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La maison Ginette

Cette maison figurait sur la carte de points depuis un temps immémorial. Au bord d'une route très passante, cette bâtisse se rappelait sans cesse à nous, sans que jamais ne vienne le moment adéquat. Puis voilà, la rencontre a eu lieu.

C'est une maison abandonnée qui est terriblement envahie de pigeons, et donc en conséquence, de montagnes de guano collant et odorant. Le premier abord n'est pas encourageant. De plus elle a été pillée, cet aspect complété par 10 ans d'abandon. C'est abîmé. Il reste que l'histoire de cette maison en fait une agréable archéologie familiale.

Cette maison appartenait à Ginette et Arsène.

Les parents de Ginette, Anaïs et Emile, se sont mariés en novembre 1931. Ginette est née en octobre 1932. Les parents agriculteurs ont transmis à leur fille le savoir-faire.


Ginette au centre, frère et soeur aux côtés.

Le 25 mai 1955, Ginette s'est mariée avec Arsène, né en janvier 1929.

Quelle fut le récit ? Celui d'un mariage voulu par les parents, ou bien une histoire qui a peut-être été un peu trop vite ? Le mariage fut compliqué.

Ils habitaient dans un petit village alentour. La venue de Laurent, leur fils, a compliqué la donne car le logement dont ils disposaient était inadapté. Du coup, ils ont déménagé dans cette maison - que nous visitons - de manière temporaire. A la suite de bien des déboires, le temporaire s'est avéré définitif.

Arsène était professeur dans les sciences, Ginette petite agricultrice locale très heureuse de l'être. Le couple a manqué de fusion ; ils se sont entre-déchiré concernant le destin de Laurent. Enfin, c'est ce que l'on dit dans le village. Ils ont divorcé. En 1994, nous relevons qu'Arsène reçoit du courrier au 71 boulevard Saint-Jean au Puy-en-Velay.

A ce jour, Ginette est inhumée au cimetière de son village de naissance, dans un caveau familial. Elle est décédée en 2014. Elle est présente sous son nom de jeune-fille. Par méconnaissance au moment venu, je n'ai pas été rechercher la tombe d'Arsène. C'est franchement dommage (et en aucun cas du mépris).

La maison quant à elle est en indivision et en très grande souffrance. Sa ruine semble inexorable. Il nous a été précieux, une grande émotion, de retrouver les petits chaussons de naissance de Laurent. Nous avons essayé de protéger ça des pillards et des pigeons.


La tombe de Ginette.

Recherches généalogiques : Antiope Holstein.
Recherches documentalistes : Bénédicte et Alicia.

La maison de Ginette est localisée le long d’une grande route très fréquentée. Nous sommes des milliers à passer devant chaque jour, sans même la remarquer. Elle est en état d’abandon complet depuis 2014. Dix ans ont passé, dénombrant combien de véhicules, pour une solitude si tant infinie dans cette bâtisse oubliée ?

La façade est envahie de végétation, pour nous elle figure depuis un temps fou sur les listes, laquelle s’avère presque aussi longue qu’une attente chez le docteur en période de grippe. Un jour l’occasion arrive ; souvent on ressent comme une appréhension de savoir qu’on sera déçus (il n’y a rien), mais malgré tout une émotion naissante : allez qui sait, y’a p’têt bien du papier là-dedans !

J’entre en premier, en éclaireur. Je suis tout de suite saisi par deux choses prégnantes. Premièrement les nuées de pigeons qui se barrent par toutes les ouvertures. Mazette ça ne sent pas bon une situation pareille. Et moins drôle, le compteur électrique tourne. C’est à l’encontre de mes règles de base.

C’est un très ancien modèle. J’essaie de le couper, mais je me rends compte que ça ne fonctionne pas : il n’y a plus aucun disjoncteur ni différentiel. Ca fait longtemps qu’il est mort, l’alimentation générale est en train de court-circuiter à l’intérieur, c’est ça qui grésille. Une seule solution, couper le câble à la hache. Malin ou idiot je n’en sais rien, donc simplement pas touche à ça.

