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Exploration campanaire, les cloches de l'abbatiale de Cruas

Voici une exploration campanaire de l’abbatiale de la ville de Cruas, Ardèche. Il s’agit d’une commune qui se situe tout à fait à l’extrémité de l’aire d’extension de notre étude concernant les cloches du Bas-Vivarais. Le nom de leur office du tourisme n’en est d’ailleurs qu’évocateur : les « Portes Sud Ardèche ».

Un très grand merci à la municipalité de Cruas pour l’accueil : Madame Rachel Cotta maire, Madame Mylène Puaux, Madame Virginie Clair.

L’abbatiale comporte deux cloches, dans une configuration légère. Il est à estimer – au vu de la dimension du clocher et à l’histoire mouvementée de l’édifice – qu’il y en eut un nombre supérieur avant la révolution. Le patrimoine que l’on rencontre date de 1839, ce qui doit vraisemblablement correspondre à une période de rénovation du matériel campanaire. Les instruments que l’on rencontre sont surprenants à plusieurs titres.

Etonnant d’abord par la configuration. Il s’agit d’une cloche de volée du plus classique, accompagnée d’un braillard. On ne rencontre qu’un seul autre tocsin en Ardèche selon les relevés actuels : Labastide-de-Virac. La première réaction est d’estimer que cet instrument provient de la forteresse. Toutefois considérant la date de début de ruine du château de Cruas (1741 environ), cela se révèle cent pour cent incohérent. C’est donc une coulée demandée expressément.

D’observer un braillard aussi tardif, c’est inévitablement assez surprenant, mais pas forcément unique. Dans les proches environs, les braillards des cathédrales de Mende et Alès sont anciens, celui de Labastide-de-Virac (Ardèche, comme précité seul et unique actuellement répertorié), est un Baudouin Frères de 1817. Le braillard, aussi appelé tocsin, est une cloche souvent civile, qui sert à sonner l’alerte en cas d’incendie de la ville, d’invasion barbare, de déclenchement de guerre. On l’appelle aussi tocsin.

C’est une cloche au son désagréable, aigrelet, piquant, et c’est bel et bien volontaire. Elle se caractérise par une forme fortement différente. Une cloche classique ressemble à une tulipe, un braillard est aplati, évasé.

Il est une évidence que le maire de l’époque, Monsieur Antoine Volle, a demandé aux fondeurs : faites-moi une sirène comme à l’époque médiévale. Le maire a fait appel à une technique ancienne – voire même une philosophie, quelque peu démodée, sans que cela soit caractérisable comme étant purement anormal. C’est juste rare.

Revenant sur le propos initial, étonnant aussi par le fondeur. Les deux cloches émanent des associés Joseph Alexis Baudouin et Augustin Leneveux, tous deux demeurant à Champigneulles-en-Bassigny. La cloche de volée est identifiée par signature sur la pince. La deuxième, le braillard, par comparaison de l’épigraphie.

La dédicace de la cloche de volée est la suivante : (ligne 1) COELOQUE SOLOQUE SALOQUE MARIE ADELE FONDUE A CRUAS L’AN 1839 (ligne 2) BENITE PAR M LOUIS THEODORE MARQUET DESSERVANT DE LA PAROISSE CHE DE LA LEG DH (ligne3) M ANTOINE VOLLE MAIRE PARRAIN M DENIS BERLIE GEOMETRE EN CHEF DE L’ARDECHE (ligne 4)MARRAINE DAME MALIASSAGNI NEE ADELE FALGIER (pince) AUDOUIN LENEVEUX.

La dédicace du braillard est la suivante : (ligne 1) MARIE CLAUDINE 1839 DESSERV (ligne 2) M MARQUET CAMILLE PARRAIN M LOUIS VIGNAL Pr DAME LACHAMP .  MAIRE M. VOLLE (ligne 3) NEE BERLIE.

On notera avec forte insistance que le premier patronyme est Baudouin, et non Audouin. Le fondeur a raté-oublié son B.

La cloche de volée est à ce point classique qu’on pourrait quasiment la considérer comme une Burdin de série. Les fondeurs du Bassigny en Champagne étaient – comme nous ne cessons de le témoigner – une corporation énorme de saintiers itinérants, en provenance d’un territoire minuscule. L’Ardèche a été fortement ignorée de ces fondeurs. Comme nous avons pu le mesurer, seul Decharme  a mené des campagnes. On relève il est vrai la présence des Seurot, toutefois ces derniers se sont fixés à titre définitif à Javaugues, Haute-Loire.

Cruas se situe en vallée du Rhône et en cela, on suppute une dynamique différente, celle du transit des ambulants, au contraire des montagnes ardéchoises, qui devaient ni plus ni moins se révéler un cauchemar au vu de l’état des chemins et la capacité de l’époque de tracter avec les charrettes chargées de matériel. En tout état de cause, Baudouin et Leneveux ont inévitablement coulé en place.

La dédicace est d’un très grand clacissisme. La mention latine signifie : Par la mer, par la terre et par le ciel. Ce n’est pas franchement répandu dans le campanaire.

Il est assez déstabilisant de constater que la métallurgie de la cloche de volée est très bonne, tandis que le braillard montre des signes de médiocrité. Cela n’a pas échappé au campaniste Bodet, qui a monté un rétrograde extrêmement doux sur la cloche fragile. Le braillard n’est pas signé. Nous avons établi qu’il s’agit desdits fondeurs du fait des E identiques, et surtout des A identiques, notamment dans l’épaisseur forte du jambage de droite. La date est quant à elle de matrices différentes. Tout cela pose beaucoup plus de questions que de réponses.

Les deux fondeurs Alexis Baudouin et Augustin Leneveux sont tous deux rares, voire même très rares. La base POP n’en connait qu’un seul autre exemplaire (Sennecey-le-Grand, 71). En résumé, le patrimoine de l’abbatiale de Cruas est source d’interrogations. On s’attendrait à de l’ancien antérieur à la révolution, ce n’est pas le cas. De fait, les divers conflits à ce titre répétitifs, ont mené plusieurs fois l’édifice à sa perte.

L’accès à l’église est libre. Une visite commentée de la crypte est possible, c’est  peu cher et réputé excellent.

L’accès au clocher est curieux. Un escalier donne sur une très grande marche, accédant à une terrasse vertigineuse. Une échelle métallique guide sur une porte munie d’un loquet, à ouvrir en passant les doigts dans les mailles. C’est peu évident. La chambre est spacieuse. Le beffroi campanaire, métallique, est fiché dans les parois ; c’est de toute évidence très mauvais, mais deux cloches légères en rétrograde amènent des poussées extrêmement faibles.

On observe deux battants Bodet neufs aux formats idéaux. Les anciens battants sont déposés au sol et à conserver. Le battant du braillard est précieux.

Dans l’ensemble, outre l’aspect de surprise (on se serait attendu à un tel mobilier à Vogüé ou Rochemaure), le clocher est un petit patrimoine qu’il convient nettement de décrire et mettre en valeur.

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