Cette page se concentre sur le site d'Interprochim, qui fut visité en état d'abandon en 2000 et quelques. Les lieux, très interpelants, possédaient myriades de plâtres. Nous ne savions strictement rien, à l'époque, de ce lieu ni des techniques mises en oeuvre. Interprochim était un atelier d'art situé à Machelen ; le site fonctionnait en parallèle avec l'atelier de Locquenghien à Bruxelles. Le procédé mis en oeuvre consistait à reproduire des statues ou des oeuvres d'art avec une très haute fidélité. Ce long documentaire va passer en revue l'entièreté de l'état des connaissance sur cet atelier à ce jour, dont la mémoire s'était perdue.
La visite de cet atelier abandonné date de l'hiver 2003-2004. Ce document a été complètement reconstitué en 2013, sous une impulsion un peu particulière. En effet, M. Jacques Le Baillif et M. Roger Zavarise nous ont fait parvenir des documents d'archives extraordinaires sur Interprochim. Cela a permis de reconstituer le process et partiellement l'histoire de l'usine. Merci à eux pour les très grands travaux de recherche qui ont été menés. Recherches menées en collaboration, notamment grâce à : M. Jacques Le Baillif, M. Roger Zavarise, M. Maurice Lonneux, M. Marc Lorent, M. Bernard Van Den Driessche.
Une vue des lieux à Machelen. Google street view, 2009.
Introduction
Cette petite usine s'appelait Interprochim SA / NV. Il s'agissait d'un petit atelier traitement de surface et de nitruration, situé Kerklaan 69, à Machelen. Le travail consistait à réaliser des copies d'oeuvres d'art avec une très haute fidélité, le tout comportant un coût de fabrication assez modique. Le procédé servait à produire des bustes ou statues à destination des musées ou des institutions archéologiques. Au sein des musées, le procédé servait surtout à remplacer par fac-similé des objets menacés par le vol ou la dégradation.
Une partie annexe d'Interprochim s'est développée de manière fortuite : la réalisation de bustes avec prise d'empreinte sur le visage de la personne. C'est la partie la plus visible de ce que nous visiterons, tout en étant de même la plus ludique.
Un début difficile
En 2003, lorsque j'ai contacté la commune de Machelen afin de connaître le propriétaire du bâtiment, on a refusé de me répondre parce que je parlais anglais, et non néerlandais.
Interprochim a été me concernant le symbole de l'effondrement de l'exploration urbaine ; après ce ne fut jamais pareil. J'ai découvert cette usine en novembre 2003, nous étions alors encore peu nombreux à écumer les vieilles usines une par une. Au lieu de garder le secret de son existence dans mes armoires, j'en ai parlé sur quelques forums d'exploration urbaine. Ca a déclenché une immense déferlante de pillage. Au cours du mois d'août 2004, nous pouvions dire que cette usine n'existait plus, le moindre mètre carré était vandalisé, et encore je reste modeste, on pourrait dire atomisé. Quand les explorateurs vous flattent qu'ils ne laissent pas de traces de leur passage, ça fait rire. Du point de vue du respect des lieux, nous ne faisons pas partie du même monde.
Sur cette situation de dégoût, Interprochim a sombré dans l'oubli de 2004 à 2012. Le dossier est ressorti de l'ombre en hiver, suite au contact de M. Le Baillif. Cela nous a fait plonger dans une enquête des plus folles, de celles qu'on aime autant.
A propos de cet atelier
L'origine de l'atelier n'est pas connue, au-delà du témoignage de Monsieur Bernard Legrand. Nous savons qu'il existât une ancienne adresse : avenue du Trône n°222-224. A ce jour, il ne reste strictement rien de représentatif en ce lieu, devenu moderne et insipide. Il a aussi existé un atelier d'exposition des oeuvres d'art, au n°57 rue Locquenghien à 1000 Bruxelles. Tout laisse à penser (brochure) que la rue du Trône était un magasin. Ca s'y prête. La rue de Locquenghien était l'atelier artistique de prise d'empreintes, de moulage, de production et de vente.
