Cet
article a pour but de caractériser le son d'une cloche.
Assez souvent,
j'ai entendu dire : le son des Van Den Gheyn est soyeux, il est moelleux, le son
des Paccard est cristallin, le son des cloches du XVIIIème est mauvais.
Autant ces termes peuvent émettre un ressenti, autant la donnée
ne se rapporte à rien de scientifique. Un son soyeux, qu'est-ce que cela
veut dire ?
Cet article fait appel à un certain nombre de principes
d'acoustique. Ces notions ont été réduites au plus strict
minimum. Le but n'est pas de faire un article d'acoustique mais un sujet campanaire.
Les cloches sont ici le seul son qui nous intéresse, bien que pour comparaison,
des sons de chants d'oiseaux ou de papier froissé ont été
pris pour évaluation et comparaison.
Quelques aspects très importants
sont à prendre en compte au préalable :
-Nous ne sommes pas acousticiens
ni chercheurs, donc malgré la recherche documentaire réalisée
pour étayer les dires, les données sont à aborder avec une
certaine précaution.
-Il s'agit de recherche, ou avec modération,
ce que je ressens comme l'étant, étant donné que pour un
certain nombre d'aspects, je n'ai trouvé aucune documentation. De ce fait,
il y a une part non négligeable de suppositions. J'insisterai assez régulièrement
dans le texte lorsqu'il en s'agit, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'une recherche
d'amateur.
Pour cette étude, il m'a semblé bon de prendre en exemple et en comparaison des cloches classiques et des cloches extrêmes. De ce fait, cette recherche se base sur les clochers d'églises paroissiales simples mais variées, celles de l'entité d'Ottignies : Céroux, Mousty, Ottignies, Limelette. Quelques cloches particulières et extrêmes complètent, notamment des gros bourdons.
Qu'est-ce qu'un son ?
Le son est
un phénomène physique perçu par notre sens auditif. Le son
est une onde. C'est une vibration. Voici ci-dessous deux exemples d'un même
son. La figure 1 représente les 12 coups de midi d'une cloche. La figure
est assez simple à comprendre, plus il y a du bleu foncé, plus le
son a une intensité forte. Ainsi, on voit que suite au tintement par un
marteau, un son se forme. Le début de ce son est net, c'est ce qu'on appelle
l'attaque. La fin de ce son est longue et va en s'amenuisant. C'est la résonance
et la décroissance.
Lorsque l'on prend ce son et qu'on effectue un zoom
(en quelque sorte, on regarde ce son au microscope, si cela peut s'imaginer),
on voit qu'il est constitué d'ondes. Ces ondes sont visibles sur la figure
2. Sur une même échelle de temps, plus les ondes sont d'amplitude
élevées (échelle verticale), plus le son est intense. Plus
les ondes sont resserrées, plus la note sera aiguë. Le nombre de vibrations
à la seconde s'appelle une fréquence. La fréquence se mesure
en hertz.
Figure
1 : Les douze coups de midi. Eglise d'Ottignies.
Figure
2 : La vibration sonore de cette cloche.
La force d'une cloche
Plusieurs
paramètres sont à prendre en compte et sont liés.
La puissance
sonore des cloches est proportionnelle à leur poids.
Des cloches peuvent
produire exactement la même note mais avoir des poids différents.
C'est leur profil qui est alors modifié. Le changement de profil va impliquer
des différences dans la perception du son. Selon Cornille-Havard (et nous
les rejoignons sur ce point) : la sonorité d'une cloche en bord épais
est plus moelleuse, mieux équilibrée. Reste à caractériser
justement ce que signifie d'un point de vue scientifique 'moelleux' et c'est dur,
car ce n'est pas forcément tout à fait quantifiable en données
scientifiques. Nous en parlerons plus loin dans les hypothèses.
Donc en résumé, plus la cloche est lourde, plus elle produit un son puissant.
