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Le château Safari

Nous avons reçu les photos d'un voyageur et nous en avons fait la synthèse historique.

S’embarquer dans cette urbex est un voyage. C’est l’histoire d’un château qui pourrait débuter par il était une fois, en des temps très lointains, une famille vint poser ses valises en cette bastide perdue dans une nature intouchée ; mais bien au-delà, c’est s’écarter un moment et dans un autre temps : s’éloigner, se reclure, se perclure de silence jusque dans l’infini de la douleur inextricable. Il était une fois, donc.

Pierre, qui par sa carrière militaire porta le béret rouge, partit pour l’Afrique. Il a fait sa carrière militaire en divers pays : le Gabon, le Tchad, le Cameroun, bien d’autres probablement. Il était assez haut gradé dans l'Armée. Il est décédé en 1939 et inhumé en France.

Jusque là une histoire somme toute banale, si ce n’est qu’en fin de sa carrière, souhaitant se retirer, il fit achat d’un château, ermitage nécessitant des travaux. L’ouvrage est d’allure altière, posé sur un tertre ceinturé de murailles. On ose jeter une date, la base primitive date de 1517. Transformé, il devint un écrin de rêve.

Lorsque se déroulaient des coups d'État en des pays hautement instables, Pierre cachait des personnalités ou enfants de. Alors, en remerciement, il recevait des cadeaux divers et variés.

C’est l’histoire d’un faisceau d’indices nous amenant ici, des vies presque disparues, tout comme le bâtiment noyé dans cette végétation luxuriante d’un été globalement pluvieux. Chaque parcelle de centimètre carré de stationnement appelle une unique question : mais pourquoi donc ? Car en ce lieu aussi calme de partout, où que l’on soit n’est qu’un cri relativement éraillé … ce n’est pas spécialement habituel. Ni normal peut-être.

J’ai lu des histoires éreintantes concernant l’accessibilité de ce lieu, certains ayant mis des heures, il est vrai que plus rien n’est ligne droite, tout comme l’histoire s’étant refermée, un couvercle sur la boîte des mémoires ; non pas que l’on ne sait plus mais surtout que l’on ne dit plus.

Car il faut en convenir, la météorite épuisée de chagrin implosa en vol. Aujourd’hui ne reste plus que mémoire déchirée de douleur. Le chemin forestier est facile, jusqu’au moment venu d’obliquer sur le château, là c’est la porte de l’oubli, fléchée de ronces et barrée de murailles impénétrables sur des pentes glissantes.

Il est extrêmement tôt lorsque je me rends sur place. Par discrétion ? Même pas. Il s’agit uniquement de prendre du temps, de l’apaisement, du recueillement, du temps aussi pour les comprendre, les apprécier, c’est une forme d’aimer.

C'est un château pour le moins surprenant de par son contenu, d'une inspiration africaine recueillant diverses cultures. Pierre recevait des gratifications car il se mettait en danger pour cacher des dignitaires lors des coups d’état, des enfants et proches aussi. Du coup le salon ressemblait à un musée de la culture africaine.

Pierre eut un fils du prénom de Georges, qui de même perdura des activités en Afrique. Evoluant en carrière, il était missionné sur des questions d’ordre stratégique telles des constructions de ponts permettant de franchir des cours d’eau infernaux. Il fut pleinement logique que le château se vit complété de divers arts africains. Georges est éminemment cultivé, la bibliothèque comporte aussi bien des livres de géographie que des ouvrages sur la résistance.

Lorsque l'on connait pour ainsi dire à la perfection ce château au gré des photos des visiteurs, la description que j'en fais est une très grande déception. Le moindre objet de valeur pécuniaire a été volé.

Où sont les défenses d'éléphant ? Volées. Où sont les carapaces de tortues, la massette, le béret rouge, volés. Où est la peau de léopard, les lances Dogon, volées. Les masques, les statues, les tableaux, les armes, les ivoires ? Et encore, ce ne sont que les quelques objets saillants auxquels je pense. A chaque passage d'urbexeur ou d’autres individus bien entendu, on pourrait ajouter un objet à la liste.

Déprédations et vandalisme ont rendu ce lieu l'ombre de lui-même.

S’accrocher jusque la dernière parcelle de récit, essayer de comprendre : dans les documents éparpillés et surtout saccagés reste forcément un fragment de leur histoire. Georges s’est marié avec une jeune femme africaine et ils eurent un enfant. Ils avaient 25 ans de différence, ce qui n’est pas forcément négligeable. Si proche, j’entends siffler, quelqu’un part au travail heureux. Le soleil se lève.

