Le Collège Cévenol du Chambon-sur-Lignon
Lors de la publication initiale sur le Collège Cévenol du Chambon-sur-Lignon, j’étais resté discret du fait que l’endroit était vulnérable. En effet lors de la Covid, les propriétaires étaient partis, contraints et forcés. De nationalité chinoise, ils ont connu des évènements très rudes durant l’année 2020 et ont rencontré des difficultés folles à revenir en France dans des conditions stables.
Lorsque ces propriétaires sont revenus en 2023, ils ont trouvé les lieux intensément saccagés, volés, souillés. Cela a provoqué les concernant un désarroi total, un sentiment d’injustice et de violence.
À ce jour, le lieu est occupé, équipé de caméras, et sous forte surveillance. Si vous souhaitez effectuer une urbex là-bas, vous rencontrerez au pire des gens non identifiés qui vous poursuivront avec rage, équipés de barres en acier ; au mieux la gendarmerie qui vous placera en garde à vue. Au vu des dégâts considérables, plus rien ne passe café crème. Raisonnablement je ne l’ai pas vécu, j’ai entendu des personnes qui s’étonnent de vivre cela. Comment s’étonner, sérieux ?
Qui plus est, j’ai pu constater que tout est refermé. Si dans une époque lointaine, c’était ouvert à tous les vents du fait de pillages pour le moins incessants – c’était tel qu’en certains moments, ça s’en révélait pour le moins inquiétant, aujourd’hui c’est clôturé, barricadé.
Le collège Cévenol a été un lieu immensément apprécié de ses élèves. Dans le documentaire initial, nous avons dressé une liste des élèves pour ce que nous avons pu reconstituer, ainsi qu’un inventaire des locaux accessibles, par pur désir de mettre en valeur la mémoire d’un lieu en transformation, par authentique plaisir de donner une mémoire positive aux anciens du collège. Ils sont unanimes, c’était un lieu d’une très grande valeur.
Par nécessaire discrétion, j’avais occulté l’ultra-violence ayant dévasté aussi bien les gens – proches ou lointain – que le lieu, irrémédiablement blessé.
Agnès Marin, une jeune fille de 13 ans, a été assassinée le 16 novembre 2011 au Chambon-sur-Lignon. Elle était interne au Collège Cévenol. L'auteur de son assassinat est Matthieu Moulinas, un autre élève du même établissement, âgé de 17 ans au moment des faits. Il l'a violée et poignardée à mort dans un bois près du collège, avant de brûler son corps.
Le lieu exact révèle un ravin près du stade, duquel on ne voit plus rien qu’une simple banalité de quelques ronces. Il ne reste strictement plus rien de visible, et quelque part tant mieux. Agnès est inhumée à Paris auprès de sa famille au cimetière du Père Lachaise. Fleurir sa tombe est très délicat, voire même indélicat. L’histoire est une douleur très vive.
Afin de retracer la chronologie des évènements, tout a débuté le 16 novembre 2011. Un étudiant du collège Cévenol, âgé de 17 ans, a agressé et assassiné l’élève du même établissement, Agnès Marin, après avoir subi vingt cinq minutes de sévices sous la menace d'un couteau de cuisine, puis brûlé son corps. L'affaire a suscité un grand bouleversement, car le jeune homme était scolarisé alors qu'il avait commis un viol prémédité un an auparavant, avec le même procédé.
À quelques dizaines de mètres du stade, le meurtrier a entraîné sa victime dans un ravin de la forêt accessible directement depuis le parc du collège, et l'a attachée à un arbre sous prétexte de rechercher des champignons hallucinogènes. Ensuite, il lui a infligé plusieurs coups avant de la violer et de l'avoir battue à nouveau. Agnès a essayé de se défendre sans succès. Matthieu a découvert dans le sac de la jeune fille une recharge d'essence à briquet qu'il a versée sur le corps et y a mis le feu, nourri avec du bois trouvé sur place, avant de partir et de revenir dans l'internat, qui comptait à l'époque une soixantaine de résidents. Agnès avait informé ses compagnons de cette balade.
Après avoir constaté l’absence d’Agnès au collège et au repas, ses amis commencent à explorer le domaine du lycée et la forêt à proximité, malgré l'interdiction du gardien. Plus tard dans la soirée, le meurtrier prétend s'impliquer dans les enquêtes menées par l'établissement, alors que sa figure est couverte de griffures de la victime.
Estelle, l'une des amies les plus proches d'Agnès, va désorienter les gendarmes et rendre leur travail de recherche et de reconstitution de l’emploi du temps de ce mercredi après-midi plus complexe, voire plus long, du fait de mensonges. Elle couvrait des absences injustifiées. Mercredi est le jour où les élèves ont quartier libre, la majorité des membres de l'établissement ont l'habitude de se rendre au village.
Bien que 150 gendarmes et un hélicoptère aient été mobilisés, le corps carbonisé de la victime n'est retrouvé que le lendemain dans la forêt, déplacé à trois kilomètres du collège, selon les indications de Matthieu qui a finalement avoué. En plus de l’agression sexuelle, l'autopsie dévoilera dix-sept coups de couteau dans le thorax et à la tête d'Agnès.
