L'arrivée
du train à Maintenon
La commune de Maintenon est située dans le nord de l'Eure-et-Loir. Comme un certain nombre de villages dans les dix kilomètres avoisinants, il y a un ancien patrimoine souterrain oublié des archives, composé de marnières quelquefois en très mauvais état. Comparé à d'autres régions de France, ce patrimoine est restreint, presque secondaire. Il est néanmoins non dénué d'intérêt car en menant une observation détaillée, on arrive à reconstituer une grande part de son histoire.
L'objet de cette
étude est une carrière souterraine creusée dans un calcaire
crayeux, mélangé avec des bancs marneux et des rognons de silex.
L'aspect général du site est un creusement dans une craie extrêmement
friable, presque terreuse, mêlée de couches de silex étagées
en trois principaux bancs massifs et très linéaires. Ces silex suivent
une couche régulièrement inclinée de 10%. Cependant, la galerie
principale est parfaitement horizontale.
Cette galerie est située à
la sortie de la ville. A l'époque du creusement, les lotissements n'existaient
pas.
C'étaient de grands champs vastes et uniformes.
Les
matériaux ont probablement servi au marnage des champs, c'est pourquoi
le lieu est appelé marnière. Cependant, en comparaison avec les
véritables marnières de l'Eure, on observe un certain nombre de
différences non négligeables.
- En premier lieu, la stabilité du souterrain est entièrement
acceptable. Il n'y a qu'un seul effondrement, et celui-ci se trouve dans
une partie annexe du souterrain.
- Ensuite, les dimensions du lieu sont importantes par rapport aux carrières
répandues par milliers dans les sous-sols de l'Eure. Les marnières
sont habituellement constituées de quelques minuscules galeries
placées circulairement autour d'un puits. Ici, on observe une entrée
en cavage pour une galerie de quarante trois mètres quasiment linéaire.
L'Eure et Loir est une région très agricole et les amendements
des champs devaient être importants. Cela explique la grande taille
du lieu.
- En dernier lieu, le site s'enfonce en profondeur. Ici, pas question
d'un recouvrement d'un mètre ou deux. Etant donné que la
galerie principale est creusée directement sous un talus très
abrupt, il y a au point maximum une épaisseur de 25 mètres
de terre.
La craie a donc servi au marnage, mais le nom
attribué de marnière n'est pas représentatif.
Les
silex sont présents en quantité importante. Cependant, malgré
la présence d'une chambre manifestement destinée aux déchets
d'exploitation, on ne retrouve pas de tas de pierres, même en creusant sous
les tas de terre amoncelés. Ces silex ont manifestement été
récupérés. En effet, juste à côté du
site se trouvent le château de Maintenon et son Aqueduc. A 200 mètres
de là et aux premières habitations, on observe un beau mur entièrement
composé de silex entassés. Il y a peu de doutes quant à la
provenance de ces pierres, malgré qu'aucune archive ne vienne le confirmer.
Une petite chambre d'exploitation, fruit du travail d'extraction probable
d'une année
La marnière
est constituée d'une longue galerie d'où partent des renfoncements
et des salles de manière un peu anarchique. Cela tend à démontrer
deux choses. En premier lieu, l'ancienneté manifeste du creusement. Il
s'agit d'une exploitation artisanale qui n'a rien de rationnel en comparaison
aux larges et profondes carrières actuelles. Deuxièmement, cela
prouve le non professionalisme des personnes ayant creusé. Il s'agissait
certainement de paysans désoeuvrés, préparant les marnages
durant les périodes mortes des cultures.
Au contraire des carrières
du maastrichtien, les parois sont informes et les voûtes arrondies. En fait,
le matériau ne permet pas la constitution de parois planes. De plus, l'avancement
dans le site ne décrit pas de volonté générale. Plusieurs
galeries partent au hasard et sortent du banc exploitable. C'est donc une galerie
proposant un aspect difforme, dont la plus proche ressemblance est la carrière
du chemin vert, à Marly dans le Nord de la France.
L'entrée est obstruée
par un énorme monticule de terre. Actuellement et après quelques
travaux de désobstruction, il reste un trou de petite taille. L'entrée
est creusée à même la terre et semble se dégrader au
fur et à mesure du temps passant. Un muret en silex et ciment vient protéger
le haut de cette entrée. A priori, si le site était bâti sur
un schéma identique aux autres marnières des alentours, il y avait
une porte en bois à double battant. Le muret restant actuellement en serait
le linteau. Sur ce muret, aucune inscription, aucune trace de clou ou de fixation,
pas de panneau nominatif.
Le fait que cette entrée est obstruée
provient d'un comblement naturel. De plus, les talus abrupts ont tendance à
s'effondrer ou glisser régulièrement. Etant donné que ce
lieu est placé dans la forêt, il représente un danger potentiel
faible ne nécessitant pas d'actions particulières de la part des
autorités.
L'état général
de cette carrière est très bon. Pas de fontis, peu de fissuration,
pas d'affaissement, pas de décollement sauf en un endroit précis.