La maison a énormément souffert des volatiles et de l’abandon. Reste que dedans, il y a tout, malgré l’habituel désordre lié aux voleurs. Une masse de papiers aussi. A ma suite, les enfants viennent pour la visite, Alicia fouille opiniâtre et trouve un paquet de documents intéressants, tous à photographier rapidou. Elle me fait penser à Sophie dans inspecteur gadget : toujours douée pour dépatouiller de sacrées situations.

Une pièce de l’étage est inaccessible du fait que derrière, il s’y trouve 80 centimètres de merdes de pigeons. La porte est bloquée. C’est dire l’état d’abandon. Les premiers documents épars révèlent que c’était la maison de Ginette et Arsène. Des gens simples, des gens bien aussi. C’est ce qu’on en dit dans le village.

Notre récit commence il y a très longtemps dans un hameau perdu dans la campagne, au nom atypique et envoutant (quel dommage que je ne puisse pas en dire plus). Anaïs et Emile s’y marient en novembre 1931. En octobre 1932 naquit Ginette. L’enfance se déroule dans un cadre agricole plutôt rude, Ginette passe une part de son enfance dans la seconde guerre mondiale. En ces temps, ce n’est facile pour personne.

Avec son frère et sa sœur, elle pose en photo au sortir de la guerre. Jeune adolescente, on la devine déjà forte, il ne fait nul doute qu’elle travaille dur à la ferme familiale, une vie dans laquelle elle s’épanouit. Demain son destin va basculer.
Au sortir de la période de guerre, la lumière revient graduellement. Année 1955, Ginette se marie avec Arsène, un garçon du village.

Était-ce un mariage voulu par les parents ? Peu probable. Ou bien une histoire qui a été un peu trop vite ? On pourrait le deviner. Assez rapidement arrive dans leur vie Laurent, leur enfant. Il est en pyjama rouge, c’est un beau bébé. Toutefois, il appert que des problèmes crus de logement vont commencer à amener des nuages gris sur l’ambiance, les menaces s’abattent.

La maison du « village-au-nom-exotique » est trop petite ; le couple manque plutôt férocement de moyens en cette instant là. Ils prennent un dépannage à quelques encablures, une maison au bord de la route. Elle est peu adaptée, peu agréable, bricolée cette bicoque on dira. Ce sera temporaire, écrit Arsène, dans un courrier adressé à son notaire et conseil. Le temporaire est devenu le définitif que nous visitons aujourd’hui.

Le logement étant ce qu'il est, un pâle dépannage déclare Arsène, des nouvelles tensions apparaissent, puis au fil des années, cela s'accroit pour devenir ce que l'on me décrit oralement comme étant 'électrique'. En réalité, Arsène ne désire pas trop tout cela.

Le couple se déchire concernant leur fils. Ginette est de la terre. Elle a une vache. Elle se plait d'une petite vie agricole régulière. Arsène est dans les sciences, l'on croit se souvenir de lui qu'il était enseignant (les témoins ont reconnu avoir quelques doutes sur la mémoire). Quoi qu'il en soit, il émerge des dissensions fortes concernant le futur de leur enfant.

Quel a été le déroulé de tout cela ? Cette mémoire n'appartient qu'à la famille. Quoi qu'il en soit, nous relevons qu'en 1994, Arsène habite dans une grande ville quelque peu éloignée. Un divorce était inéluctable.

Dans la maison se trouvent encore les chaussettes de bébé et la layette de Laurent, tout est tricoté à la main. Une véritable merveille, intacte.

Dans cet ensemble de noirceur, on voit malgré tout que la famille est simple et belle. Dans la chambre de Laurent se trouvent encore les jouets. Que c'est amusant de voir qu'il s'agit de machines agricoles ! Certains jeux sont ceux de mon enfance, j'en reconnais les boîtes – ça m'était complètement sorti de la tête. Aujourd'hui, il exerce un métier qui n'est ni celui du père ni celui de la mère, et ça marche bien !

