Ce dossier est un documentaire campanaire
sur les cloches et la partie haute de la cathédrale du Mans, dans
la Sarthe, en France. Ce reportage a été effectué
grâce au soutien de messieurs Nicolas Gautier,
de Patrick Baptis du SDAP et à
l'accueil de Richard Pottier de
la ville du Mans. Qu'ils en
soient ici remerciés. L'ensemble du documentaire a été
réalisé le 21 mars 2011, par Sandy
De Wilde, Nicolas Duseigne et moi-même,
les photos sont de nous trois. Un grand merci pour l'aide apportée
à la réalisation de la campagne photo.
Ce
documentaire est dédié à Laurie Crosnier
; à sa ville, la cité plantagenêt.
Cette
cathédrale est un ouvrage gothique d'importance. Notons que pour 283.613
visiteurs enregistrés en 2009, à quel point nous avons de la chance
de pouvoir monter aux cloches. Si je puis vous en faire profiter, c'est bien là
une ambition majeure et un bonheur.
Ce
reportage contient les éléments suivants
:
- 500 photographies classées
par thématique.
- Un bref historique de la partie basse et des sources bibliographiques
pour celui qui souhaiterait approfondir la question dans un but de recherche.
- Une description des parties hautes, avec une accentuation sur le campanaire.
- Un enregistrement et une analyse de partiels des cloches.
Introduction
Pour
qui sait chercher, il existe de multiples sources de documentation sur la cathédrale
du Mans. Si l'on se réfère à la littérature ancienne,
souvent très complète, Gallica et Persée offrent de bons
ouvrages. Quant à du plus récent, le livre d'André Mussat
est intéressant. Ces sources offrent de très nombreux points de
vue sur l'histoire, l'archéologie et l'architecture voire même la
symbolique romane. Ce qui est stupéfiant en contrepartie, c'est qu'il n'existe
aucune - mais alors strictement aucune - source évoquant en détail
la partie haute. Pour preuve, il nous a été impossible de connaître
la nature des cloches de la cathédrale avant de monter en tour, à
tel point que nous aurions même été en doute de l'existence
desdites cloches. Pour un édifice de la sorte, on se doutait bien que ça
devait pourtant bien exister... Nous proposons donc un documentaire sur le sujet.
De
la même manière que plusieurs autres édifices français,
la remarque préalable à l'attention des éditeurs
est la suivante : Les images présentées ci-dessous ne sont pas libres
de droits. Si vous souhaitez les utiliser, il faut prendre contact avec le Service
Départemental Architecture Patrimoine, au préalable. Ce travail
est à tous points de vue à but non lucratif. Il ne vise pas à
remplacer le travail d'un photographe professionnel. Ces photos sont disponibles
gratuitement au besoin, mais cela ne prévaut en rien sur les droits que
vous devez acquitter auprès du SDAP.
Nous
commencerons notre documentaire par une visite de la partie basse, puis ensuite
nous monterons en tour pour admirer les cloches et la charpente.
Chaque
image ci-dessous amène à une thématique de documentaire (images-liens).
Pour une question de praticité, tout ce qui concerne l'étude est
placé après ces images, étant donné que c'est quand
même assez long à parcourir.
LES
PHOTOS (500 images)
La
partie basse
La
partie haute
Les
cloches
La
médiévale
Gueules
d'amour
Bestiaire
!
Les
anges musiciens
Les
vues du ciel
La
partie basse
La cathédrale
du Mans est de style gothique angevin. Son apparence peut être assez surprenante
au départ. Elle possède un très large transept, flaqué
au sud d'une tour imposante. Le chevet quant à lui possède de nombreux
arcs-boutants. Elle date de fort multiples époques, vu les nombreux remaniements
au cours des siècles. La partie la plus ancienne date du XIe siècle.