Il
n'existe pas de mesure de puissance facile pour un amateur, en tout cas avec des
bricolages. En effet, un enregistrement mp3 ne sera pas suffisant pour caractériser
le nombre de décibels, puisque les appareils sont étalonnés
durant la prise de son afin d'enregistrer sans saturation - c'est une adaptation
au milieu sonore. La puissance se mesure uniquement avec un dbmètre, in
situ. De plus, l'intensité sonore dépend de nombreux paramètres
:
-La distance de prise de mesure.
-Une ou plusieurs cloches sonnent en
même temps.
-L'état de perturbation sonore du milieu environnant.
Le type de salle de cloches est aussi extrêmement important. Ainsi, dans Sainte-Gudule où l'entourage est tout de pierre, la réverbération est très importante. Cela accroît la puissance. Dans Châtelet, où tout est très sale, le guano atténue une partie du son. Il y a moins de puissance.
La note d'une cloche
Nous venons
de voir que la fréquence définit la note. Dans le jargon campanaire,
il est très souvent évoqué des cloches en sol2 ou sol3, etc,
mais il est rarement expliqué à quoi cela correspond. C'est assez
simple. Dire d'une cloche est en do# n'est pas suffisant, puisqu'il peut y en
avoir plusieurs selon les octaves. On parle donc de numérotation d'octave.
Do2
= 130Hz
Do3 = 260Hz
Do4 = 520Hz
Do5 = 1560Hz
On voit donc que s
i
la note égale deux, sa note à l'octave égale quatre. Elle
équivaut au double de la première. Cette augmentation de note est
facile à reconnaître d'oreille, on a tendance à dire : c'est
la même note mais en plus aigu.
Donner
la note d'une cloche n'est pas suffisant pour caractériser le son, mais
c'est déjà une bonne indication. On parlera de son timbre dans très
peu.
Pour faciliter les
prises de mesures, voici les valeurs les plus répandues des fondamentales
de cloches :
261,6 Hz - si# / do
277,2 Hz - do# / réb
293,7
Hz - ré
311,1 Hz - ré# / mib
329,6 Hz - mi / fab
349,2
Hz - mi# / fa
370,0 Hz - fa# / solb
392,0 Hz - sol
415,3 Hz - sol#
/ lab
440 Hz - la
466,2 Hz - la# / sib
493,9 Hz - si / dob
Il y
a à chaque fois la nuance d'un ton, qui se situe à 4/9 ou 5/9. Le
rapport des fréquences de deux sons éloignés l'un de l'autre
d'un ton est de 9/8, c'est-à-dire que le ton est l'intervalle entre le
8e et le 9e harmonique d'un son fondamental. Le milieu n'est pas 4,5 mais 4 ou
5. Cette nuance est difficilement perceptible, sauf pour les oreilles exercées.
Le timbre d'une cloche
Le son d'une cloche est donc assimilé à une note, on dit que la cloche est en do. Cependant, si l'on compare le son d'une cloche à une note de piano, on se rend compte qu'on a du mal à déterminer si c'est do ou do#. En effet, le son de la cloche parait bizarre, un peu inexact. C'est normal, c'est parce que le son d'une cloche contient de nombreuses harmoniques et il est évolutif.
Pour analyser ceci, on réalise un sonagramme du son, ou encore un sonogramme. Le deuxième mot est un anglicisme, mais peu à peu c'est devenu le plus répandu. Le sonogramme est en quelque sorte la cartographie d'un son.
Figure
3 : Sonogramme d'un tintement. (Logiciel Spectrogram)
Un sonogramme bien réglé en amplitude sur la fréquence d'un tintement permet de discerner quelles sont les harmoniques qui vibrent dans la cloche. Si l'on reprend la définition de Wikipedia : en musique, une harmonique est une composante à part entière d'un son musical. Il s'agit d'une fréquence multiple de la fréquence fondamentale. Par exemple, si on appelle « f0 » la fréquence fondamentale, les harmoniques auront des fréquences égales à : 2f0, 3f0, 4f0, 5f0, etc. Donc un son n'est pas une note unique, mais le son d'une fondamentale, accompagné de plusieurs harmoniques.