Le dernier calendrier de la maison est daté de 2013, Ginette nous a quitté en 2014. Demain nous allons partir à sa recherche et pour ainsi dire comme d’habitude, disons ce ne fut pas un long fleuve tranquille !
Sous un soleil généreux et très agréable, nous partons avec les enfants au petit cimetière ; une fois quadrillé, nous ne trouvons personne qui puisse correspondre à la famille. A peu près au milieu se trouve un caveau discret de fosse commune, je nourris des craintes. J'appelle la mairie, c'est une toute petite commune, personne n'est présent ce jour. Nous partons sur de nouvelles et prochaines aventures vers Clermont-Ferrand, tel est le destin.

De retour presque une semaine de vadrouille plus tard, je m'arrête devant le cimetière en me disant que peut-être j’avais… ... hé, mais je constate que la mairie est ouverte, mazette j'y file !

Centre du village, une personne très âgée est en difficultés, je l'aide à monter dans la voiture (le chauffeur n'arrivait pas à porter pépé) : au moins j'aurai été utile aujourd'hui.

A la mairie, accueil chaleureux c’est le moins qu’on puisse dire, l'on m'apprend que Ginette est en caveau familial à son village de naissance, tout en bas à gauche qu'on m'explique. J'y vais de ce pas et ... oui effectivement, ils disaient vrai avec une mémoire carrément touchante (ils l’aimaient bien la Ginette). Elle est inhumée sous son nom de jeune fille, au beau milieu d'un paysage envoutant.

Par méconnaissance de l'histoire familiale, j'ignorais à ce moment-là qu'Arsène est à quelques distances. Désormais tout cela est loin de moi ; un de ces jours j’irai à sa rencontre, c'est certain.

Au départ de Ginette, un diagnostic technique de la maison a été fait, ce qui témoigne qu'il a été tenté de la vendre. Pour une raison ou une autre, cela a échoué. Désormais le navire est entièrement coulé, au vu des dégâts totalement considérables provoqués par les volatiles.

Lorsque le compteur électrique cramera (si ce n'est pas déjà fait), emportera-t-il la maison, va-t-il juste fondre sur place ou noircir le mur de suies hideuses ? C'est moche parfois l'abandon. Il ne fait nul doute que des raisons intrinsèques provoquent que c'est subi : personne ne laisserait aller une maison toute entière comme ça volontairement.

On se fait un café dans l’herbe, mille pâquerettes nous entourent. Aux enfants, je témoigne que c'est un geste bénéfique d'aller honorer des tombes même si au fond, on ne connait pas les gens plus que ça. Ils font partie d'un récit, nous sommes étrangers et entrons en toute fin de parcours. Les enfants savent, ils voient ces démarches (ce n'est pas la première fois) : sous le soleil agréable c'est bénéfique que nous portions ces gestes tous ensemble.


Ginette dans ses vieux jours.


La photo de mariage de Ginette.


Photo d'identité d'Arsène.


Arsène en tenue militaire.


Le mariage des parents de Ginette. Ils vivaient nombreux à la ferme et ensemble : grands-parents, parents, frères et sœurs et grand oncle famille grand-mère maternelle. René et Marie-Rose sont les frère et soeur de Ginette. Jeanne qui figure sur la tombe de Ginette est sa tante, morte à 15 ans. Les deux familles sont exploitants agricoles. Les grands-pères de Ginette et Arsène sont exploitants mais patrons, ce qui veut dire qu’ils ont un minimum de situation, c’est à dire qu’ils ne sont pas ouvriers ou journaliers. Dans la maison d’Arsène vit son oncle Elie, propriétaire d'un gîte dans les années 90. Ginette provient d'un hameau. Il y a très peu de maisons. Il est pour ainsi dire sûr que la photo de son mariage et de celui des parents, le mur avec la vigne ou la glycine, est dans ce hameau.

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