A première vue depuis le bas de la ville, elle peut apparaître comme
un peu trapue. C'est en réalité un fort grand édifice. Pour
une nef longue de 57 mètres, un transept large de 52,85 mètres,
une surface au sol de 5000 mètres carrés, c'est l'une des plus vastes
cathédrales de France. Elle est souvent comparée aux cathédrales
de Reims ou de Chartres. La nef est principalement de tradition romane, bien que
pas exclusivement, et le transept et le choeur sont exclusivement gothiques. La
nef est austère. Elle est flanquée de dix travées, de tradition
architecturale gothique pour la voute. Les murs des collatéraux sont romans,
ils sont les vestiges de la nef du XIIe siècle. Le chevet, avec ses arcs-boutants
nombreux, est un sommet de l'art gothique. On l'appelle cathédrale de lumière
vu sa très grande surface de vitraux. Elle équivaut à Chartres
en ce sens. Certains des vitraux sont des merveilles de travail médiéval.
Ce sont les plus anciens vitraux posés en verrière au monde. Les
architectes connus pour cette cathédrale sont : Jean, moine de la Trinité
de Vendôme, Thomas Toustain, Mathieu Julien, Jean Le Maçon, Nicolas
de Lescluse, Jean de Dampmartin.
Ce
résumé, très bateau, est ce qu'on retrouve sur les innombrables
sites touristiques vantant les vertus de la cathédrale. On va creuser un
peu. Cependant, il faut bien préciser que certains des spécialistes
ne sont pas d'accord entre-eux sur un nombre non négligeable de points.
Le
premier détail de la partie basse qui nous intéresse est le bestiaire
(en effet, tout le mobilier et immobilier classé Palissy étant très
bien décrit, nous n'allons pas reconstituer le dossier de classement MH...)
On notera donc qu'un certain nombre de chapiteaux ou contreforts sont décorés
de figures allégoriques. C'est moins qu'à Vézelay ou Autun,
Sens et la Bourgogne d'un point de vue général, mais ça mérite
fermement d'être relevé. La plupart de ces chapiteaux datent de la
fin du XIe siècle.
On trouve
la présence d'un hibou et des oiseaux. Certains y lisent une satire du
peuple juif, symbolisé aveugle au milieu des oiseaux, qui représentent
les chrétiens. Quelques-uns de ces chapiteaux, surtout les feuilles d'acanthe,
sont polychromés en rouge et jaune. Un autre représente deux oiseaux
buvant dans un calice. Quelques sculptures sont naïves, d'autres font référence
à l'apocalypse de Jean. Une première
restauration d'ampleur de la partie intérieure fut réalisée
en 1897, sous la pression du Chanoine Chanson. Cela fut fait avec soin. L'enlèvement
des badigeons a notamment mis au jour dans la nef de nombreuses marques de tâcherons.
Quant à la porte d'entrée du pignon occidental, ce furent des peintures
murales qui furent découvertes. Ces
fragments de peinture faisaient partie d'un jugement dernier, qu'en 1562 les Huguenots
avaient « avec bâtons picoté et égratigné »
suivant la mention du procès-verbal inséré dans les Plaintes
et Doléances du Chapitre.
Sur
le flanc du collatéral, on remarquera aussi - bien que discrète
- l'existence d'une boule aux rats. Ce motif plutôt rare, se rencontre sur
quelques porches d'églises ou sur des stalles, exceptionnellement en décor
d'autel. C'est une boule surmontée d'une croix, de laquelle sort par des
trous de petits rats. Selon Michel Dansel (Notre frère des ténèbres
Le Rat), nous citons : L'abbé
Baurit, curé de St Germain l'Auxerrois a avancé cette hypothèse
: "Cela pourrait signifier que, bien qu'il ait été sauvé
par la croix du Christ, le monde est cependant souvent la proie des méchants,
figurés par cinq gros rats à longue queue velue qui, après
l'avoir rongé à l'intérieur, par le péché dont
ils pourraient être l'emblème, en sortent par les trous qu'ils ont
faits. Un chat rappelant le démon est blotti et guette sa proie, attendant
le moment favorable pour se jeter dessus. Quant
à Adolphe Duchalais (Le rat, employé comme symbole dans la sculpture
du Moyen Âge), l'analyse va dans le même sens : Toutes
ces représentations sont identiques. C'est une boule, ou plutôt un
globe divisé en quatre parties égales par deux cercles qui se coupent
; une croix la surmonte, des rats enfin la traversent en tous sens ou courent
à sa surface. (...) Mais pourquoi le monde est-il incessamment fouillé
par des rats, qui le rongent à belles dents et le traversent de part en
part ? Quel est le sens de cette allégorie si bizarre en apparence ? Telle
est la question que nous nous sommes posée bien des fois, et que nous croyons
avoir résolue en regardant ces rats comme les vices qui rongent le monde
et finiront par le détruire.