Seuls les sons électroniques purs n'ont pas d'harmoniques, ils peuvent ne comporter qu'une fondamentale. Encore que, rien qu'en passant dans une enceinte, ils se chargent d'harmoniques avec les vibrations du milieu, comme une main se chargeant d'un peu de poussière en passant sur un meuble (pour donner une image).
Les harmoniques en matière de cloches sont plus souvent appelées des partiels. Ce n'est qu'une question de langage, on parle de la même chose. Les partiels audibles à l'oreille humaine dans une cloche sont au nombre de cinq. On peut en étudier une centaine en affinant le sonogramme à certaines fréquences, mais cela n'a pas d'utilité dans la pratique d'accordage. Cependant certains auteurs (dont Buckland Dinham) précisent : a bell's sound is dependent on more than the first five partials. Le son d'une cloche dépend de plus de cinq partiels. Tout est probablement question d'exercice auditif... A noter au passage que des harmoniques jusqu'à I.7 sont plus facilement audibles sur des gros bourdons que des petites cloches.
Le spectre harmonique (sonogramme) définit le timbre. Ainsi, on voit que la cloche a une fondamentale forte, accompagné de nombreuses harmoniques décroissantes. A titre de comparaison, le son d'une trompette, moins riche, a quelques harmoniques, d'intensité à peine décroissante, mais pas autant qu'une cloche. A titre de comparaison aussi, le chant d'un oiseau a des harmoniques variables selon les cris. Certains cris sont sans harmoniques ou presque, d'autres en sont riches. Si l'on enlève artificiellement les harmoniques, la plupart des oiseaux ne reconnaissent pas leur cri. Cela a donc une importance haute.
Les partiels visibles sur la figure 3 sont :
Le
1 (fondamentale), le trait le plus épais et presque continu. C'est la note
principale de la cloche.
En général, le son fondamental est toujours
celui que l'on perçoit le mieux car c'est celui qui disperse le plus d'énergie.
Dans une note de cloche, il y a forcément une fondamentale, puisque le
son est une vibration périodique dans l'air. Si le phénomène
sonore n'est pas périodique, ce n'est pas un son, c'est alors un bruit.
Le 0,5 (bourdon). Ce
sont les ronds qui apparaissent sous la fondamentale. Ces ronds sont une harmonique
plus grave que la fondamentale.
-Cette harmonique correspond plus particulièrement
à la mise en vibration forte de la cloche.
-On en a plus sur les grosses
cloches que les petites, voir ci-dessous le sonogramme de Joseph, un gros bourdon
(figure 4), où le partiel 0,5 bourdon est intense.
-On en a beaucoup
plus à la volée qu'au tintement, cela est invariable pour toutes
les cloches observées. J'émets l'hypothèse que cela est dû
au fait que la volée apporte une frappe plus forte, donc plus de mise en
vibration de la cloche.
Le 0,5 bourdon peut aussi s'appeler "le renflement
de la fondamentale".
Le 1,2 (tierce mineure). Pour la différence entre tierce mineure et tierce majeure, voir le documentaire sur le carillon de Deinze.
Le 1,5 (quinte). Décroissant.
Le 2 (nominal). Très décroissant.
Figure
4 : Le sonogramme du bourdon Joseph, trois premiers coups de volée (lancer-franc).
La
fondamentale est intense. Le bourdon est intense et va en augmentant.
Si l'on mène une analyse de fréquence nettement plus détaillée, c'est à dire une mesure in situ avec un logiciel spécialisé, on obtient la courbe de la figure 5. On peut y lire un bourdon assez faible : la toute première courbe à gauche. Ensuite apparaissent 6 partiels, qui forment 6 pointes assez détaillées. Etant donné que la décroissance de ces pics n'est pas parfaitement linéaire, j'émets l'hypothèse que cette analyse permet de déceler un léger défaut d'accordage au niveau de la nominale. On peut remarquer aussi un nombre assez important de pics, suivant les partiels de la fondamentale à la nominale. Ces harmoniques existent et peuvent être analysées presque à l'infini. Cependant, elles ne sont quasiment pas audibles séparément pour un être humain, c'est trop brouillé par les harmoniques précédentes, inévitablement plus puissantes. Les partiels suivants sont 2,5 ; 2,6 ; 2,7 ; 3 ; 3,3 ; 3,7 ; 4,2 (faux double octave), 4,5 ; 5 ; 5,9. La baisse subite à 16k provient uniquement de la qualité de l'enregistreur au moment de la prise de son.
