Tchorski
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Le tunnel de Bête-Refaite (1/2)

Ce documentaire concerne le tunnel de Bête-Refaite, situé principalement sur la commune de Chapelle-Lez-Herlaimont, partiellement sur Gouy-Lez-Piéton. Un grand merci à madame Sandrine Lamotte, de la division Nature et Forêt de la Région Wallonne pour l'autorisation de visite et monsieur Guy Dewier pour les démarches effectuées. Ce reportage a pour but de compléter, faire résonance et miroir à celui sur le tunnel de Godarville, visible ici. En effet, ces tunnels sont intimement liés par leur histoire.

Corrections et documentation historique : Cédric De Keyser, Sandy De Wilde.
Photos : Vincent Tchorski, Cédric De Keyser. Celles de Cédric sont annotées CDK.

Le tunnel de Bête-Refaite se situe sous la ligne de crête de la Meuse et de l'Escaut, entre le bassin industriel de Bruxelles et celui de Charleroi. On parle des bassins hydrographiques de la Meuse et de l'Escaut, Bruxelles
se trouve dans le bassin de l'Escaut via la Senne, Charleroi dans celui de la Meuse via la Sambre. Actuellement et depuis 1948, l'obstacle est franchi par une vallée artificielle : la tranchée de Godarville ou grande tranchée de Godarville, creusée pour le canal actuel à grand gabarit. Bête-Refaite était le site d'un ancien relais malle-poste, aujourd'hui démoli. Le nom du lieu-dit provient de là où l'on refait les chevaux, c'est-à-dire là où les chevaux de halage se reposent. Le nom de Bête Refaite mérite, à tout le moins, une petite digression. Depuis longtemps, les diligences qui reliaient Courcelles à Nivelles franchissaient la crête à cet endroit. Arrivées au sommet, les bêtes fatiguées bénéficiaient d'un temps de repos, moment d'autant mieux choisi qu'un estaminet s'était installé en bordure de route. Les cochers et les passagers pouvaient eux aussi y reprendre leur souffle. Aujourd'hui, les chevaux ne tirent plus les diligences et les cochers ont disparu, mais le cabaret a survécu et l'appellation du lieu, grâce au tunnel-canal qui lui a emprunté son nom, n'est pas tombée dans l'oubli.


Le halage à l'aide des chevaux.

Afin d'éviter les risques d'éboulement et de réduire autant que possible la quantité de déblais à évacuer, la solution du souterrain sera retenue par Vifquain, auteur de nombreuses écluses sur le canal du Centre. Le tunnel a été percé entre 1827 et 1832, il a une longueur de 1267 mètres et une hauteur de 3 mètres. Voilà pour les caractéristiques essentielles. Il est calibré pour le passage des « baquets de Charleroi » soit une capacité de 70 tonnes. Nous parlerons davantage de ces bateaux par la suite. Le tunnel possédait un quai de halage.

Les deux entrées actuelles sont proches du canal Bruxelles-Charleroi, en bordure du halage. Il est souvent évoqué dans la littérature que le canal a éventré le tunnel. Une seule ouverture a été démolie, l'autre entrée est originelle. Du côté de Gouy, on peut encore voir des pierres de taille de la voûte. Du côté Seneffe, il ne subsiste que la maçonnerie des bandeaux, tout le reste a été démoli. Cédric Dekeyser précise : contrairement à ce que l'on admet généralement, le tunnel de Bête-Refaite n'a été détruit que sur une petite partie de son tracé. Donc à l'est, côté Godarville, on a encore le porche d'entrée d'origine, qui s'accompagnait probablement autrefois d'un immense mur de soutènement ; à l'ouest, côté Seneffe, le tunnel a été en partie mangé par le creusement de la tranchée. La longueur initiale du tunnel était bien de 1267 mètres, j'ai estimé à 1120 mètres ce qui reste (Voir carte page 2).
Aujourd'hui, le tunnel est effondré au cours de la galerie, et se visite donc en deux parties. L'effondrement se trouve à plus ou moins 80 mètres d'un côté, la répartition des longueurs est environ 1/9ème et 8/9ème.


L'entrée de Bête-Refaite côté Seneffe en 1945 (Source : bibliothèque de Seneffe).
C'est donc cette entrée qui a complètement disparu.

La littérature mentionne comme ingénieur des travaux Jean-Baptiste Vifquain, et comme main d'oeuvre de nombreux paysans qui, durant cinq années, ont évacué les déblais majoritairement à la brouette. Le travail était réputé difficile car, comme au tunnel de Godarville, postérieur et géographiquement très proche, les sables sont gorgés d'eau, de sources, et naturellement ébouleux... Divers procédés sont mis en oeuvre au fil du temps afin de tenter de surmonter les difficultés, mais les échecs sont fréquents. Après ce dur labeur et à l'achèvement du tunnel, des festivités eurent lieu dans les villages avoisinants. Le tunnel avait pour but de dynamiser le commerce entre Charleroi et Bruxelles. Le premier chargement de charbon ayant transité par le tunnel fut distribué gratuitement aux pauvres de la ville.