Un
autre lieu qui nous intéresse est la salle des anges musiciens. La voûte
aux anges est située dans la chapelle de la vierge, c'est une chapelle
axiale. C'est une des très belles réalisations de peinture gothique
qu'on peut trouver encore - rarement - dans certaines cathédrales. Ici
au Mans, ce sont 47 anges musiciens qui ornent les plafonds. La scène représente
un grand concert, illustrant la musique comme étant paradisiaque. Cette
fresque a été commandée par l'évêque du Mans
Gontier de Baigneux en 1377 ; Elle est attribuée à Jean de Bruges.
Ce qui est très intéressant, c'est qu'on trouve la représentation
de nombreux instruments médiévaux, dont certains à peu près
disparus de notre répertoire classique ; pour un autre c'est l'unique représentation
au monde. Une autre particularité, c'est que des partitions de chant grégorien
sont peintes. Cette fresque, sur fond rouge, est très esthétique.
Disparue sous un badigeon au XVIIIe siècle, elle fut redécouverte
en 1842 par un archéologue sarthois. Elle a été rénovée
en 1994, un second projet de rénovation existe. Un ouvrage existe à
ce sujet, aux éditions de la Reinette : Les Anges musiciens de la cathédrale
du Mans, par Luc Chanteloup.
Photo:
Nico
La
partie haute
La tour sud est
un impressionnant volume de pierre. Assez précoce dans l'élévation
de la cathédrale, elle date du XIIe siècle. Elle a une hauteur qui
avoisine les cinquante mètres. C'est la plus haute structure Mancelle,
ce qui donne une très belle vue sur la ville. Cette tour est contrebutée
par de puissants contreforts. En 1822, la
flèche de la tour fut frappée par la foudre, puis détruite.
Elle fut alors remplacée en 1835 par le dôme et les clochetons en
fonte que l'on connait encore aujourd'hui. En 1808, un autre orage en brisa une
autre partie. A ce jour, un projet vise à rebâtir une flèche
(voir la photo de la carte postale ancienne !). Cela arrivera peut-être
sous peu !
La charpente est pour la
plus grande partie d'origine. Quelques parties, dont le collatéral nord,
ont fait l'objet de rénovations assez poussées. Par souci d'économie,
ce sont des réparations sans grande cohérence. Le Drac mentionne
en outre : Les fermes ne sont pas triangulées et certaines passent devant
des baies du triforium ou des baies de la façade. Cette situation entraînant
une poussée sur le mur nord et un déversement de la façade,
ainsi que l'apparition de fissures dans les voûtes du collatéral,
ont nécessité la pose, en urgence, de tirants métalliques
et de renforts en bois, afin de faire cesser provisoirement le désordre.
Lors de notre passage en mars 2011, les travaux de rénovation venaient
tout juste d'être achevés.
Notons
, pour préciser l'information, que si la charpente de nef est d'origine,
elle l'est de la seconde reconstruction. En effet, Gabriel Fleury écrit
: Ce monument ne resta pas longtemps debout dans son ensemble. Dès le 3
septembre 1134, il était atteint par les flammes à la suite d'un
incendie qui avait ravagé toute la ville du Mans. Quelques années
plus tard, il sera encore dévasté par un nouvel incendie qui se
déclarera dans la toiture en chaume, établie provisoirement pour
couvrir l'édifice. On peut estimer que les parties les plus anciennes de
la charpente datent de 1158 (partie romane de la nef). Pour ce qui est du choeur,
cela daterait de 1257, ce qui représente la date de l'élévation
du choeur sous l'impulsion de Guillaume de Passavant (1145-1187).
