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La maison Mélancolie

Nous voici en visite dans une ancienne ferme abandonnée, localisée dans un lieu reculé de la campagne française. Cette ferme, c'est avant tout l'histoire de sa fermière. Le récit est si intense, si grave, si touchant, exceptionnellement nous ne citerons pas même le prénom de cette personne. Son décès a fait le tour de la presse nationale, la mairie et le voisinage ont été profondément ébranlés par ces évènements en soit banals, mais terriblement impactants.

Ce documentaire est érigé en sa mémoire, afin de la mettre en valeur. Que cela peut-il servir, puisqu'en vue de protéger le bâti, je ne la cite même pas ? Les bonnes ondes sont là, et afin de rétablir un semblant de bonheur dans un parcours dur comme la pierre austère, désert glacial, que cela soit.

Étonnamment, les récits de journalistes sont justes, sans exagération ni inexactitude.

La famille était implantée en ce lieu reculé de campagne depuis des temps séculaires. Les parents étaient sévères comme un roc (surtout le paternel), la vie s'organisait sur de l'élevage et de la culture, comme ce fut partout dans la moindre ruralité. Il s'avère toutefois que le quotidien s'avérait pour le moins austère. Lorsqu'il s'agissait d'aller au bal, la fille unique du couple y allait en cachette.

Cela signifiait qu'elle s'y rendait en bleu de travail et se changeait derrière un rocher, dans le but d'aller danser. Elle fut découverte, ou trahie l'histoire ne nous le révèle pas en précision, et fut cloîtrée durant six mois.

C'était une ferme à l'ancienne, n'ayant pas connu de modernisation notoire. Du coup, l'entretien des quelques vaches et du troupeau de brebis se faisait avec des outils pour le moins ancestraux.

Au décès de la maman dans le courant des années 2010, la situation s'est notablement compliquée, du fait que notre fermière s'est retrouvée seule à exploiter, de surcroît éminemment solitaire et carrément sauvage. Très peu de contacts avec le voisinage étaient tissés, une affabilité plus que partielle avec les commerçants. Etait-elle dure ? Non. J'en suis convaincu. C'était un coeur brisé qui n'a fait que se défendre contre l'adversité.

Suite au décès, elle décide de moderniser la ferme et achète du matériel roulant permettant de balloter. Cela engendre un allègement des tâches. Mais elle ne s'en sort que difficilement, les travaux sont lourds, ingrats. Lorsque sa voiture tombe définitivement en rade, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Elle est à bout de ressources, à bout de forces.

On ne la voit plus que très peu. Puis, amaigrie, affaiblie, on ne la voit plus du tout. Ce n'est pas tant qu'on s'en moque, mais tout un chacun sait qu'il est très difficile d'aider quelqu'un qui ne demande rien. Elle ne demandait rien, vraiment. Ultra solitaire d'apparence, elle reçoit des colis du voisinage ; des paquetages qui sont déposés, ils ne transitent pas de main en main.

Puis un jour, ça débarque vite des choses comme ça, le colis ne fut plus collecté.

On se rendit compte que les bêtes étaient soit décédées, soit mourantes. Les quelques survivantes furent euthanasiées. Notre pauvre fermière était décédée au pied de son lit. On la retrouva une bonne semaine plus tard, en réalité alertés par les cris des bêtes.

Les reproches pleuvent, faisant boule de neige, une véritable tempête. On se sent responsable.

Solitude de la personne âgée.

J'étais à Cransac dans le parc public des thermes, un soir. C'était le moment de faire le repas, camping comme cela s'imagine. J'ai vu un petit pépé écoutant la radio sur une table de pique-nique. Une image d'un autre temps, un vieux poste antique.

Il avait l'air d'une telle tristesse, d'une telle mélancolie, d'une telle solitude. J'ai eu un mal fou à trouver une excuse bidon pour entrer en contact avec lui. Maladroit. Comment faire ?

Mal au coeur ces gens.
Notre fermière en fin de compte, le même topo ?

Tellement blessée par la vie qu'elle en est devenue écorchée vive, à repousser toute forme de lien familial, toute forme d'amitié. Peut-on lui en vouloir ? Certainement pas et bien au contraire. Ce que la vie a fait d'elle, ce n'est rien d'autre qu'un isolement en vue de ne plus souffrir de rien. Elle est bien loin de se limiter à ce tableau. Elle adore Frédéric François, le rencontre ; elle lit, elle peint, se documente au travers d'une pléthore d'éditions Atlas, écrit, contemple.

Comment visiter la maison d'une personne comme ça ?

Comment la mettre en valeur, elle qui n'aurait souhaité que la discrétion ?

La réponse ne tient qu'en un seul mot, la bienveillance. On ne peut pas réparer le temps du manque ; on peut réparer par le fait d'envoyer un amour inconditionnel, a posteriori, malgré tout ce qui a pu arriver. Pas un gramme de sensationnalisme. Plutôt l'idée que notre fermière fut, mais à ce jour en cette heure à cette minute, vous en avez mille, mille autres en fait. Proches de vous. Solitude de personnes âgées qui n'ont pas eu la vie facile, pas du tout. Aimer c'est réparer.

Le parcours dans l'habitation fait comprendre que notre fermière était très cultivée : les livres, les disques, tout témoigne d'une érudition intense.

Elle correspondait avec une proche, que des lettres et rien de plus, témoignait de quelques aspects - ultra pudiques - de sa vie âpre. Elle gardera ses mystères aussi. Les photos d'un enfant péruvien, la photo d'une jeune femme cambodgienne. Ses secrets lui appartiennent tellement, hier comme aujourd'hui.

Je ne crois pas qu'elle recherchait la lumière. Convaincu au-delà que ce documentaire n'est pas pour la desservir. En contrepartie, mon témoignage est un cri, maintes fois porté (le sien comme le mien) : occupez-vous des personnes âgées seules. Faites-le. Même quelques minutes. Même avec vos gamins. Cette parole est un hurlement silencieux, pour que sa disparition ait servi à quelque chose, pour que ma visite ait un sens.

L'épitaphe de sa tombe : elle aimait son travail, la lecture, l'aquarelle et Fragonard, la nature, les bêtes et les couleurs de l'automne.
En sa mémoire. En son cri et pour tous les autres qui ont besoin.

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