Exploration campanaire, les cloches de Saint-Sernin
Voici une visite campanaire du clocher de Saint-Sernin. Un très grand merci à l’équipe municipale pour l’accueil et tant d’attention pour que tout se passe à merveille !
L’église Saint-Saturnin comporte deux cloches : une Gulliet Père et Fils de 1869 et une anonyme de 1611. La petite pèse 125 kg et sonne un Ré# incertain. Elle a une anse cassée. Malgré des comparaisons avec toutes ses contemporaines en Ardèche (32 occurrences), elle ne correspond à aucune épigraphie connue. De ce fait elle reste anonyme.
Sa dédicace est la suivante : (croix christique) IHS MA SANCTA TRINITA VNVSDEVS MISERE NOBIS SANCTE DLME C I6II (estampille de cloche) (fleur de lys) SSTNII ORA PRO NOBIS
La traduction est pour le moins épineuse. Bien que ce soit assez houleux, je la retranscris de la sorte : Jésus Sauveur de l'Humanité * Sainte-Marie * Dieu unique * Sainte-Trinité * Prenez pitié de nous.
La suite est incohérente pour cause d’abréviation inintelligible : Saint-Quelqu’un 1611. Ce n’est en tout cas aucunement le nom du fondeur, ce qui logiquement pourrait convenir avant la date ; le mot Sancte exclut tout nom de fondeur. L’estampille n’est pas le témoin d’une quelconque spécificité non plus, elle est banale.
La suite est une interprétation, voire même une hypothèse : Saint-Saturnin priez pour nous.
Ce qui est très spécial, c’est la présence de triangles au-dessus de dédicace, provenant de découpage de ses cires ; le phénomène est jusqu’ici unique. C’est un trait marquant qu’il conviendra de repérer sur ses contemporaines. A noter d’ailleurs que l’épigraphie est épaisse, maladroite, non poncée.
Une anse mère est brisée. De ce fait, les moteurs de volée des deux cloches ont été déconnectés du tableau Bodet. C’est un principe de précaution, rendant dommageable que la grosse cloche ne sonne plus, mais au moins l’installation est totalement protégée. En auscultant la brisure, on se rend compte que le fondeur a eu des problèmes métallurgiques énormes.
A moins de faire une coulée inversée : les anses vers le bas, ce qui représente une technique assez difficile et rare, d’ailleurs récente, les anses sont communément le dernier élément coulé. Ici on remarque avec forte insistance que le métal était trop froid. C’est complètement compréhensible du fait qu’en ces temps reculés, on coulait à la louche et non au creuset. Du coup, les pertes de températures sur les derniers litres de bronze sont simplement considérables.
Au vu de la structure concentrique, il est même à suspecter qu’il y a eu formation de poches de gaz (donc légèrement explosives) et que le fondeur a rechargé sa couronne. En un seul mot, catastrophique d’un point de vue métallurgique, tout du moins sur la couronne. En outre, ça n’enlève en rien la grande valeur historique de cet objet, qui mérite tout droit son classement à titre de mobilier.
Le sauvetage de la cloche passe par le percement du cerveau et le passage d’une bride. Au vu que le plateau ne fait l’objet d’aucun décor, la méthode ne pose pas de problème d’un point de vue patrimonial. Par cette démarche, l’instrument n’est pas dégradé mais simplement maintenu. La méthode est en outre peu couteuse, ce considérant le faible poids de l’instrument. Il reste que c’est un profil ultra-léger et la pince n’est pas épaisse. Un rétrograde serait franchement un choix judicieux.
La grosse cloche est une Gulliet Père et Fils, fonderie classique de Lyon. Elle sonne un Fa(3) et pèse environ 900 kg. Son montage est en lancé franc. Elle a une sonorité délicieuse, des tierces et quinte remarquablement exprimées. Que l’on ne s’en étonne pas venant des Gulliet, c’est un instrument très plaisant.
Sa dédicace est la suivante : Ligne 1 - BENEDICAMVS PATREM ET FILIVM CVM SANCTO SPIRITV IN SECVLA SECVLORVM . JE M’APPELLE MARIE AVGVSTINE . Ligne 2 - PARRAIN : PAVLIN BARATHIER . MARRAINE AVGVSTINE BOVCHARD . Ligne 3 - MAIRE : JOSEPH RIBERE CVRE : JOSEPH TEYSSIER . Ligne 4 - BIENFAITEVRS ROSALIE LEYRONAS SVPERIEVRE DV DV COVVENT DE VAISSEAV . LOVIS CROZE DIT MANAS . ANDRE ROVRE . Ligne 5 - PAVL BARATHIER . EVGENE BARATHIER . PROSPER H ELLY LOVIS CONSTANT .
Sur la pince : GVLLIET PERE ET FILS FONDEVRS A LYON MDCCCLXIX
Elle s’appelle donc Marie-Augustine. La dédicace en lettres romaines ne nécessite pas de translitération ni de réelle traduction. Un seul point à la fois rare et amusant, le fait qu’un sobriquet soit mentionné : Louis Croze, dit Manas. Quand on sait qu’en patois ardéchois, une manas est une vache stérile, on peut réellement se poser des questions !
Je tente une sonnerie manuelle de la Gulliet, mais très mal installé par manque de place au cœur du beffroi métallique et l’instrument en lancé franc (c’est lourd), je manque fortement de puissance. Malheureusement cette volée n'est donc pas complète. Pourtant elle le mériterait bien, elle est belle.
C’est un voyage campanaire très plaisant, Saint-Sernin vaut qu’on s’y arrête, c’est le moins qu’on puisse dire.