Le
campanaire
Il n'y a pas grande
dissertation à faire sur les cloches du Mans. Ce n'est pas pour cause d'un
manque d'intérêt. C'est parce que la sonnerie, composée de
6 cloches en fonction, est très homogène : même fondeur, même
fournée, mêmes décorations. On pourrait presque considérer
cette sonnerie comme un seul instrument. Une septième cloche complète
le tableau de chasse. C'est une cloche médiévale. L'inconvénient,
non négligeable, c'est que nous ne savons pas l'analyser. En effet, assez
inaccessible et usée, sa dédicace est illisible. Nous y reviendrons
tout de même.
La sonnerie de
la cathédrale du Mans est composée de 6 cloches Amédée
Bollée de 1859. Il est assez probable que de nombreuses cloches, voire
même des séries de cloches, ont précédé au moyen-âge.
On pourrait même considérer cela comme un fait accompli. Cependant,
à ce stade de recherche, nous n'avons trouvé aucune monographie,
cartulaire, etc, évoquant ces anciens instruments. Nous sommes d'ailleurs
montés au clocher en terra incognita. Nous savons uniquement qu'avant la
révolution, dix cloches peuplaient le clocher. Est-ce que cela comptabilisait
les grelots de l'horloge ?
Vous pouvez
écouter chaque cloche ci-dessous. Le premier enregistrement correspond
au tintement de l'heure, le dernier à la cloche médiévale.
Les autres sont CL1, CL2, CL3, etc.
ANALYSE SONORE Les valeurs
sonores des cloches sont les suivantes : [Les
valeurs 1,2,3 n'ont aucune volonté de classification, mais sont simplement
l'ordre du relevé, une classification sera établie en conclusion].
CL1-
Hum : 132 hz. Prime : 268,5 hz (C1+44). Tierce : 320,5 hz. Quint : 390,5 hz. Nominal
: 536,5 hz. Superquint : 805 hz. Oct. Nom : 1112 hz. Note perçue : entre
C et C# Tierce très développée.
CL2-
Hum : 115 hz. Prime : 240 hz (B0-49). Tierce : 285 hz. Quint : 341 hz. Nominal
:479 hz. Superquint : 718,5 hz. Oct. Nom : 991 hz. Note perçue : B Quinte
très développée, tierce quasiment absente.
CL3-
Hum : 87 hz. Prime : 179 hz (F0+42). Tierce : 214 hz. Quint : 257 hz. Nominal
: 358,5 hz. Superquint : 537 hz. Oct. Nom : 740 hz. Note perçue : F Tierce
très développée. Elle l'est à ce point que la détermination
de prime à l'oreille se révèle difficile et sur hésitation,
on pourrait définir la note de frappe à A0-47, c'est à dire
la tierce. La fondamentale est impactée de -1202 cents et la tierce à
-832 cents. Ca n'est pas une note évidente. Seule, cette cloche donne une
bonne impression. En sonnerie, elle doit avoir un décalage un peu étrange.
CL4-
Hum : 158,5 hz. Prime : 320 hz (Eb1+48). Tierce : 383,5 hz. Quint : 471 hz. Nominal
: 643,5 hz. Superquint : 964,5 hz. Oct. Nom : 1332,5 hz. Note perçue
: E Prime très développée. C'est une cloche franche, simple,
honnête.
CL5- Hum : 147,5 hz.
Prime : 300 hz (D1+36). Tierce : 358,5 hz. Quint : 437,5 hz. Nominal : 602 hz.
Superquint : 903,5 hz. Oct. Nom : 1248 hz. Note perçue : D Partiels
équilibrés.
CL6- Hum
: 180 hz. Prime : 362,5 hz (F#1-35). Tierce : 434 hz. Quint : 535,5 hz. Nominal
: 727,5 hz. Superquint : 1091,5 hz. Oct. Nom : 1507,5 hz. Note perçue
: F# Partiels équilibrés.
CL.MED-
: 195 hz. Prime : 306,5 hz (Eb1-25). Tierce : 426,5 hz. Quint : 520,5 hz. Nominal
: 716,5 hz. Superquint : 1062,5 hz. Oct. Nom : 1453 hz. Note perçue
: F L'octave nominale est extrêmement développée, ce qui
affecte fondamentalement le son de cet instrument, qui est perçu beaucoup
plus aigu que la normale. Il est inaccordable avec les 6 autres cloches. Cet instrument
n'est de toute façon ni tinté ni porté en volée. La
note perçue lors de la tentative d'identification à l'oreille est
celle de l'octave nominale, c'est à dire F#3-31. Ca n'a rien d'étonnant.
