Exploration campanaire, les cloches de Laboule
Voici une exploration campanaire du clocher de Laboule, une toute petite commune isolée dans la Cévenne d’Ardèche. Un très grand merci à Madame le maire Françoise Gallet, ainsi qu’à Laëtitia Carles pour l’accueil aussi chaleureux.
L’église de Laboule a connu des travaux de rénovation très conséquents, menés par des équipes déterminées à sauvegarder l’édifice. Des plâtras inadéquats ont été ôtés, révélant dans l’abside des peintures anciennes de grande qualité. Le clocher est accessible par la tribune, puis un jeu d’escaliers fortement inclinés. Les rénovations en ont fait un lieu désormais dans un état excellent.
Le clocher-mur comporte deux cloches, bien que trois baies soient disponibles. Au vu de l’âge des instruments, nous sommes amenés à suspecter un enlèvement lors de la période révolutionnaire. Selon toute logique pour un village aussi isolé, nous ne saurons rien de ces anciens instruments.
La première cloche est une Georges et Francisque Paccard, datant de 1892. Conformément aux productions de cette fonderie d’Annecy – surtout en cette période d’activité – la cloche est d’une qualité épigraphique et musicale qualifiable d’extrême. Il n’est ni imaginable ni possible de faire mieux. Elle chante un Sol#(3) pour un poids de 430 kilogrammes.
Sa dédicace est la suivante : (ligne 1) VESPERE ET MANE ET MERIDIE NARRABO ET ANNUNTIABO ET EXAUDIET VOCEM MEAM PSALM 54 19 (ligne 2) A LA B V MARIE IMMACULEE PATRONNE DE LA PAROISSE DE N D DE LA BOULE DIOCESE DE VIVIERS (ligne 3) Mr L ABBE J L A CHABALIER CURE 1892 (ligne 4) PARRAIN Mr JEAN LOUIS BERTRAND MAIRE (ligne 5) MARRAINE Mme GERMANIE MOURARET NEE DURIEU (A la pince) GEORGES ET FRANCISQUE PACCARD FONDEURS A ANNECY LE VIEUX Hte SAVOIE 1892.
Elle est montée en rétro-équilibré, pour des moutons qui furent chantournés par une personne de la municipalité. Fait commun aux deux cloches, elles ne sont équipées ni de volant ni de moteur de volée. Un boîtier Paccard Harmony remarquablement ancien (et rare) commande le tintement de la sonnerie, qui sans marquage horaire ; il tinte uniquement l’angélus.
La seconde cloche est une Monet de Lyon, datant de 1889. Au premier regard, on la déclare immédiatement comme étant une Gédéon Morel, tant elle reprend la métallurgie (somme toute assez verte) et ses matrices hautement caractéristiques. On notera que la métallurgie des Morel est chargée en acétate de cuivre, à différencier fondamentalement du vert-de-gris. Ce dernier résulte d’une corrosion atmosphérique de la surface des objets en bronze.
Les Morel sont souvent dans un état excellent, avec une faussure brillante, sans vert-de-gris. Nous suspectons à la fois une origine des cuivre et étain de très bonne qualité, mais aussi un ajout à des fins esthétiques, ce qu’à l’époque on appelait du « verdet ». Cet acétate de cuivre, en poudre, aurait été ajouté afin d’enjoliver le bronze d’une couleur vert profond. Il est à noter que Morel fut le seul à notre connaissance immédiate, à avoir potentiellement pratiqué cela.
Il reste qu’à l’examen de la cloche, que nous classions déjà comme une Morel, voire Oronce Reynaud, (son fort connu successeur), la signature à la fourniture mentionne un anonyme : Monet.
Ce dernier n’est autre qu’un successeur officiel de la fonderie Morel. Il reste que cette personne ne fut vraisemblablement pas élève ni ouvrier de la fonderie, au vu des dates tardives qui lui sont connues, et qu’il fut peu convaincu par son ouvrage, puisque la cloche de Laboule est non loin d’être unique. Les références d’inventaire et bibliographiques sont très éparses.
Si l’on relève une qualité épigraphique indéniable, il est à noter que la dédicace n’est pas réalisée à la cire perdue. Dès lors, nous avons affaire à une cloche de magasin, qui a été dédicacée lors de sa vente. On ne pourra pas qualifier la méthode de « peu scrupuleuse » car lors de l’achat, c’était indéniablement convenu. Il reste qu’en principe, on réserve cette méthode aux corrections, aux ajouts. Sans médisance, on peut dire que la gravure est de très bonne qualité, ce qu’on pourra par contre déplorer chez Burdin, de même de Lyon.
La dédicace est la suivante : (ligne 1) AU SACRE-CŒUR DE JESUS LA PAROISSE DE NOTRE-DAME DE LA BOULE x (ligne 2) MONSIEUR CHABALIER CURE MONSIEUR RIGAUD VICAIRE x (ligne 3) MARRAINE MADAME MARIE-JEANNE-ISABELLE GOUY NEE CHABROL x (ligne 4) ANNEE MDCCCLXXXIX x (A la fourniture) MONET FONDEUR A LYON.
Elle chante un Mi(4) pour un poids estimé de 105 kilogrammes. Il n’a pas été possible de mettre la Paccard en volée du fait de la présence d’un électro-tinteur dans le chemin de la volée. Cela est dû aux faits combinés du manque de place, et considérant que cette cloche n’est jamais sonnée en volée, n’étant pas même équipée. Il a donc été réalisé un équipement pragmatique.
Nous ne pouvons que déplorer cette situation, au vu de la qualité excellentissime de l’instrument. Mais, devant raison garder, madame le maire évoque que la géographie du village – beau, magique, rude, entier – provoquerait que les hameaux ne l’entendraient même pas. Elle considère que la sonnerie fait lugubre, presque un glas lors des mariages, tout en s’attristant sur le fait que ces célébrations n’ont quasiment plus lieu. En tout cas, Laboule révèle un patrimoine étonnant qui méritait très franchement qu’on s’y attarde.