Le mobile exact du meurtre n'est pas clairement établi, mais il est apparu que Matthieu Moulinas avait un passé judiciaire lourd. Un an auparavant, il avait commis un viol prémédité sur une autre jeune fille, selon un mode opératoire similaire. Il avait été incarcéré puis libéré sous contrôle judiciaire et placé au Collège Cévenol.
Son père avait fait des pieds et des mains pour qu’il soit accepté dans un établissement, chose bien difficile. Il avait trouvé auprès du Cévenol un lieu rassurant, chaleureux et constructif. Le fait qu'un jeune homme avec de tels antécédents ait pu être scolarisé dans un établissement mixte comme le Collège Cévenol a soulevé une vive polémique et mis en lumière des dysfonctionnements dans le suivi judiciaire des mineurs délinquants. La personne qui devait le suivre n’est venue qu’une seule fois. Sa justification : c’est trop loin.
En juin 2013, Matthieu Moulinas a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour le viol et l'assassinat d'Agnès Marin, ainsi que pour le viol commis précédemment. Les parents d’Agnès ont été totalement dévastés. Les parents de Matthieu ont été totalement ravagés. Les parents d’Agnès sont restés très discrets du fait d’être totalement brisés. Les parents de Matthieu ont publié un livre : parents à perpétuité ; tout est dit dans le titre.
Plus disert, il est difficile de trouver une citation spécifique et unique du grand-père d'Agnès Marin qui résumerait l'ensemble de ses déclarations. Cependant, à travers les différents reportages et articles de presse, plusieurs thèmes sont ressortis de ses interventions.
Avant tout, la colère et le sentiment d'injustice face au passé judiciaire de Matthieu Moulinas. Le fait qu'il ait déjà commis un viol auparavant et qu'il ait été placé dans un établissement mixte malgré ce passé a été une source d'indignation et de remise en question du système judiciaire et du suivi des mineurs délinquants.
Aussi, il a dénoncé les dysfonctionnements et des manquements qui ont permis à un récidiviste d'être en contact avec d'autres jeunes. Son souhait était que le procès serve de leçon et que des mesures soient prises pour éviter que de tels drames ne se reproduisent. Il espérait que la mort d'Agnès puisse entraîner une prise de conscience et des changements dans la prise en charge des jeunes délinquants.
La disparition d’Agnès n’a pas été la cause de la fermeture du collège. Le collège, aussi bien appelé lycée, a connu des difficultés financières croissantes au cours des années précédant sa fermeture définitive en juillet 2014. Notamment, l'établissement a vu son nombre d'élèves diminuer progressivement, entraînant une réduction des recettes issues des frais de scolarité.
Agnès était une toute petite délinquante ; encore fut-il que ce terme n’est pas bien adapté. Elle faisait des bêtises de son âge, n’était pas assidue. Son père espérait que la bonne réputation du lieu, l’espace très verdoyant, la fasse reprendre pied. Il vit une culpabilité énorme face à ce choix.
Même avant la baisse significative des effectifs, le collège connaissait déjà des problèmes financiers. En 1971, il avait dû passer sous contrat d'association avec l'État en raison de sa situation financière précaire, perdant au passage ses classes de sixième et cinquième. En février 2010, il était déjà passé près de la cessation de paiement.
Malgré un petit nombre d'élèves par classe, le taux de réussite aux examens était faible, ce qui pouvait impacter l'attractivité de l'établissement pour de nouveaux élèves. En cause, le collège accueillait des profils de plus en plus difficiles, à la fois dans l’espoir de les faire sortir la tête hors de l’eau, mais aussi par un effritement continu des effectifs.
Bien que les difficultés financières existaient antérieurement, l'assassinat d'Agnès a eu un impact négatif considérable sur l’image et la réputation du collège. La médiatisation de l'affaire et les critiques concernant la gestion du passé judiciaire du meurtrier par la direction ont contribué à la diminution des inscriptions.
Au moment de son placement en redressement judiciaire en mai 2013, l'établissement accusait un déficit de 350 000 euros. Si l'affaire Agnès n'est pas la cause première des difficultés financières du lycée, elle a sans aucun doute exacerbé la situation et contribué à la décision de sa fermeture définitive.
Les parents de Matthieu Moulinas, Sophie et Dominique Moulinas, ont fait très peu de déclarations publiques immédiatement après l'assassinat d'Agnès Marin et pendant le procès de leur fils. Ils ont gardé un silence médiatique pendant plusieurs années. En 2016, ils ont publié un livre intitulé comme précité « Parents à perpétuité ». Dans cet ouvrage, ils ont exprimé un immense chagrin.
Aussi, ils ont exprimé leur soutien inconditionnel à Matthieu en tant que leur enfant, malgré l'horreur de ses crimes. Ils soulignent qu'avant de devenir un criminel, il était leur enfant malade. Cela n’a occulté en rien leur douleur et leur compassion pour Agnès et sa famille. Ils disent penser constamment aux victimes de leur fils et à leurs proches. Ils ont le sentiment d'être également condamnés à perpétuité en tant que parents d'un tel criminel.