Ce discours n'a pas pour vocation de dire que c'est un mauvais instrument. C'est
simplement une cloche de timbre, isolée , de construction ancienne. Elle
est donc destinée à vivre seule.
A
propos de la sonnerie des 6 cloches, l'impression est bonne. Pourquoi ? Parce
qu'à quelques détails près, la note perçue correspond
à l'analyse des partiels, ce qui sur ce nombre d'instruments n'est pas
du plus évident. C'est donc une bonne grosse sonnerie bien lourde, et surtout
assez homogène. Les décalages de partiels peuvent être un
peu surprenants. Il y a fort à parier que les (très bons) abat son
corrigent le tir.
La sonnerie de plenum
est donc fa0, si0, do1, re1, mib1, fa#1. Six cloches permettent un langage
assez élaboré. C'est d'ailleurs, nous le verrons, ce qui est pratiqué
! Par contre, la sonnerie telle que constituée ne permet pas un plénum.
Cela donne un résultat cacophonique à cause du ré# et du
fa#. Erreur de conception ? Dur à dire... Le plenum, lancé avec
un ré1, puis do1, puis si0, puis fa0 donne une impression de grandeur franchement
pas négligeable.
Du point de
vue du langage campanaire, l'angelus est sonné sur trois cloches différentes
à la suite, CL1, CL5, CL4. Cela donne une bonne impression, mais il est
sonné BEAUCOUP trop rapidement. La volée est sonnée sur la
CL6. Cette volée est assez bizarre. Elle est effleurée. Cela donne
une impression de grande douceur . On a le sentiment que l'instrument est à
peine touché. L'avantage, c'est le développement d'un son musical,
harmonieux et doux. Le désavantage, c'est évidemment le faible développement
sonore. Il y a fort à parier que peu de distance après la place,
on ne l'entend pas. Cette volée est développée sur un temps
très court, presque symbolique. Est-ce un choix pour des instruments fragiles
?
L'heure est sonnée sur deux
cloches, elle est tintée sur la CL1 et puis la CL2 une minute après.
Le
gros bourdon ne manque pas de charme. Il possède un diamètre de
215 cm environ, pour une pince de 22 cm de bord. Au tout départ, il donne
un sentiment de profil léger, voire même très très
léger. En effet, à la frappe du battant, il se développe
un volumineux paquet sonore de doublets. La cloche donne l'impression de se déformer,
et par là même, de composer des variations d'harmoniques. Pourtant,
à comparer avec les bourdons allemands, souvent de profil lourd, on se
trouve à peine en dessous de la moyenne. Cette donnée est un peu
perturbante, mais donc non, ce n'est pas un profil tout particulièrement
léger.
Notons la durée
de vie exceptionnelle. Une fois tintée, la grosse cloche résonne
54 secondes, ce n'est pas loin de Pretiosa, la meilleure sonorité allemande,
75 secondes !
LES DONNEES CAMPANAIRES
Les
six cloches sont estampillées 'Bollée Père et Fils'. Vu la
date de fonte (1859), il s'agit probablement d'un travail d'Amédée
Bollée Père (1844-1917) et Ernest Sylvain Bollée, son père
(1814-1891). Elles ont toutes été bénies par monseigneur
Nanquette, évêque du Mans. Trois cloches sont placées dans
un étage 1, trois autres sont dans un étage 2. A l'étage
2 et tout en haut, se trouve une septième cloche isolée, la médiévale.
Leurs
poids sont les suivants : Aldrique : 734 kg. Le diamètre est de 105
cm environ. Liboire : 1044 kg. Le diamètre est de 120 cm environ. Protaise
: 1255 kg. Le diamètre est de 130 cm environ. Gervaise : 1788 kg. Le
diamètre est de 145 cm environ. Marie : 2580 kg. Le diamètre
est de 160 cm environ. Julien : 6423 kg. Le diamètre est de 215 cm environ. Sur
ces poids, provenant de la brochure officielle de la cathédrale, nous ne
savons pas s'il s'agit de valeurs de fondeurs (parfois surestimées, afin
de gagner de l'argent au poids de bronze), des estimations de campanologues, des
valeurs de pesage. Quoi qu'il en soit, les Bollée sont des gens sérieux.