Selon Guy Gallez (voir sources), l'architecte-urbaniste Jean-Baptiste Vifquain (né à Tournai le 24 juin 1789 - décédé le 31 août 1854), un Hainuyer originaire de Tournai, était domicilié à Bruxelles et engagé au Waterstaat (ministère de l'eau) comme ingénieur pour le compte de l'Etat hollandais. Il travailla à l'embellissement de la ville à partir de 1815. Il réalisa des canaux et des chemins de fer puis construisit le premier pont métallique de Belgique. Vifquain fit aussi éclairer au gaz les grandes artères de Bruxelles. Au cours de nombreux travaux fructueux, il amassa une fortune considérable. Véritable bête de somme du travail, il avait présumé de ses forces. Il fut pensionné en 1846 à l'âge de 56 ans. Tout porte à croire qu'il s'était épuisé au point d'en avoir perdu la raison car il mourut interné.

Jean-Baptiste Vifquain conçut un bateau spécialement adapté au canal et au tunnel, de dimensions étroites. Tout d'abord construit en bois, le baquet de Charleroi a une forme parallélépipédique, avec un fond plat et le nez légèrement relevé. Il ressemble à un long sabot. Long de 19 mètres, large de 2,60 mètres, il s'emboîte idéalement dans les écluses de 19,80 mètres sur 2,75 mètres. A partir de 1874, les baquets sont construits en acier, le premier fut pour la société Carrières de Quenast. Ils jaugent alors 70 tonnes. Jusqu'en 1930, la traction des bateaux se fit par des haleurs ou des chevaux de halage. Pendant une courte période, elle se fit aussi par des tracteurs électriques. Le 22 septembre 1832, le premier baquet quitte Charleroi pour rejoindre Molenbeek-Saint-Jean trois jours plus tard. A ce jour, et on s'en doute, il ne reste aucune trace de baquets dans le tunnel de Bête-Refaite. Cédric explique que la traversée du tunnel de Bête-Refaite était extrêmement éprouvante : les chevaux ne pouvaient pas rentrer dans le tunnel, trop exigu, et de fait les baquets étaient halés à bras d'homme. Dans Godarville par contre les chevaux pouvaient rentrer et les niches qu'on trouve à l'intérieur leur permettaient de faire demi-tour si nécessaire en leur évitant de devoir traverser tout le tunnel.


Le baquet de Charleroi.

Le tunnel de Bête-Refaite est obturé par deux grilles, dans le but de protéger les zones de nichages de chauves-souris. Deux espèces de chiroptères y ont été répertoriées : le vespertilion à moustaches et le vespertilion de Brandt. Le vespertilion de Brandt est beaucoup moins fréquent. Les vespertilions se caractérisent par une longue queue. Ces animaux peuvent aussi s'appeler des murins. Ils ont une durée de vie d'une vingtaine d'années, ils pèsent entre 4 et 8 grammes. Le canal de Godarville comporte aussi des chauves-souris. Nous en sommes étonnés du fait de l'importance de l'humidité, voire même l'universalité de l'eau dégoulinante, et la présence de courants d'air, mais c'est donc un fait avéré par la Région Wallonne.
La procédure de classement au Patrimoine du tunnel de Bête-Refaite amorcée en janvier 1983 n'est pas encore terminée à l'heure actuelle, pour cause de difficultés administratives (deux propriétaires différents).

Sources : Le Soir, Le canal de Charleroi a 175 ans.
Ittre autrefois, images de baquets de Charleroi.
Guy Gallez, Belgians in the American civil war, 1840-1865.
La batellerie - Expérience fluviale sur les fleuves, canaux et rivières navigables, partie écluses désaffectées.
Ville de Seneffe, le patrimoine hydraulique de Seneffe.
Michel Maigre, le bulletin d'information du canal du Centre.
Rouages du Met, Wallonie.be, l'origine du nom Bête-Refaite.

Le tunnel de Bête-Refaite

Vous pouvez écouter le tunnel de Bête-Refaite ici :
Sonorité


Le tunnel se trouve à proximité de cette grande tranchée, le canal actuel.
Avant, le tunnel de Bête-Refaite s'achevait dans les bois au fond à droite.


Nous voici dans le tunnel.


Il est muraillé en brique, une voûte en ogive. On y observe une margelle pour les hommes qui devaient tirer les baquets. Une rambarde les empêche de tomber dans l'eau.


A cause d'un effondrement, la communication avec la suite est coupée.


PHOTO : CDK


Dans l'autre partie du tunnel, il y a eu de gros problèmes d'envasement, ce qui fait que le tunnel s'est entièrement chargé d'eau et de boue, un peu comme à l'Olive.


Des hommes de la région Wallonne sont venus charrier les vases afin de déblayer le passage. Cela a permis l'évacuation des eaux vers le canal. Sans ce travail, il était devenu impossible de progresser dans le tunnel et de faire les comptages de chauves-souris.


PHOTO : CDK


Derrière l'envasement, l'eau est parfaitement limpide. Il y a environ trois mètres de fond.


Des racines concrétionnées.


La rambarde se constitue de piquets en métal, surmontés d'une rampe en bois.
Celle-ci est souvent joliment concrétionnée.


Ensuite, le paysage peut devenir assez rapidement monotone.


Une concrétion étrange.


PHOTO : CDK


A certains endroits, la rambarde est tombée dans l'eau.


PHOTO : CDK

PHOTO : CDK


Les concrétions au sol peuvent former des filins fragiles.


Des traces d'un petit rat. On voit les empreintes de ses petites pattes et sa queue.


Une concrétion chargée de manganèse, les traces noirâtres.


Magnifique concrétion sur la rambarde.


PHOTO : CDK

PHOTO : CDK

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