Le lieu qui nous intéresse en ce document se situe Kerklaan n°69 à 1830 Machelen. C'est un lieu tellement sans charme que ça en devient interpelant - En oxymore, ça en deviendrait presque charmant. Insipide, moche, infiniment bruyant, survolé par les avions dans un va et viens incessant, sale... Cela fait penser à un endroit qui meurt.
Le directeur de l'usine était, nous l'apprendrons, un certain Marcel Boulangé. Avec un é, malgré les innombrables fautes, auxquelles il devait être habitué. Lorsque son nom fut découvert, un immense panorama historique et technique s'est ouvert à nous, enquêteurs, chercheurs, fouilleurs du passé, car cet homme était un génie.
Original et copie.
Le process
La méthode brièvement expliquée par Marcel Boulangé.
Nous vous remercions de l'aimable accueil que vous nous avez réservé ce jour et nous vous confirmons, à toutes fins utiles, qu'Interprochim a développé un procédé de reproduction haute fidélité des ouvres sculpturales. Il y a identité à la vue et au toucher entre l'ouvre originale et la copie.
Le procédé est valable pour la reproduction des ouvres métalliques, des marbres, des bois naturels, des bois polychromes, des terres cuites ou non, etc... Comme nous avons pu vous le faire voir à propos de la prise d'empreinte de visage et de main, le procédé permet la prise d'empreinte de l'ouvre in situ. Les étapes de la réalisation sont les suivantes :
1ère étape
Réalisation d'un moulage de l'ouvre à reproduire. Ce moulage
est réalisé à l'aide de résines silicones
qui s'appliquent directement sur l'ouvre, sans aucun danger pour l'intégrité
de celle-ci.
2ème étape
On transporte le moule en atelier et, à l'aide d'un équipement
apparenté au pistolet de peinture, on pistole directement dans
le moule en silicone un alliage d'étain qui à propriété
de ne pas présenter de retrait entre 250°C (température
de fusion) et 20°C (température ambiante). On démoule
la pièce obtenue qui peut être soit l'ouvre entière
(bas-relief), soit une partie de l'ouvre à reproduire (moule
en plusieurs pièces).
On coule dans le moule un mélange de résine à durcisseur et de charge de façon à obtenir une base convenable pour la réalisation des patines ultérieures.
3ème étape
Pour toutes les reproductions, on consolide l'ouvre obtenue en la renforçant
avec des résines polyester et des armatures si besoin est. On
assemble par soudure les ouvres ayant nécessité plusieurs
moules partiels.
Au sujet des reproductions d'ouvres sculpturales prises sur ouvres originales, plusieurs musées belges nous commandent des reproductions de quelques pièces remarquables qu'ils possèdent. Nous en faisons les copies conformes et ils procèdent à la vente au musée même.
Nous offrons de prendre à nos charges la confection des moules qui restent notre propriété. Ce sont les différents musées qui ont les droits de tirage. Ils nous commandent des séries de 10,20, 50 pièces, selon le succès de la vente.
Nous vous signalons cet état de choses qui, en Belgique, est basé sur une conception de l'Institut du patrimoine artistique : de nos jours, il faut offrir au public la possibilité de se procurer une copie haute fidélité d'une ouvre sculpturale comme on se procure un disque haute fidélité de Mozart ou de Bach ; il ne viendrait à l'idée de personne, parce que le disque a été acheté a 250 FB d'y introduire un certain nombre de couacs et de défauts. La remarque souvent faite qu'une copie, identique sur le plan visuel, d'une ouvre sculpturale, pourrait donner lieu a un commerce malsain, tombe, car il est clair que l'on peut toujours s'arranger pour qu'il apparaisse de façon évidente qu'il s'agit d'une copie.
D'après le tribunal administratif de Bruxelles, nous apprenons que le 16 octobre 1981, le process est breveté.