Il vint un jour où, inévitablement, Georges donna son dernier au revoir. On lui ferma les yeux et il partit. Seul Pierre est inhumé au cimetière du village, dans un très beau caveau familial, sans rien d’ostentatoire. Nous n'avons pas retrouvé le nom de Georges. Pourquoi, cela reste une part de mystère épais qui ne nous appartient nullement.

Ce jour-là… quand au repas d’adieu, tout le monde s’en fut, la femme de Georges se retrouva les bras ballants, entourée du silence, ne sachant que faire et comment vivre.

Un silence dont nous ignorons même le prénom, une solitude dont nous ne connaissons même pas l’emplacement de la tombe, ce n’est pas faute d’avoir cherché. « Elle » dirons-nous, puisque c’est le seul respect que nous pouvons, que nous devons d’ailleurs.

Au décès de Georges, elle s'est peu à peu retrouvée dans une situation de surendettement très pesante. Ca s’est compliqué, tendu, avec les créanciers de plus en plus pressants, elle mutique, ne sachant vers où se tourner et s’enfonçant dans une dépression d’une férocité extrême.

Elle prit une corde.

Les dernières traces d'occupation dateraient de 2011.

Lors de la constitution de l'héritage et générant les frais de succession, l'indivision – neuf personnes – n'a pas réussi à faire face aux dettes. Cela a plongé le château dans une situation d'abandon, ou tout du moins d'inoccupation. Patrimoine aussi bien désiré qu’inaccessible, au pied des murailles, notariales cette fois-ci. En attendant, on ne peut rien toucher. Pas un cheveu.

Si seulement cela pouvait être « lui » qui a embarqué les reliques africaines ; je rêve naïvement que ce ne fut pas vol mais juste une conservation pour mettre à l’abri. J’ai peine à y croire. C’est tuer Georges une seconde fois, la réalité crue des choses.

Lorsque l’on quitte un urbex désiré depuis longtemps, il est un moment, exact, quantifiable, où on sait que l’on part pour ne plus jamais revenir – gardant uniquement le précieux des souvenirs. L’on sait aussi que la quête qui s’ouvre, extrêmement incertaine, est d’avoir la chance de trouver la sépulture. Au hasard, forcer le hasard tout de même : désirer. Faisceau d’indices.

Dans les pentes glissantes envahies de salsepareilles haineuses, je me vois portant une défense d’éléphant gigantesque. Comment ont-ils pu faire ça ? Pourquoi ont-ils fait ça ? C’est un tel marché noir, c’est invendable. C’est si dangereux de posséder ça sans historique familial pouvant le justifier. Ils ont souillé, il n’est d’autre mot.

Le fermier, immédiatement attenant, effectue le gardiennage du lieu et se trouve désemparé devant une hargne telle à tout piller. La dévastation de ce château a été la plus intense que j'aie pu connaître depuis mes parcours urbex. Et l'on me demande d'être pacifique en matière de partage de localisations ?

Ceci étant, ce blabla de bistrot n’est rien face à la quête identitaire, tant la réalité est de ne rien savoir sur eux, confusément, reliant des bribes de fils de laine, tous emmêlés. A chaque fois que des descendants m’ont appelé, il est apparu un gouffre entre ce que l’on imagine et la réalité – c’est quelque part logique. Déjà que dans nos familles, des secrets s’enfoncent chaque jour.

Alors sur le chemin du retour, et le soir tombant, le regard fixe sur une prairie paisible : un geai chipote depuis tout à l’heure dans la ligne d’arbres : une dame, un riverain m’aborde (elle a un peu peur de déranger, elle est tellement la bienvenue), je lui dis, je nous dis que nous ne saurons jamais mais seules comptent les traces d’amour qu’on aura laissé là-bas. Pour les autres peut-être, les prochains. Je ne sais pas. Je vais dormir là. Je peux passer si j’ai besoin d’eau, qu’elle me dit. N’importe quand.

C’est une histoire sans fin car désormais s’ouvre une quête longue, barrée de broussailles hargneuses : trouver la tombe d’Elle et de Georges. Il existe 313.833 porteurs du nom en France. Je n’irai certainement pas déposer une boîte de saka-saka sur la sépulture. Une coque de calebassier remplie de petits cailloux : chaque jour que j’ai pensé à eux.

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