Le moulinage abandonné, l'usine
Nous avons reçu les photos d'un voyageur et nous en avons fait la synthèse historique.
Nous voici au cœur d’une usine de moulinage. Il s’agit d’un terme assez essentiellement ardéchois qui consiste à définir un métier de tissage du fil de soie. Au sein des Cévennes, on peut rencontrer une activité relativement proche, qui est la magnanerie, c’est-à-dire le bâtiment dans lequel on pratique l’élevage du ver à soie.
Cette fabrique m’a été présentée par François, que je remercie très vivement. Au tout départ de cette activité industrielle d’antan se situe le mûrier. Vous souvenez-vous, les amis, que je me fus arrêté un instant afin de regarder les fruits d’un mûrier blanc, dans l’espoir de déguster les fruits ? Le mûrier servait à nourrir le ver à soie.
Transformer le cocon du ver à soie en fil passe par deux étapes : le dévidage et le moulinage ; notre fabrique s’appelle moulinage & retorderie. La première étape consiste à dérouler le fil présent à l’intérieur du cocon. Ils sont plongés dans de l’eau très chaude afin de ramollir la séricine, une sorte de colle naturelle produite par le ver à soie et qui forme une pellicule en surface. Une fois l’extrémité du fil dégagé, on déroule ensuite le cocon pour obtenir un fil de soie brute, également appelé la grège.
Le dévidage consiste donc à enrouler le fil d'une flotte sur une bobine horizontale appelée le roquet. Des roquets, on en trouve des centaines éparpillés dans cette usine, vestiges abandonnés, comme si tout s’était arrêté d’un coup.
Arrive ensuite la seconde étape, durant laquelle les fils de plusieurs cocons sont assemblés en leur donnant une torsion. C’est le moulinage. La diversité des torsions permet d’obtenir une multitude de tissus, c’est ce qui rend le fil de soie si solide. Le principal système de torsion consiste à déplacer le fil d’une bobine à une autre. Le support receveur tourne moins vite que le support distributeur et les axes de rotation de deux bobines sont perpendiculaires. La torsion est d’autant plus forte que la différence de vitesse de rotation est grande.
Bien qu’il soit largement effondré, c’est l’appareil que l’on voit dans les premières photos. C’est ce que l’on appelle le moulin. Il était mû par la force hydraulique. Derrière le moulin se trouve un espace clos, sombre, très étroit, comportant une immense roue à aube. Lieu parfaitement incroyable et pour ainsi dire impossible à prendre en photo. La béalière devait amener l’eau de très très loin, car le ruisseau se trouve sous la filature, la roue à aube tout en haut.
Le moulinage se situe entre la filature et le tissage. Cette activité était répandue en Ardèche lors du déroulé de la révolution industrielle ; les usines étaient alors de longue bâtisses situées au fond des vallées indispensablement placées le long des cours d'eau.
L’usine que nous visitons ne produisait pas toutes les étapes de l'apprêt de la soie. D’après les documents que nous retrouvons sur place, la fabrique recevait les ballots de fil grège depuis Lyon, qui comportait le siège et la direction. Ils réalisaient le premier apprêt : une torsion simple, donnant un simple fil nommé le poil, et second apprêt, lors du doublement de ces fils par une seconde torsion : le fil de chaîne.
A parcourir le catalogue, la fabrique produisait des organsins : un fil de soie composé de deux ou trois brins de soie grège tordus de droite à gauche sur le moulin et que l'on remet une seconde fois ensemble au moulinage, afin de leur faire subir une torsion de gauche à droite destinée à en faire un seul fil. Des trames : des fils qui croisent transversalement les fils de la chaîne préalablement tendus sur un métier, afin de constituer une étoffe. Des crêpes : une étoffe plus ou moins légère et transparente à l'aspect ondulé, dont la texture grenue est obtenue par une forte torsion des fils.
Un contrôle des bobines était effectué par un trieur, dans un endroit fortement éclairé avant l'expédition. C’est la seconde pièce que nous présentons, après celle du moulin. A la cessation d’activité de cette fabrique, l’activité a été transférée au sein de l’usine de l’extinction imminente, dont nous présentons également un reportage. Les dates sont floues, mais si l’on en croit les quelques pistes d’information, l’activité aurait été créée en 1921 et transférée en 1967.