Un article expliquant toute la méthode en détail. [Origine inconnue, date inconnue, donné par Jacques Le Baillif]
L'art est inimitable. Vrai ou faux ? Que faut-il répondre a cette affirmation ? D'habiles faussaires parviennent à berner même de grands spécialistes. De la tiare de Tissapherne aux « Vermeer » peints par Van Meegeren, les exemples illustres ne manquent pas. Pourtant, à un échelon « honnête », celui de la création de fac-similés de bonne qualité, destinés à remplacer leurs modèles pour la bonne cause, dans les écoles par exemple, ou encore pour figurer dans des expositions quand les originaux ne pourraient être transportés, la copie utile était jusqu'ici un problème pratiquement non résolu.
C'était une des préoccupations d'un spécialiste aujourd'hui disparu, René Sneyers, décédé en 1984, qui fut directeur de notre Institut royal du Patrimoine artistique (IRPA). Cette institution, qui a pour tâche de veiller à la bonne conservation des ouvres et a la restauration raisonnée de celles qui ont subi les atteintes du temps ou des hommes, connait mieux que quiconque les dangers que courent les tableaux, les sculptures, les éléments architecturaux, qu'ils soient de pierre, de métal, de bois, d'ivoire ou de terre cuite. .. René Sneyers voyait toujours avec inquiétude telle châsse mosane, tel triptyque brabançon, telle Vierge préromane s'en aller en ambassade de prestige par-delà les frontières, les mers on les continents. Chaque fois, il y avait risque d'accidents, de perte totale. Il songeait aux aléas de ces transports susceptibles d'ébranler des structures, d'écorner des moulures, de griffer des panneaux et des toiles de maîtres... De bonnes copies ne pourraient-elles pas résoudre dans bien des cas, ces problèmes délicats ?
Non, diront les puristes exigeants, qui ne se « sentiront pas vibrer » devant une copie (sauf peut-être s'ils ignorent que c'en est une...). Pourtant, l'idée, qui préoccupa tant René Sneyers, en particulier lors de la grande exposition Rhin-Meuse, en 1972, a fait son chemin : voici de fausses caryatides installées sur l'Acropole d'Athènes, et, dans nos villes, combien de statues ne sont-elles pas copiées par un artiste moderne, tandis que l'original est au musée ? Songeons simplement à la Danse de Carpeaux, devant l'Opéra de Paris.
Ce bon vieux plâtre...
Encore faut-il, s'il s'agit de copies, qu'elle soient conformes, et pas seulement ressemblantes vues de loin, par le gros bout de la lorgnette. C 'est a cette recherche que l'on s'est attelé. Le premier appoint a été le simple moulage en plâtre pour ce qui concerne la statuaire et le relief, une technique qui a eu son heure de faveur, notamment au tournant de ce siècle. A Bruxelles, nos Musées royaux d'Art et d'Histoire, au Cinquantenaire, disposèrent d'une grande salle où le condensé de l'histoire de la sculpture se trouvait réuni en un monde blanc. Tout cela périt dans l'incendie de 1946. Un atelier de moulages, dont tant de creux demeurent de précieux témoins de choses disparues, subsiste toujours.
Au palais de Chaillot, à Paris, le Musée des Monuments français remplit une mission similaire. Mais le plâtre, malgré ses qualités, n'est pas le matériau idéal. On peut tout d'abord lui reprocher le rendu émoussé des ouvres coulées. De plus, c'est fragile, c'est sensible à l'eau, a la température, au vieillissement... Bref, en 1980, on en était toujours au même point.
René Sneyers fut attentif aux expériences menées autour de lui pour éprouver d'autres matières premières. Pour ce qui concerne la sculpture, l'avènement des produits synthétiques, des résines époxy, des silicones, des polyesters, fit poindre des espoirs. Il vécut assez pour sentir que le but était proche. Le directeur d'une firme de traitement des surfaces, M. Marcel Boulangé, s'était pris personnellement de passion pour ce problème. Il aboutit 5 une solution tellement acceptable qu'un de nos grands observatoires du patrimoine culturel, le Musée royal de Mariemont, a conclu un accord avec lui. Désormais, on peut se procurer au musée, situé dans le magnifique parc du même nom, sur le territoire de Morlanwelz, une gamme variée de fac-similés d'objets sélectionnés dans ses collections. Ils sont délivrés munis d'un certificat de conformité signé du conservateur. C'est une caution pour le produit !