A noter par contre à l'intérieur du site un reste de porte dont
les montants en bois sont complètement pourris. La rupture entraînerait
la chute d'un mur en silex du même type que celui de l'entrée. Ce
mur ne semble cependant pas nécessaire à la stabilité du
ciel de la carrière : Il s'agit d'une séparation physique entre
une galerie d'exploitation et une zone de déchets de taille. Ce mur n'est
pas de taille suffisante pour consommer l'intégralité des bancs
de silex de l'exploitation.
Longue galerie légèrement
courbe.
En ce qui concerne l'emplacement de la carrière, il n'y a pas d'explication nette. On peut mettre en avant qu'elle est située juste en dehors des limites du parc du château. Il est probable que les paysans ne pouvaient creuser dans cette propriété. Le talus devait permettre une attaque facile, est-ce un ancien glissement de terrain qui aura motivé les paysans, dégageant une paroi entièrement blanche ? En tous cas, il n'y a semble t'il, aucun lien avec l'aqueduc tout proche. Cet ouvrage est construit de briques en terre cuite de section carrée, la chaux de liaison est craquante et légèrement brune. La chaux ne peut provenir de cette marnière.
A l'intérieur de la carrière, il y a de très nombreuses inscriptions. Les tags semblent démontrer une époque de creusement placée vers 1860. Cela est très nettement postérieur à la construction du château de Maintenon et à l'aqueduc. (De toutes manières, les pierres du château ont une provenance en grande part définie, soit la carrière de Berchères les Pierres).
Ces tags sont inscrits au crayon de bois sur les faces plates des silex. Le plus souvent au fusain, mais également à l'aide de crayons à mine de graphite. Un bon nombre sont effacés à cause de l'humidité ou restent totalement illisibles. Peu de graffitis à la flamme, et ne paraissant pas d'époque, sauf un grand R.F. Les tags démontrent également une occupation pendant la seconde guerre mondiale et une fréquentation assidue des gens du village durant les quelques années qui suivirent - en effet, on observe un grand nombre de tags mentionnant 1947, sans noms ou signatures. Le souterrain aura servi de refuge pendant les bombardements et les gens seront revenus sur place par la suite...
Cependant,
les bombardements à Maintenon ont essentiellement ciblé des installations
allemandes en 1943, situés vers la gare et vers le Hameau de Saint Mamert.
Or, il y a également une galerie dans ce hameau, elle ne comporte absolument
aucune inscription.
De ce fait, l'occupation des galeries durant la guerre
ne sembla pas un fait extrêmement marquant, cela comme si c'était
loin d'être une nécessité.
La liste des graffitis est livrée ici dans son entièreté et son obscurité, en conservant la syntaxe parfois étrange. Les noms ne rappellent rien aux anciens de la commune. Il faut signaler en effet que la plupart des noms sont malheureusement très répandus. Les inscriptions manifestement récentes n'ont pas été relevées.
Chemki
3, 9, 93. Il s'agit d'une inscription de 1893
Daumier Anatole, 1897
Mouchet
Gaston, le 12/5/1943
Lesaint Pierre, le 12/5/1943
Deurrier
Pépin,
30 mars 94 probablement 1894 vu le type d'écriture.
Goujon Sebastien
20/7/91 même remarque.
Dupuis L
Le Bourhis 9/9/43
Sebastien,
le 9/9/43
Jeulan
Chemin René, 1943
Les compagnons du Lys, Noël
1937
Henry, le 4 août 1871
Herbau, 1884
NJC Souty Pierrette
Claude 18..
Jacques (et juste à côté) Georges
Une recherche systématique a été faite sur chaque patronyme, cela autant que possible. Parmi ces personnes, certaines seraient des parents ou grands parents ayant habité là aux époques concernées. Les seuls carriers potentiels sont les individus du XIXème siècle. Personne ne les connaît.
A noter seulement que le curieux patronyme
"Le Bourhis" correspond à un nom du coin. En effet, un
aviateur 'Louis Le Bourhis' est répertorié au sein de la
base aérienne de Chartres (1928).
Le sol de la carrière est constitué
de terre. En creusant dans des endroits définis, soit les fonds de galerie,
divers objets ont été retrouvés. Une pelle extrêmement
abîmée, un reste d'échelle qui devait servir de liaison entre
les deux niveaux, une barre de fer pointue, des restes de bougies sans intérêt.
De cela, il est possible d'imaginer que le creusement ait été effectué
avec ces barres. Cela paraît logique au vu de la friabilité de la
roche à creuser. Ils devaient s'en servir comme des pieux, buriner et faire
tomber les matériaux par terre, ensuite récupérés
avec les pelles. Habituellement, ce genre d'outil est intitulé pointerolle.
Cependant, il est de fait que les formes sont multiples et les dénominations
variables.