Si c'est un poids de vente, il y a fort à parier que c'est juste. Ce sont
en tout cas des valeurs plausibles.
Les
cloches ont toutes la même décoration, aux variations près
que quelques médaillons sont différents. Le nom de la cloche est
marqué en grand, dans un panneau. La police de caractère est évidée.
Le nom s'inscrit dans trois à quatre lignes de dédicace, commençant
toujours par "je suis Aldrique", etc. Le nom du fondeur est inscrit
en fourniture.
La dédicace est
inscrite dans un nombre important de filets. Chose bizarre, à gauche sous
le nom en panneau, on trouve deux losanges en relief coupant les filets, toujours
de la même manière. Nous ne savons expliquer la raison de cette décoration.
Les
rinceaux ne sont pas toujours les mêmes. Ce sont des végétations,
avec des feuilles assez peu identifiées. Quelques-unes ressemblent à
du chêne, mais il n'y a pas de gland, plutôt des pommes de pin. Les
autres ressemblent à de la sauge, sans en être. Ces rinceaux sont
toujours soignés.
Les médaillons
sont superbes et on les passera en revue. Nous relevons le très grand soin
apporté à leur réalisation, vu la force de détails
dans les fonds.
Les anses sont classiques.
Ce sont des anses à palmettes assez jolies. Elles ne sont pas doublées,
malgré le poids des instruments, sauf pour le cas de Julien. Les cloches
sont toutes montées en rétrograde. Les moutons sont anciens et ne
manquent pas de charme. A noter le fait relativement exceptionnel - disons au
moins que c'est rare - que l'une des cloches, étage 2, possède encore
ses vélos. C'est ce qui permettait de sonner au pied. La photo et l'explication
seront explicites.
A noter qu'un marteau
tinteur est placé à l'envers. Par manque de place, le technicien
campanaire a été obligé de tourner le marteau pour gagner
de l'espace. Ce n'est même pas une face ronde qui frappe mais bel et bien
la tranche ! C'est très défavorable ! Ce genre d'installation baroque
peut provoquer une fragilisation, puis une fêlure. Ce type d'installation
est à proscrire. Reste à prier (et c'est d'ailleurs probablement
le cas) que la frappe ne soit pas trop forte - ce n'est pas une volée...
A
noter aussi qu'au niveau du bourdon, deux grosses poutres en IPN cintrent le beffroi.
Ces poutres sont en contact avec la maçonnerie par l'intermédiaire
des planchers serrés sur le bâti. C'est un autre cas à proscrire,
mais alors là c'est du travail ! Les poutres ne font rien d'autre que de
transmettre toutes les vibrations au bâti, alors qu'habituellement, des
trous sont ménagés dans le plancher... Il semblerait, d'après
Richard Pottier, que le bourdon sonne peu ou plus pour le moment.
L'état
de la sonnerie est pour la majeure partie plutôt bon. Il n'y a pas d'infiltrations
d'eau. Les points de frappe sont bien nets, les volées équilibrées
(voire même, voir supra, douces).
A
propos d'Amédée Bollée : De très importantes confusions
existent entre Amédée Bollée Père (1844-1917) et Amédée
Bollée Fils (1867-1926). Tous deux ont travaillé dans l'automobile,
ce qui perturbe d'autant plus les recherches. Nous parlons ici du père.
Ce fondeur de cloches est beaucoup plus connu pour ses inventions automobiles
que pour son activité campanaire. Il fabrique en effet en 1873 une voiture
appelée L'Obéissante qui révolutionne le monde de l'automobile.
Elle sera suivie plus tard, en 1878, d'un modèle à vapeur appelé
La Mancelle. A propos des cloches, peu de sources biographiques sont disponibles,
ce qui n'a rien de bien spécialement étonnant, étant donné
que c'est souvent le cas. Les Bollée représentent, au même
titre que les Cavillier, une importante dynastie de fondeurs de cloches en France.