Lors de la sortie de leur livre, ils ont donné quelques interviews où ils ont réitéré ces sentiments. Leur démarche a suscité des réactions contrastées, certains saluant leur courage de témoigner et d'essayer de comprendre, tandis que d'autres ont critiqué ce qu'ils percevaient comme une tentative de minimiser la gravité des actes de leur fils ou de se victimiser.
Le Collège Cévenol au Chambon-sur-Lignon a définitivement fermé ses portes en juillet 2014, après 76 ans d'existence. Depuis sa fermeture, le devenir du site a connu plusieurs rebondissements.
Ce que nous connaissons tous, le projet de centre culturel franco-chinois. En avril 2015, un projet de réhabilitation du collège en un centre culturel franco-chinois, baptisé Parc international franco-chinois, avait été validé par le tribunal de grande instance du Puy-en-Velay. Ce projet, porté par des investisseurs chinois et soutenu par la mairie, prévoyait d'importants travaux et l'accueil d'artistes et de familles chinoises. Cependant, la pandémie de la Covid-19 en 2020 a empêché les propriétaires chinois de revenir sur place, entraînant le squat et la dégradation du site.
L’état actuel (mars 2025) : Le site de l'ancien collège Cévenol est dans un état de délabrement avancé en raison du manque d'entretien et des actes de vandalisme. Une partie a été occupée par des réfugiés ukrainiens. Les témoignages divergent : ils ont été expulsés, toutefois on en voit encore dans certains logements. Il semble néanmoins qu’il y ait une forte baisse de fréquentation du site, mais par contre une hausse significative de l’entretien des lieux.
Les avis divergent quant au retour des gestionnaires Chinois. Il s’avère immanquablement qu’ils sont déçus et hésitent inévitablement à réinvestir dans un site qui a été saccagé de fond en comble. Ils font état malgré tout de leur désir de rénover, peut-être dans un projet quelque peu revu.
L'Association des Anciens du Collège Cévenol reste active et a pour objectif de protéger la mémoire de l'établissement. Elle dispose d'un lieu de mémoire et d'accueil pour les anciens et amis du collège. L'AACC avait également envisagé une refondation du Collège Cévenol sur la base de ses valeurs fondamentales, mais l'état actuel du site rend cette perspective incertaine, ce d’autant plus qu’une petite part appartient à la mairie, mais une large part aux Chinois, de retour.
En dernier mot, Jean-Michel Eyraud le maire du Chambon-sur-Lignon témoigne (reportage de Lionel Ciochetto) : « C’est abominable de voir ça. Les propriétaires sont outrés. Ils sont venus investir au Chambon-sur-Lignon renommé pour sa terre d’accueil. Ils sont très déçus. Les urbexeurs viennent parfois de très loin car un site a indiqué que le lieu est abandonné ce qui est faux.
Il faudrait beaucoup plus sanctionner les gens qui développent ce phénomène. Les services ont plusieurs fois changé des portes qui avaient été fracturées mais très vite elles sont à nouveau dégradées. Quand un urbexeur a traversé la moitié du pays pour venir ici, s’il trouve une porte fermée il l’ouvre.
Des hordes de barbares ont dégradé les lieux et volé absolument tout. C’est compliqué de gérer cette affaire en l’absence de propriétaires et encore plus quand une partie de la population accuse ces mêmes propriétaires. C’est une situation complexe qui n’est pas honorable vis-à-vis d’un pays étranger. On s’inquiète énormément sur le sujet. Les propriétaires ont toujours ce même projet de développer ici des résidences d’artistes et d’accueillir des étudiants en design. Il y a toujours quelqu’un dans la maison du directeur et des personnes qui surveillent de temps en temps mais le site fait près de 17 hectares : il est impossible d’empêcher toutes les intrusions ».
Fan Zhe déclare quant à lui (reportage de Christophe Coffy) : « Les projets du Parc international Cévenol ont été gravement affectés pendant la période du Covid et en même temps, les lieux ont été cambriolés et détruits. J’ai déjà appelé la gendarmerie à plusieurs reprises, mais sans grands résultats. Dans ce contexte, nos objectifs ne peuvent pas être menés normalement.
Nous n’avons jamais abandonné notre projet. Par exemple, nous avons déjà commencé à nettoyer une partie des lieux il y a deux ans, y compris le terrain de sport, le bâtiment d’enseignement et la salle d’exposition. De plus, nous n’avons pas arrêté de tondre la pelouse. Et tout cela coûte cher ».
Ce qu’il nous revient, c’est des actes de violence à l’encontre des urbexeurs. « Trois chinois se sont mis à nous poursuivre avec des barres de fer, en envoyant des brisures de bouteilles en verre. Ils nous on suivi jusqu’au bout et je pense que la seule chose qui les a retenus de ne pas nous faire du mal, c’est que nous étions cinq contre trois ». La seule conclusion, c’est que tout cela nous place très loin de l’esprit initial du Cévenol ; c’est un lieu qui comporte tellement de blessures et qui aurait besoin de tellement de bienveillance.