Exploration campanaire, la cloche de Lussas
Voici une exploration campanaire du clocher de Lussas. Un très grand merci à la mairie d’avoir permis cette visite avec tant de facilités et de gentillesse.
Lussas est aux portes du Coiron. Si le plateau est marqué par des cloches de petite taille, en piètre état et des églises émanant de communautés pauvres, Lussas possède une belle église bien implantée au cœur du village. Le clocher octogonal a une apparence plutôt légère et aérienne. On ressent pleinement la transition entre le Coiron et le pays d’Aubenas.
Le clocher, accessible par plusieurs échelles métalliques en très bon état, est lumineux et parfaitement entretenu. On y trouve une cloche unique, suspendue en rétrograde sur un beffroi IPN assez minimaliste. D’un premier coup d’œil rapide, le campanaire ne paye pas de mine, révélant une épigraphie qui pourrait sembler limitée. Il s’avère toutefois qu’il faut peu de temps pour déterminer qu’il s’agit d’une pure merveille.
La dédicace de cette cloche, inscrite qualitativement au cerveau, donne le teste suivant : IHS * A FVLGVRE * ET TEMPESTATE * LIBERA NOS DOMINE * SANCTA * MARIA * ORA PRO NOBIS et à la pince, 1613.
Nous aborderons tout de suite le sujet délicat, la date. Les 4 lettrines sont fortement érodées, sauf le 6. Etant donné que rien ne peut justifier qu’elles aient été élimées par le temps, ce de surcroît qu’il s’agit d’un clocher fermé, et pas d’un clocher peigne, nous pensons qu’il s’agit d’une mauvaise impression de la cire perdue dans la chape.
Le numéro 1 est certain, de même que le 6. Le numéro 1 suivant est peu imprimé. Une confusion avec un 7 pourrait exister, mais il est un fait intéressant à signaler, le pourtour rectangulaire a la même dimension pour les deux numéros un. Quant à la fin, le numéro 3 est pour ainsi dire illisible et nous pouvons clairement évoquer qu’il s’agit d’une supposition. Un numéro 8 n’est pas exclu.
Ce que l’on remarque, c’est l’absence de signature de fondeur. Par contre, on retrouve comme marqueur d’identité absolument indiscutable, le Saint-Jean-Baptiste à trois jambes. Bien évidemment, c’est une explication malcommode. Au tout départ, quand nous l’avons vu pour la première fois à Vagnas, l’interrogation fut de savoir : mais diantre, pourquoi ce personnage possède trois jambes ? Il s’agit, en toute simplicité, de sa tunique en chameau, qui pend entre les deux jambes.
Depuis, nous le déterminons, cette effigie est la signature (pour nous, car spécifique) des Dupuy, qui comme nous le savons, ne signent jamais.
Les cloches Dupuy dont nous avons connaissance à date de rédaction de ce documentaire sont : Lachamp-Raphaël 1697, Aubenas 1653, Saint-Etienne de Fontbellon 16xx, Chassagnes 1655, Laveyrune 1624, Fabras +/- 1630, Saint-Étienne de Lugdarès 1616, Vagnas 1623, Saint-Didier-Sous-Aubenas 1632. Donc en tout 10 cloches. L’instrument de Lussas est donc rare.
Le long étagement des dates nous fait dire que, quelle que soit l’église, nous n’arrivons pas à distinguer les Dupuy La Souche des Dupuy Chassiers, puisqu’il est tout à fait connu par la Revue du Vivarais, qu’il s’agit d’une dynastie de fondeurs. Ils utilisaient les mêmes matrices.
Quoi qu’il en soit, l’identification est une certitude ; notons en complément que l’épigraphie est d’une très forte similitude avec Saint-Étienne de Lugdarès 1616, contemporaine.
Il est à signaler que Lussas se distingue par la présence d’un médaillon d’homme barbu, d’une très haute qualité épigraphique et rare comme il se doit. Il fut mentionné des lettres romaines autour, mais cela n’est plus lisible à ce jour. Représentation d’un dignitaire, c’est très probable. Nous n’y voyons pas l’effigie du fondeur, ce n’est ni dans leur pratique (discrète), ni réellement une pratique campanaire.
La dédicace reprend les très chères thématiques des Dupuy : les cloches d’orage et de tempête. Notons, en toute précision utile, ce n’est pas une cloche de tourmente, lesquelles ont une vocation usuelle différente. Elle est dédiée à Sainte-Marie.
Elle sonne un La#(3) et pèse environ 310 kilogrammes. Le rétrograde est sur un gros mouton en bois. L’entretien est Bodet avec une automation sur un BTE2. Nous avons remarqué un point d’usure très élevé, s’apparentant visiblement à 24%. Les 14% sont largement dépassés. La faible récurrence des sonneries ne nous donne pas d’inquiétudes. C’est une cloche ancienne, le battant est très petit, Bodet a réglé sur une sonnerie douce : tout est très bien.
Le secteur Berg et Coiron se révèle une fois de plus un lieu majeur pour ce qui est du campanaire. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’une cloche Dupuy est à la fois un patrimoine exceptionnel et bien précieux.