La lignée a compris Jean-Baptiste, Alexis-Nicolas, Jean-Baptiste II, Jean-Baptiste-Amédée,
Ernest-Sylvain, Georges, Louis, Jean et se termine de nos jours par Dominique
Bollée, installé près d'Orléans, et encore connu comme
fondeur. La fonderie a été créée en 1715, à
Breuvannes en Haute-Marne. Les Bollée s'installent au Mans en 1839 et Amédée
Bollée en 1842. Auparavant il était itinérant, comme bon
nombre de fondeurs. C'est le développement du chemin de fer au XIXème
siècle qui limitera les déplacements de fondeurs, leur sédentarisation
et l'exportation des produits. Je cite ici la maison Bollée : C'est
Amédée Bollée qui découvrit le premier la méthode
d'analyse harmonique qui allait permettre de déterminer très exactement
le nombre de vibrations de chacun des partiels du timbre et d'en tirer ensuite
expérimentalement toutes les conséquences possibles, tant sur le
plan de l'amélioration des tracés que sur celui de la retouche du
timbre par tournage. Amédée Bollée fit sa découverte
en 1866.
LA CLOCHE MEDIEVALE
Elle
est située tout en haut de la tour, sous le carrousel à pigeon ! Elle
est très inaccessible. Pour l'approcher, c'est soit acrobatique, soit impossible.
Elle
donne une apparence, sans aucun doute possible, d'un instrument médiéval.
Elle est assez trappue, assez lourde, de profil français. C'est une assez
grosse cloche pour son époque d'appartenance, bien qu'elle nous soit à
ce jour celle d'un petit instrument. Selon le relevé de Régis Singer,
le diamètre est de 128 cm. Le poids estimé est de 1200 kg.
Elle
est fixée en timbre. Le marteau, archi-rouillé, ne fonctionne plus.
Elle semble être un peu délaissée, et vit comme ignorée.
Sa
dédicace, au cerveau, sur deux lignes, est en onciale et a priori en latin.
Vu la saleté et l'usure, elle est illisible. Il ne serait pas impossible
de déchiffrer avec un fort nettoyage. Une seconde ligne de dédicace
se trouve à l'horizontale, au cerveau. Complètement illisible...
Les anses sont massives. Elles sont rejointes à leur sommet par une anse
centrale transversale, ce qui est aussi typique de cette époque. Elle pourrait
peut-être comporter des petites décoration (en dédicace) et
des séparateurs à six points, mais c'est assez aventureux de l'affirmer.
Cet
instrument a un profil de cloche du XVIè siècle. C'est très
manifestement un instrument qui a une valeur campanaire.
Conclusion
: Ce documentaire aurait pu être plus complet, notamment en relevant les
textes d'épigraphie. Nous n'en aurons pas eu le temps. Il faut dire que
l'édifice est d'une grande richesse culturelle, et il aurait été
dommage de se priver des anges... Qu'à cela ne tienne, c'est déjà
beaucoup de grandes bouffées de bonheur qui sont livrées ici. Si
ça peut convaincre nombre de gens que cette ville n'est pas le lieu triste
que tout le monde croit être, alors une très grande part du but sera
atteint.
Bibliographie - André
Mussat, la Cathédrale du Mans. Berger-Levrault (1981).
- Gabriel Fleury, la Cathédrale du Mans. Henri Laurens (1910).
- André Mussat. Le style gothique de l'Ouest de la France. Revue
d'histoire de l'Église de France (1965).
- Eugène Lefèvre-Pontalis, Étude historique et archéologique
sur la nef de la cathédrale du Mans (1889).
- Drac Pays-De-Loire, Cathédrale St-Julien du Mans, Lancement des
travaux mis en oeuvre dans le cadre du plan de relance de l'économie
(2009).
- Anne Prache, La cathédrale du Mans. Arts, Recherches et Créations
(2001).
- Dinosauria.com, Les boules aux rats.
- Luc Chanteloup, Les Anges musiciens de la cathédrale du Mans,
La Reinette.
- Victor Tourneur, Discours prononcé à la bénédiction
solennelle des cloches de la cathédrale du Mans le dimanche 31
juillet 1859.