Figure
5 : Analyse de timbre de la cloche VDG de l'église de Mousty. (Logiciel
AnalFreq).
Le timbre de la cloche dépend de l'amplitude et de la décroissance de chacun des partiels. Un sonogramme est une carte d'identité de la cloche. C'est son code ADN. Plus les fréquences de ces harmoniques sont proches des multiples entiers de la fréquence fondamentale, plus le son est pur ou harmonique (clavecin). Plus elles s'éloignent des multiples entiers, plus le son est inharmonique (piano, cloche).
Pour
établir l'étalonnage de la cloche, on pratique son accordage. C'est,
peu après la fabrication, une étape de rognure à l'intérieur
de la robe. Pour qu'une cloche soit bonne, elle doit respecter la norme du Limbourg.
Cela signifie en détail :
- Note
fondamentale.
- Octave aiguë et octave grave coïncident avec la note
nominale.
- Tierce mineure non tempérée.
- Quinte juste.
La
qualité de la sonorité dépend aussi beaucoup de la bonne
qualité des équipements et du bruit extérieur. Ces paramètres
ne sont absolument pas négligeables. On le voit sur la figure 6.
Le
A correspond aux impacts de lancement de chaîne de volée. Ces impacts
sont produits par l'impulsion violente du moteur de transmission. Ce bruit est
accompagné par un chuintement des chaînes sur le volant. Pour éviter
ces nuisances, il a été inventé le moteur à transmission
linéaire. C'est un élément assez récent qui permet
de mettre en volée grâce à de l'électro-magnétique.
Nous y reviendrons un de ces jours !
Le B correspond aux nuisances du milieu
extérieur : voitures, train, métro, etc. Comme témoin de
lieu perturbé, l'église d'Uckange en bordure immédiate d'autoroute,
doit être un bon exemple.
Figure
6 : Perturbations sonores d'une volée. (Logiciel Frequency Analyzer).
Le timbre n'est pas la seule donnée
Selon
les courbes que nous venons d'analyser, on serait tenté de dire que la
notion de timbre d'une cloche semblerait être entièrement définie
par la hauteur des partiels. C'est une notion juste, mais à minorer. L'impression
sonore dépend de l'onde sonore, mais aussi du fonctionnement de l'oreille
et du cerveau. Les paramètres supplémentaires à prendre en
compte sont :
- Le type de salle de cloche, le son est-il amplifié
ou amorti ? Y a t'il des abat son ? Le beffroi est en métal ou en bois,
transmet-il des vibrations à l'entièreté de la structure
? En quelque sorte, cela revient à répondre à la question
: comment le son se propage-t'il ?
- L'auditeur est-il à l'aise ou
ressent-il une douleur auditive ? Par exemple, on pourrait penser que plus la
cloche est grosse, plus on a mal aux oreilles, puisqu'elle est plus puissante.
Or, le seuil de douleur est plus rapidement atteint avec des clochettes de carillons
que des gros bourdons. Les lésions auditives sont pourtant plus importantes
avec des grosses cloches.
- L'auditeur est-il habitué à l'audition
d'une cloche, fait-il la différence (subtile) entre une cloche ancienne
et une cloche récente ? Ces paramètres peuvent être d'autant
renforcés qu'un enfant sera impressionné par le volume sonore d'un
bourdon, tandis qu'un adulte pourrait être attaché à la rareté
du son de l'objet.