Enfin
des voleurs volés !
S'il existe un monde de vrais experts en la matière, c'est bien celui... des voleurs et trafiquants d'oeuvres d'art. Il fut donc très éloquent d'apprendre, voici quelques mois, que deux fac-similés exécutés par les ateliers de Locquenghien , puisque c'est d'eux qu'il s'agit, un Mercure et un balsamaire, en forme de tête de Nubien, dont les originaux étaient des bronzes d'époque gallo-romaine, avaient été volés dans les vitrines du musée archéologique de Namur.
Ce n'est peut-être, sur le chapitre du pillage de notre patrimoine, qu'une fort modeste consolation de voir, une fois quand même, les voleurs volés, mais c'est flatteur pour les spécialistes qui ont mis au point une technique de reproduction aussi fiable.
Quelle est cette technique ? Nous avons assisté à la naissance du double d'une pièce précieuse, de la collection de Mariemont : Une tête d'Alexandre Le Grand déifié, provenant de l'île de Rhodes. C'est un marbre qui doit dater du IIè siècle avant JC. Un peu plus grande que nature, la tête a été brisée en deux dans l'antiquité, mais heureusement, le profil droit est parfaitement intact.
Ce sera, jusqu'à nouvel ordre, la réalisation la plus grande réalisée pour Mariemont.
Alexandre le Grand a donc fait son entrée, bien discrète, dans l'univers blanc de la rue de Locquenghien ? Blanc parce que le plâtre est présent, même s'il n'a plus qu'un rôle d'appoint, d'auxiliaire et ne figure plus dans le produit fini.
Voilà Alexandre soigneusement emballé dans une fine couche de cellophane, puis enduit de terre à modeler d'une épaisseur de un à deux centimètres. Apres quoi, l'ensemble, à l'exception du socle, est enrobé dans du plâtre frais, délayé dans l'eau jusqu'à l'obtention d'une pate fluide. Cela se fait en deux opérations successives, de manière à constituer deux coquilles séparables.
Les voila durcies : on peut les détacher. Débarrassé alors de la terre plastique et des cellophanes, Alexandre réapparait. Grâce à des tenons qui les ajustent bien, les deux coquilles se referment à nouveau sur la tête, mais cette fois, il y a un vide entre elle et le plâtre. C'est le grand moment de la coulée du négatif. L'opération se fait aussi en deux temps car ledit négatif doit correspondre aux deux coquilles. Le plâtre a été percé de plusieurs évents tandis qu'au point le plus élevé du moule, une ouverture plus importante s'orne d'un entonnoir par où s'écoulera la silicone liquide.
La chasse aux bulles
Avant de l'introduire, le produit subira un petit traitement de grande signification : il sera « ébullé » pour employer un terme métier que les dictionnaires ne répercutent pas. En clair, le seau contenant la silicone liquide sera placé dans une pompe à vide. Sous son action, le produit se met littéralement en ébullition. Ayant ainsi perdu tout l'air qu'il contient, il s'appliquera étroitement à la surface de l'original à reproduire et il n'y aura pas de ces désagréables petits creux qui se forment souvent dans les moulages en plâtre, précisément par la présence de bulles.
C'est au tour de la silicone de durcir. Durcir ? Mot impropre car, si elle passe de l'état liquide à l'état solide, elle n'est pas dure pour autant, mais souple comme le caoutchouc le plus flexible. Ainsi, le démoulage peut se faire en douceur. Même quand le relief de la pièce présente des retours qui entraveraient sa libération si l'on utilisait un matériau durci pour créer le négatif. Cette souplesse permet l'étirement momentané du creux qui, sitôt libéré, reprend sa forme, garantie par les coquilles de plâtre.
