' en français, Antoine s'étant adapté à l'écriture française. C'est donc lecture de : Construit en 1753.
3e ligne, nouvelle déclaration
A part GOD, 'Gott' en allemand, 'God' en néerlandais, le reste n'établit aucun lien avec l'espace germanophone.
CVM pourrait être le latin cum, mais pourquoi passer d'une langue germanique à une langue latine ? Ca ne fait pas de sens.
Et les noms 'fils de', ...sen ou ...son, comme dans les pays scandinaves, n'est pas coutume ni aux Pays-Bas ni en Allemagne (ou Suisse ou Autriche), c'est une coutume des Vikings.
Ce qui récapitule donc en seconde lecture :
ARVEYTRE FER MY ANTONIOVS
ARBEIT FÜR MICH, ANTONIUS
CONSTRUIT POUR MOI, ANTOINE
IORK VEN
WERK VON [en Hochdeutsch, l'Allemand moderne]
OEUVRE DE [dans le sens plus large de: CONSTRUIT EN]
WERK est prononcé [v?rk] en allemand, donc avec [v], prononce le comme [vairk], le mot anglais WORK est en revanche prononcé [w??k], comme le début de OUI en français, [weurk]. On s'approche de nouveau de l'espace anglais/néerlandais. En Néerlandais, le WERK est prononcé [vurk], mais avec [v]. Quoi qu'il en soit, c'est bien OEUVRE DE la traduction mot pour mot.
VON est VAN en néerlandais, raison pour laquelle je sens que l'auteur oral du texte du frontispice, et qui ne sait de toute évidence pas écrire et a donc dicté son texte à un artisan français (le [u] allemand est écrit [ou] sur le frontispice) est originaire des Pays-Bas/à cheval avec l'Allemagne frontalière de l'Ouest.
TAVZEN SIBENE ONDRE TREY FOVPCHY
TAUSEND SIEBEN HUNDERT DREI (UND) FÜNFZIG [Allemand moderne]
MILLE SEPT CENTS TROIS (ET) CINQUANTE
Duizend zeven honderd drie (ën) vijftig en néerlandais.
GOD FREN CVM TERAIN
Maintenant, se risquer à aller loin, une supposition osée peut-être :
GOTT FREUNDE, KOMMT HEREIN [Allemand moderne]
AMIS DE DIEU, ENTREZ [dans le sens de SOYEZ LES BIENVENUS]
Le T de CVMT est passé à ERAIN (déjà, la prononciation de la lettre H n'existe pas en français, le texte germanique étant dicté à un artisan français), comme en Français, où certains mots se terminant par une consonne doivent être reliés au mot suivant qui commence par une voyelle lors de la prononciation. Ce phénomène est assez rare en langue, et l'artisan français qui ne comprend pas la langue germanique dictée a tout simplement écrit comme il a entendu la prononciation.
En Luxembourgeois, avec maintes similitudes avec le néerlandais, FREUNDE, AMIS, est également pronconcé [fren].
MAKSOV
Aucune explication trouvée.
OVLCHE CHELIM
Nom et origine ?
Comme évoqué en entête, chaque ligne est à interpréter séparément et contient une déclaration isolée.
La croix marque l'entrée du hameau.
A la croisée des chemins.
Tout n'est que ruine.
Les caves ne manquent pas de charme.
De surprise en surprise, le lieu est splendide.
1824 sur le linteau.
Que d'imposantes bâtisses.
Dont souvent il ne reste que cave.
Un peu plus loin, un croisement, une belle maison qui a été partiellement rénovée.
Les murs se dressent encore fiers.
D'autres décèdent au gré des épisodes cévenols.
Une belle cheminée.
La nature regagne ses droits.
Au sommet du village, au pied du gros rocher. Tout n'est que caillasse.
Cave sur cave, les lieux les plus préservés.
Le château. Il a été partiellement rénové.
Le four à pain.
La façade du château.
Le village devait compter nombre d'escaliers parmi les pentes prononcées.
Un des secteurs les moins dégradés.
Encore une petite venelle avec escalier.
Imposante façade.
En descendant, on ne se lasse pas de découvrir d'autres maisons, encore.
Une ancienne cour.
Cela respire le magnifique, le village devait être grandiloquent.
Belles voûtes soignées.
La dernière maison de notre parcours.