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La maison Poulain

La maison Poulain, un endroit en bord d’une grande route très passante, je suis passé quinze mille fois devant : je n’avais jamais fait attention. Pourquoi ? Je suis seul, je fais attention à la route, c’est comme ça que des petits endroits magique m’échappent. Soudainement au détour d’un café, cette assez grande maison m’est indiquée par Sophie Sokebana. J’hallucine. Comment une si grande évidence a pu s’esquiver ?

Peu importe d’avoir laissé filer le temps fugace, ce n’est pas un échec ; il faut rattraper de son mieux, comme bien souvent en urbex : des éloignements, des délais, des beaucoup-comme-on-peut. Du coup en cette journée froide mais ensoleillée, automne agréable, me voici à descendre vers chez toi, André. Le vent est puissant, ça doit être un canal cet endroit. Ca s’engouffre furieux de partout dans la maison.

Volets qui claquent, porte de la cuisine qui se referme toute seule. On ne se sent pas seul dans cette habitation, pas du tout, pas du tout vraiment. Fantôme ? Je ne sais pas, comme si je n’étais pas réceptif, mais en tout cas pas un seul moment d’étouffement. Plutôt bien. Et même de la bienveillance.

C’est la maison d’un petit pépé, le papet comme on dirait dans mon patois. Plus ça va, plus je m’attache à lui. C’était un petit garagiste. Il tient ça de famille. Le papa de sa mère était garagiste-charretier. Un brin d’historique, avant la suite du récit.

André R. a un nom peu commun, ça va faciliter les recherches. Mais si peu de papiers dans cette maison, on ne trouve qu’une myriade de vieux Paris-Match, des France Dimanche, des documents épars sans intérêt aussi. Une vie au sol, éparpillée. André est né en 1924 et décédé le 11 septembre 2010 à l’âge de 86 ans.

Sa mère, Marie-Louise, née A., née en 1897 et décédée en 1983. Après c’est le mystère, aucune trace de son père. Par contre deux oncles d’André, Gaston et André, tous deux décédés en 1933. André tient-il son prénom en honneur d’un oncle ? Pourquoi cette même date ?

A l’époque, tout se récupérait, tout servait. Au milieu du bric-à-brac, des dizaines et des dizaines de boîtes chocolat Poulain. Des pleines, des vides. Ca sert à ranger. Des boîtes de farine de lin, une est à moitié pleine : moisi-pétrifié. Sur la table, une bouteille de pinard. Elle est remplie à un quart. Le verre est à côté. La veste est posée sur la chaise. Tout s’est arrêté. Tout d’un coup. Une photo d’André sur la table, très âgé.

C’est la merveille de l’urbex, arriver dans un monde authentique, une vie qui s’est figée, qui s’est arrêtée comme ça brutalement : visiteur d’une intimité familiale en fin de compte importante. Que d’authenticité brute, quel endroit incroyable ; voilà ça n’a plus bougé.

J’ai ramé sec à retrouver sa tombe. La maison est sur une limite territoriale, elle a changé de commune dans les années 1970. Puis sans explication aucune, André est inhumé ailleurs : trois cimetières pour le retrouver. Il fait beau, je le cherche inlassablement, immense bien-être. Quelle chance de le retrouver.

Je suis seul, je parle aux vents (les gens seuls font ça souvent) : je me confie à lui : papè, ta croix est cassée, je vais te la changer. Je fleuris ça tombe. Je l’aime bien ce petit pépé garagiste, un de plus dans la grande famille.

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