On se rend compte aussi que le sens de lecture a une signification. Le test d'inverser le son rend le tintement d'une cloche parfaitement méconnaissable. Cela ressemble à un frottement métallique qui va en s'accroissant avec violence. Or, ce sont exactement les mêmes fréquences, les mêmes partiels, etc. Le son est pour autant perçu totalement autrement. Dans le même ordre d'idée, un test a été réalisé pour étirer le son. Il s'agit des mêmes fréquences, mais la durée d'attaque a été allongée. Cela ne constitue pas une "note de cloche" plus longue. Ca forme une note très métallique (disons de sensation métallique, comme si l'on frappait un tube) et la résonance prend un aspect dur et un peu crissant, le ressenti est désagréable.
En dernier lieu, il convient de mentionner que la perception musicale (puisque la cloche est un instrument de musique) a évolué au cours du temps. La perception médiévale n'est pas celle d'aujourd'hui, étant donné que nous sommes tous baignés dans une culture de son électronique. Le rapport au son n'est donc pas le même. La polyphonie a fait son apparence peu à peu et cela a de toute évidence transformé notre lecture sonore de l'environnement.
L'analyse de la réception du son musical s'appelle la psychoacoustique. En ce qui concerne le timbre, il y a une part objective et scientifique indéniable, il y a aussi des questions plus floues d'environnement et de perception.
La cloche n'est pas un instrument linéaire
Cela n'est pas une révolution dans le monde campanaire, la cloche n'émet pas le même son selon là où elle est tintée. Ce petit enregistrement permet de le montrer. Ce n'est pas une nouveauté, mais les techniques multimédia de nos jours facilitent la démonstration. La robe est tintée tous les 10cm en hauteur, de la pince au cerveau.
https://tchorski.fr/9/audio/harmoniques.mp3
Ainsi, on accepte traditionnellement dans le monde campanaire (une référence serait souhaitable) que c'est la bouche de l'instrument qui émet la quasi-totalité du volume sonore. Suivent les différentes hauteurs de la panse. Ces hauteurs comportent les différents partiels. La couronne quant à elle n'émet aucun son. Cette couronne ne fait pas partie de l'instrument d'un point de vue musical, étant donné que toute vibration lui est interdite par le fait qu'elle est calée contre un axe. La couronne fait par contre partie de l'instrument des points de vue utilitaire (impossible de faire sans !), décoratif et même parfois symbolique.
J'émets l'hypothèse que la bouche émet surtout la note principale, c'est à dire la note perçue à la frappe et la résonance les notes concomitantes. Lors d'une grande volée, j'ai isolé les derniers instants de résonance d'une cloche ayant subi un assaut assez poussé (volée de dix minutes pour un mariage). Le spectrogramme de cette fin de volée montre clairement une augmentation graduelle mise en résonance de l'objet musical. Des pointes très visibles de développements d'harmoniques sont visibles (figure 7). Cela n'aurait rien d'étonnant, puisqu'on vient de voir que les harmoniques sont étagées dans l'instrument de musique. Ainsi, si l'hypothèse est juste, on peut conclure qu'une mise en volée entraîne de facto une grande mise en vibration de l'objet musical et que cela entraîne le développement d'harmoniques. Les vibrations seraient montantes et radiales. C'est pour cela qu'une fin de volée développe des notes concomitantes, c'est à dire des harmoniques surdéveloppées par rapport à la fondamentale, et donc une impression que le son de la cloche s'éteint sur un ton plus aigu. D'après Buckland Dinham : The larger the amplitude of vibration, the louder the individual partial will sound. Au plus l'amplitude de vibration est élevée, au plus les harmoniques vont être développées. Cela rejoint l'hypothèse précédemment émise.