Désormais, Alexandre
le Grand peut regagner son musée. Son voyage n'aura duré
que quelques heures. Les spécialistes vont à présent
créer son « double ».
Ce mélange est intimement réalisé grâce au brassage énergique fourni par une hélice plongée dans la mixture. Y est ajouté aussi le catalyseur qui provoquera le durcissement du polyester. A présent, c'est la coulée. Avant la fermeture des deux coquilles, une première couche de la solution « ébullée » comme le fut la silicone dans l'opération précédente, a été appliquée au pinceau sur le creux. C'est aussi une précaution pour éviter de petites poches d'air. La coulée de la matière est le point final. Il ne faut pas longtemps pour que le polyester durcisse. Moment solennel : le démoulage de la copie. Elle est d'une blancheur un peu ternie parce que humide. La seule opération réellement manuelle qui affectera le moulage à ce moment sera l'ébarbage de quelques fines coulées à la jonction des deux coquilles. Durée totale des opérations : trois jours.
A présent, l'alter ego d'Alexandre à droit à une semaine de repos, pour pouvoir « respirer » et prendre son aspect « marbre » en attendant la phase ultime autant qu'essentielle à laquelle il doit encore être soumis : la pose de la patine.
Ce sera désormais une opération entièrement manuelle dont le succès dépendra de l'habileté et de la sensibilité de l'exécutant. Le principe est d'aller jusqu'a une coloration qui correspondrait a l'état « neuf » de l'original, et de régresser par usure de la matière appliquée. Dans le cas du marbre, il faut aussi imiter les altérations physiques subies par l'original tel que les siècles nous l'ont transmis. Ce travail ne peut être porté à la perfection qu'a la condition d'être entièrement exécuté en présence du modèle. Pour des raisons simplement économiques, un tel perfectionnisme ne serait concevable que pour donner à la reproduction une fonction scientifique. Dans le cas des commandes exécutées pour Mariemont, le souci de la conformité est poussé très loin, sans pouvoir aller jusque la, sans quoi, les fac-similés seraient d'un tel prix qu'ils deviendraient invendables...
On imite tout
Le marbre, le bois l'ivoire, le bronze, l'or... Quant au prototype d'Alexandre le Grand, il a été patiné sur base de plusieurs photographies en couleurs de l'original. Nous l'avons retrouvé à Mariemont et confronté à son modèle. Plastiquement, on peut dire qu'il n'y a pas un coup de ciseau du vieil artiste grec, pas non plus le plus léger accident que subit le marbre au fil des siècles, qui ne se retrouve dans la copie. Alexandre a vraiment un frère jumeau !
Ce miracle obtenu à partir d'un original de marbre, l'Atelier de Locquenghien le fait aussi s'il s'agit de bronzes, de bois, d'ivoires, de métaux précieux (mais ici, le procédé est différent et recourt à la galvanoplastie). Allez à Mariemont où les fac-similés sont en vitrine près du comptoir de vente. Vous admirerez la finesse des petits netsuke, ces boutons d'ivoire japonais, en forme de cheval, de souris ou de singes. Vous compterez les poils sur le dos de ces derniers...
Vous verrez, parmi les « bronzes », les fac-similés de la Vénus de Courtrai, de la Mater de Bavai, du prêtre égyptien Smendes, d'un cheval archaïque grec, d'une tête de bouquetin achéménide... Vous découvrirez d'autres « marbres », comme cette belle tête du dieu Asclépios ou celle d'une Coré grecque. Il y a des bijoux mérovingiens, romains, hellénistiques, égyptiens... dont vous retrouverez les originaux dans les salles. Et si c'était une idée de cadeau en cette période d'étrennes ?
Brochure de présentation d'Interprochim
2004-2005, quelques changements
Dans cette usine traînaient épars de très nombreux sacs de produits chimiques non identifiés. Ces sacs ont été éventrés et éparpillés par les vandales. Les bustes ont été pour la plupart cassés, quelques-uns volés. Il y a fort à parier que d'importantes quantités d'ammoniac ont percolé dans le sol.
