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La maison aux nains

La maison aux nains, c’est avant tout l’urbex d’une maison abandonnée, mais c’est aussi un sujet qui pose la question de l’immense fragilité : de ce que l’on est, de ce que l’on dit. Il existe au préalable le même but à chaque exploration, mettre en valeur les destins des familles, aborder le sujet en bienveillance. Plus que jamais ici, c’est de mise. Chaque parole comptera autant que chaque silence.

A cette famille que je ne croiserai jamais, j’aurais aimé être à vos côtés. Il n’en fut rien. N’empêche que là où vous êtes, recevez mes ondes, mes pensées.

Il s’agit d’une maison située sur une très grande route fort fréquentée. Elle possède tous les stigmates d’une habitation abandonnée : plus aucun entretien depuis des années, la porte d’entrée est ouverte, il n’y a plus d’électricité. Toutefois à l’intérieur c’est pétrifié, pétrifié, pétrifié. Tout est là, sans que n’existe une seule exception. L’horloge fonctionne encore, il y a de l’eau au robinet, le frigo comporte des vieux aliments périmés depuis très longtemps.

Cette maison a appartenu à Marcel et à Jeannine. Marcel est né le 12 avril 1933 et décédé le 28 décembre 2015 à l’âge de 82 ans. Jeannine est née le 16 juin 1930 et décédée en janvier 2021 à 90 ans. Ils sont inhumés dans un minuscule cimetière à l’écart de la ville.

La maison est curieuse. C’est radicalement petit. Pas d’escalier intérieur. Pour aller se coucher, il faut sortir dehors. Ils ont bricolé dans la pente malcommode une toiture en tôles de plastique. C’est pauvre, c’est très pauvre. Malgré tout et que c’est amusant, cette habitation est envahie de centaines de nains de jardins. Plein. Une myriade. Edgar se croirait à la gare du Nord de Paris un jour de départ en vacances. Ca devait être empli de vie, bien au-delà de mes questionnements d’aujourd’hui.

De partout on trouve des photos dans la maison : un petit-fils à moto avec Marcel. Il s’agit de l’enfant de leur fille, Claire. Samuel est omniprésent : les albums photo, les tableaux, un cadre comportant son prénom. Aussi : « Je t’envoie une photo de moi afin d’être toujours auprès de toi, ton petit-fils Samuel ». Le document est plastifié. Dans l’agenda de Jeannine, chaque jour est écrit : voir Samy, voir Samy, voir Samy. Ils se voyaient tous les jours.

Le récit d’un choc

C’est complètement par hasard,  après une nuée de recherches, que j’arrive à mettre la main sur un document de concession cinquantenaire dans un cimetière minuscule, excentré, et en tout cas pas du tout celui – municipal classique – du centre-ville. J’ai rendez-vous avec un ami et sous un temps venteux et radieux, nous nous y rendons. Qui découvrons-nous ?

Samuel.

Alors oui bien-sûr j’imaginais bel et bien trouver Marcel et Jeannine. Mais voilà pas Samuel. J’étais pas prêt. J’étais pas prévenu. Enfin bref comme tout le monde, comme les grands-parents, comme Claire qui a perdu son gamin à 18 ans et s’ensuivent toutes formes de dévastation ou je ne sais quoi.

Et quand soudain une maison abandonnée devient une famille que tu comprends, que tu prends en cœur, que tu as envie de protéger – tu ne peux rien faire malgré tout. Lorsque la petite Jeannine a rédigé, jour après jour, voir Samy, ce n’était pas pour prendre un thé à la bergamote avec lui, et lui ne trouvait pas le temps long, rêvant de reprendre sa moto. Non. Il est là. Là ici juste devant et ça fait bien chier.

C’est un récit qui fait que ça s’arrête là, parce que les silences ont plus de respect que les mots.

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