Un complément d'hypothèse, c'est que l'attaque d'une grosse cloche est moins claire que sur une petite. En effet, les résonnances sont extrêmement plus développées dans une grosse cloche (Gotemba, Pummerin, Lichen Stary) que sur des petites cloches de carillon, où l'extinction d'harmonique est rapide. De ce fait, l'attaque est noyée dans un magma de résonnance tandis que le son d'une petite cloche est sec, cristallin. Dans cet ordre d'idée, il m'est déjà apparu de lire un commentaire sur la Savoyarde, très grosse cloche (33 tonnes) : le son est un roulement grave qui est sinistre et très inquiétant. La perception du timbre d'un bourdon n'est pas forcément toujours avantageuse. La page 2 de cet article fera le point sur quelques aspects de la perception d'un son de cloche.
L a résonance est un phénomène d'amplification du son qui se produit lorsqu'une cloche est soumise à une force vibratoire extérieure dont la fréquence est égale à la fréquence propre de la cloche ou à ses multiples. Le système, visible figure 7, est le siège d'oscillations amorties, sur une fréquence propre et retourne progressivement à son état stable. Les vibrations qui se propagent dans une cloche sont radiales et axiales. La modélisation de ces vibrations est donc l'objet de calculs complexes. Dans la conception d'une cloche, des logiciels informatiques sont aujourd'hui dédiés à maîtriser ces phénomènes, surtout que les harmoniques ne sont pas placées linéairement sur la hauteur du profil d'une cloche. Ces partiels sont d'une part variable en emplacement selon les vibrations axiales ou radiales. D'autre part, les harmoniques sont plus ou moins présentes selon les hauteurs, mais en tout cas sont présentes partout. L'accordage n'est donc certainement pas une opération simple, surtout que de travailler à l'accordage d'un partiel influe... largement sur les autres partiels. Un casse-tête ? Non, à peine !
Figure
7 : Les pointes bleues correspondent à des pics de fréquences plus
élevées à la fin d'une
grande volée. Ce sont des
développements d'harmoniques. Au début de l'enregistrement, on voit
encore une trace de fondamentale alors que peu à peu vers la gauche
(ligne du temps), elle va en s'amenuisant. C'est le retour graduel à l'état
stable. (Logiciel Sonogramm)
Première mise en pratique - déterminer un profil
La question de base était : en quoi une cloche Van Den Gheyn est moelleuse, en quoi une Paccard est cristalline ? En quelque sorte, comment juger du son d'une cloche ? Qu'une Paccard soit cristalline ou non relève d'une généralité qu'il n'est pas possible d'appliquer. Chaque cloche possède sa propre identité, ne serait-ce à cause des éléments intervenus lors de la fonte, ceux intervenus lors de la pose, l'environnement de pose lui-même, l'âge de la cloche, etc.
En premier lieu, on comprend qu'on peut tirer un certain nombre d'éléments relevants en réalisant un spectrogramme.
Les autres éléments à
relever sont le type de profil. Il en existe trois catégories.
Ce sont les :
-Profil
léger : Cloche de bord 15 ou au-dessus.
-Profil moyen : Cloche de bord
compris entre 13,5 et 15.
-Profil lourd : Cloche de bord 13,5 ou au-dessous.
Ces
valeurs ne correspondent pas à l'épaisseur de la pince (car c'est
strictement variable avec la dimension de la cloche), mais du rapport du diamètre
de la cloche à son épaisseur. Ce profil se mesure exclusivement
à la bouche. Ce profil influence directement le poids de la cloche et donc
de la même manière son prix, puisque plus ou moins d'airain sera
à mettre en oeuvre. Un profil léger n'est pas forcément moins
bon qu'un profil lourd. Ca influence le timbre et le son sera donc légèrement
différent. Le choix du profil est influencé par le coût, c'est
un fait, mais aussi des conditions de mise en oeuvre. La cloche en mouvement exerce
de fortes pressions et vibrations dans la structure accueillante. Les fabricants
conseillent les acheteurs à ce sujet.