D'ailleurs, pourquoi de la terre au sol ? Etonnement, celle-ci semble importée. Les recherches menées afin de retrouver les outils ont expliqué cela. En effet, l'épaisseur de terre est généralement de vingt centimètres. Ensuite, on retrouve le matériau primaire, la couche de craie. Il semblerait donc qu'au fil de l'exploitation, les ouvriers aient déposé au sol leurs limons et autres matériaux inutiles et, avec le temps, cela s'est solidifié en une couche homogène. Durant plusieurs périodes d'inondations, ce fut probablement de la boue, ce qui expliquerait également la situation d'enfouissement des outils. Il est possible aussi que ce soit de la boue provenant de l'extérieur, toutefois la couche est très homogène du début à la fin de la carrière.
La
galerie nettement plus petite située en étage supérieur ne
possède aucune inscription et aucun intérêt. Il semblerait
que ce soit un creusement postérieur, réalisé rapidement
et probablement sur une année, ou deux tout au plus. Peut-être parce
que la partie inférieure était encombrée d'eau ? Toutefois,
la présence d'un trou entre les deux étages vient en contradiction,
car il paraît évident que les carriers versaient des matériaux
par cet orifice
Mais il y a une certitude : la galerie du bas a été
inondée au moins une fois, ce de 40 centimètres. Le bas des parois
est régulièrement marqué d'une couche grisâtre.
En tous cas, la galerie supérieure ne devait pas avoir de cavage. Le trou
d'entrée résistant actuellement aux effondrements et glissements
de terrains provient directement de ces derniers.
Des années d'un travail aujourd'hui
oublié. Qui a creusé ? Des paysans, des ouvriers ?
Une
hypothèse a été évoquée quant à la réalisation
de cette galerie. De très nombreuses marnières donnent exemple du
volume extrait en une année : Saint-Piat, La Villette Saint Prêt,
Jouy, Chartres, Epernon, etc
Ce sont des galeries uniques, parfois accolées
les unes aux autres le long d'un talus. Ce volume semble constant d'une marnière
à l'autre.
On arrive à la conclusion que la galerie de Maintenon
contient trente fois le volume d'une galerie annuelle. Or, en appliquant cela
sur un plan, on constate que les volumes en question correspondent presque systématiquement
à des renflements sur les parois, ou bien au volume approximatif des pièces.
Peut-on en conclure que les creusements annuels sont visibles aujourd'hui avec
la simple forme générale de la galerie ?
Cela
se complexifie lorsque l'on aborde le fait que la carrière a été
creusée en deux vagues successives. En effet, il y a eu un premier creusement
correspondant à la partie haute de la galerie (de deux à quatre
mètres). Ensuite, un surcreusement a été effectué,
de deux mètres vers le bas. Cela se voit très bien parce que le
surcreusement n'a pas été terminé. Vers le fond de la galerie,
on a un changement d'aspect très brusque.
On peut donc tabler approximativement
que le creusement s'est déroulé sur trente à quarante ans.
A
cela vient s'ajouter un fait intéressant : les graffitis datant de la fin
du XIXème siècle sont au fond à droite de la galerie. Ces
inscriptions sont forcément les plus récentes. On conclut que si
le creusement s'est étalé sur une trentaine d'années, il
faut retrancher aux graffitis ce temps pour obtenir la date de début d'exploitation.
Cela nous place aux alentours de 1860.
Toutefois, c'est entièrement
théorique car cela suppose un creusement constant. Or, certaines années
ont peut-être été plus intenses que d'autres
De plus,
cela présuppose que les renflements et discontinuités observées
sur place sont justes. Or, les traces observées n'étaient pas toutes
très claires vers le fond de la galerie. Malheureusement, il n'y a aucun
graffiti lisible près de l'entrée permettant de faire une datation
plus précise.
Conclusions :
Sur la base des hypothèses décrites, on en conclut les probabilités suivantes : ce souterrain possédait un cavage fermé avec une porte. Il était exploité par des paysans en recherche de marne pour leurs champs. Ils ont débuté l'activité vers 1860 et l'ont terminé vers 1900. Ils utilisaient des burins et des pelles. Le creusement a été effectué en deux vagues successives, une galerie et un surcreusement de cette galerie. Ensuite, le souterrain a été utilisé comme refuge durant la seconde guerre mondiale.
Cela constitue bien évidemment de maigres informations en comparaison avec la richesse de certains souterrains en Touraine ou en Cambrésis. Mais cette étude envoyée à la Mairie de Maintenon et aux associations historiques viendra peut-être réveiller un souvenir enfoui
Mon frère en train de faire l'andouille ;) Nous avons testé le jeu
du freesbee sous terre, mais ce n'est pas palpitant. En effet, on entend très
bien l'objet siffler dans l'air, mais il est impossible de le voir !
Remarquez la patience de mon frère qui a passé le balais dans la
carrière...
Mais à par ça, il est incapable de tenir
propre son studio :-p
Ces aménagements ont été réalisés le soir du
passage à l'an 2000.
Ci-dessus, une carrière similaire à Saint Mamert.