En matière de timbre, on a tendance à remarquer que les cloches dites moelleuses, soyeuses et autres jolis mots poétiques sont des profils lourds. Ce sont des cloches qui ont une excellente qualité d'airain. On a tendance aussi à remarquer qu'une mauvaise période a émaillé le 18ème siècle. En tout cas en Belgique, cela est flagrant. Les cloches sont plus petites, il y a moins de gros bourdons, ce sont assez souvent des profils légers. Pour plaisanter, on dit parfois : celle-là a été fondue avec des cuillères et des fourchettes. L'airain est de mauvaise qualité et donc la qualité du son est plus faible. Ce sont des cloches assez mal accordées, ou au son inharmonique.
Dans les points indéniables, un profil léger à moins de vibrations parcourant le métal - ou alors une énergie d'impact plus forte sera nécessaire, d'où usure prématurée. Moins de vibrations signifie 1/ moins d'harmoniques développées (selon hypothèse précédente), donc un son plus pauvre ; 2/ une atténuation du son plus rapide, donc des cloches brèves. C'est souvent le cas de Michiels JR par exemple. Ces deux paramètres additionnés provoqueront une atténuation voire disparition des harmoniques les plus élevées, donc l'obtention d'un son qualitativement moins riche (je dirais en fait plus simple, plus basique). Un profil lourd a donc des avantages de richesse sonore, mais si c'est pour placer la cloche au bord d'une autoroute, où réside l'intérêt ? Les choix sont conditionnés par des paramètres aisés à comprendre.
A la question, pourquoi un bon nombre de cloches médiévales ne sonnent pas comme les cloches d'aujourd'hui, quelle serait la réponse ? Prenons le cas de la cloche de Gallardon, datée de 1403.
https://tchorski.fr/9/audio/soncloche.mp3
Le son nous est troublant.
Ca ne nous parait pas faux mais bizarre.
J'imagine que c'est parce que les
anciens n'avaient pas les mêmes références d'accordage que
nous. Dans cette cloche au son aigrelet, il me semble qu'il y a une très
forte amplification de la tierce mineure. Une analyse AnalFreq le confirme (figure
8) : fondamentale élevée, tierce mineure élevée, le
reste proche de l'inexistant.
Figure
8 : analyse de fréquence d'une petite cloche médiévale.
Seconde mise en pratique - appliquer un contrôle de fréquence
A partir de maintenant, nous savons appliquer des contrôles simples, c'est à dire évaluer de manière graphique et intuitive quel est le corps d'un son. Un spectrogramme est une figure répandue en acoustique, le travail de compréhension n'est pas fort compliqué. Nous allons maintenant passer à une étape supplémentaire, une analyse uniquement chiffrée et plus fine des harmoniques. Il n'y a plus de courbe, seules les fréquences nous intéressent.
Il existe pour cela une superbe application, spécialement destinée à l'analyse de cloche. Il s'agit de WaveAnal, logiciel développé par William A. Hibbert. Cette appli permet de décortiquer le corps du son de la cloche.
Figure
9 : Sélection des partiels de la cloche de Céroux. (Logiciel WaveAnal).
Dans
le cas d'exemple de cette cloche, que peut-on y lire ?
La fondamentale est
en fa#, sur une fréquence de 188.
Le bourdon est à 92. C'est
un fa#1 exact.
La fondamentale est à 188 au lieu de 185. Le fa#2 n'est
pas formidable.
La nominale est en sol (771) alors qu'elle devrait être
fa#3.
La tierce mineure est en mi bémol approché. L'intervalle
est de 2,45. C'est à peu près bon, sans en faire une cloche excellente,
où l'intervalle correct devrait être à 2,5.
La quinte est
à 3,02 au lieu de 3.
C'est donc une cloche de sonnerie assez fréquente (fa#, probablement couplée à une sol#). L'accordage, sans être totalement mauvais, n'est pas excellent. Ce sont des défauts mineurs qui font de cette cloche un instrument un peu inexact. Un défaut de placement de marteau sur la panse pourrait être en cause. On peut aussi noter son ancienneté, le fait qu'elle ait été tournée une fois de 90° et quelques ébréchures.
Aide
mémoire : la fréquence des notes :
Troisième et dernière mise en pratique - placer les harmoniques, profils de pinces
Avant d'aller trop loin, car la suite, bien que compréhensible, appartient à la recherche fondamentale et aux acousticiens, voici quelques considérations théoriques et pratiques qui permettront de clôturer le sujet sur l'introduction au son d'une cloche.
La cloche a t'elle une nationalité ? On le sait, le profil de la cloche appartient au fondeur. Le profil qu'il développe est en quelque sorte une marque de fabrique, c'est son timbre, c'est sa sonorité à lui. C'est ainsi qu'on sait que certains fondeurs du 18ème sont misérables et l'ont toujours été. C'est aussi de cette manière que certaines marques sont et seront en principes toujours excellentes.
Les vibrations qui se propagent dans la structure métallique d'une cloche sont très complexe. Des modélisations existent mais elles ne seront pas abordées ici. Ces vibrations, axiales ou radiales, permettent de placer les harmoniques le long de la robe d'une cloche. Ce placement est variable mais suit certaines grandes lignes directrices (figure 10). Une fondamentale ne sera jamais au cerveau. Les variations sont des pourcentages d'allongement ou de retrait selon la forme des cloches.
Figure
10 - L'emplacement des harmoniques.
En gros, le principe est le suivant : la nominale se trouve à la patte. La fondamentale se trouve à la pince. C'est le plus épais de la cloche. C'est là où frappe normalement le marteau. Cette fondamentale s'étire jusqu'à la fourniture, jonction entre la pince et la panse, elle continue mais va en s'amenuisant plus on monte. La tierce se situe à peu près à mi-hauteur de la cloche. C'est là où à Deinze, on observe l'épaississement pour en faire des cloches en tierce majeure. La quinte s'étale sous le cerveau. Cela s'observe assez facilement. Avec une petite pièce métallique, frappez la robe de haut en bas. Du milieu jusqu'en haut, vous observerez que la note ne change plus. Elle est simplement plus sèche et moins emplie de résonance près du cerveau, cependant elle reste la même. Le bourdon quant à lui se situe dans l'ensemble de la cloche et réagit particulièrement aux phénomènes de vibrations axiales.
Donc, la cloche possède-t'elle une nationalité ? Hormis la nationalité du fondeur, on peut aussi dire que oui, il y a des habitudes propres aux pays. C'est ainsi que des profils de cloches bien particuliers apparaissent : une cloche du Languedoc n'est pas une cloche des Pays-Bas, les russes ont aussi des habitudes bien à eux avec les cloches orthodoxes...
L'essentiel
se situe au niveau de la modification de la forme de la pince.
Il existe un
profil flamand, aussi assez largement répandu dans le Nord-Pas-de-Calais,
au moins pour la période avant la mondialisation (qui favorise les échanges
lointains). Le profil est de même largement répandu aux Pays-Bas.
L'extérieur de pince est rond, l'intérieur forme un angle obtus.
Le
profil français et espagnol. L'extérieur et l'intérieur de
pince forment des angles obtus.
Le profil anglais. L'extérieur et l'intérieur
de pince forment des profils ronds.
Le profil orthodoxe. Celui-ci m'est moins
connu. L'inverse du profil flamand, l'extérieur forme un angle obtus, l'intérieur
est rond.
Etant donné que la pince possède la note dispersant le plus d'énergie, ces différences de profils marquent assez fortement de nuances la fondamentale.
Page 2 (suite) : les modes vibratoires.
Bibliographie
:
- David Kelly, Buckland Dinham - The Keltek Trust : Sound of Bells.
- William A. Hibbert, The sound of Bells, how bells make their sound.
- William A. Hibbert, The Quantification of Strike Pitch and Pitch Shifts
in Church Bells.
- Wendell Westcott, Bells and Their Music. G.P. Putnam, New York.
- E. Terhardt et
M. Seewann, Aural and algorithmic determination of the strike note of
historical church bells.
- Traduction anglaise de R. Selman et T. Marton, Hedendaagse Nederlandse
Klokkengietkunst.