Le 13 avril 2004, la faillite est prononcée. Le nom mentionné dans l'acte est : « Société internationale de Produits chimiques et industrielles N.V. » en/of « Interprochim », Kerklaan 69, 1830 Machelen, ondernemingsnummer 0405.742.486.
En fin de l'année 2004, une société a pris possession des locaux d'Interprochim et a méthodiquement vidé les lieux. Plusieurs bennes ont été confectionnées. Pourtant, cela ne semblait pas provenir d'une quelconque activité officielle, puisque ce ne sont pas les sacs de produits inconnus qui ont disparu mais les meubles et les véhicules ! Le 27/05/2005, le gouvernement flamand a mandaté l'OVAM pour faire une pré-étude de la pollution des sols des terrains concernés. En fin 2008, les bâtiments sont toujours debout. C'est toujours le cas en 2016.
En 2009, nous sommes certains que les bâtiments sont totalement vides. Les explorateurs continuent de se jeter dessus (déjà c'est une chose), mais en plus ils publient leurs photos ! Sans commentaire...
D'après Bernard Van Den Driessche, la statue de la chasse de la Collégiale Sainte-Gertrude à Nivelles provient d'Interprochim, il nous en parle peu avant son départ en retraite. Nous apprenons aussi qu'Interprochim signifie Internationale de Produits Chimiques et Traitements de Surface.
Une des cathodes, merveilleuse pièce recouverte de nickel informe et bulbeux, a été récupérée pour le musée de l'industrie, elle a été transférée en 2011.
Une enquête qui commence
A propos de cet atelier Interprochim, fort méconnu, Monsieur Jacques Le Baillif nous a fait parvenir les informations suivantes :
En
1974 et durant quelques années, je travaillais au Groupe Carpano-et-Pons
a Cluses, en Haute-Savoie. Mon job était de produire des raquettes de tennis
en alliage de magnésium : GZ 5 Zr, vendues sous la marque Titan. Personne
en Europe ne savait faire un quelconque traitement électrochimique sur
ce métal.
Monsieur Marcel Boulangé, qui avait été
le chef de service des traitements de surface à la FN de Herstal,
est l'inventeur du procédé de nickelage chimique des plombs
de chasse. C'est une technologie encore inégalée à
ce jour. Par la suite, il a monté sa société de
traitements de surfaces dans un petit atelier de Liège / Herstal,
puis il avait fait fonctionner l'atelier de Machelen. D'après
les recherches de Maurice Lonneux : A Herstal,
l'atelier était situé rue Petite Voie. C'est une longue
rue. Nous ne savons pas où se situait exactement le bâtiment.
Comment avons-nous pu trouver Interprochim pour chromer nos raquettes ? Je ne me rappelle plus cette période. Toujours est-il que ce M. Boulangé possédait 'lui ' LE process ... après quelques longues semaines pour le valider. De chrome brillant, il a même trouvé le process du chrome noir. Ce chercheur... philosophe et simple comme les Grands, ne trouvait la paix que dans la recherche. Il avait mis au point le traitement des moulages ou copies. Ces / Ses oeuvres étaient exposées dans un magasin de vente au centre de Bruxelles : Locquenghien. Ce bâtiment était situé au n°57 rue Locquenghien à 1000 Bruxelles. On y voit une ancienne vitrine d'exposition, mais tout est fermé et visiblement réaffecté à des fins de logement. Notons qu'en début 2016, les locaux sont vides et remis en location.
Une vue
des lieux rue de Locquenghien. Google street view, 2011.
Il avait des problèmes cardiaques et est décédé en voyage à Moscou, dans sa chambre d'hôtel et train de se prendre la tension. Il était diplômé de l'université de Louvain. Son neveu Daniel s'était installé aux USA, en Californie, juriste de formation.
J'imagine qu'il fut
enterré dans les alentours de Liège, sa région
d'origine familiale. Son amie Maria, je crois Liégeoise, était
une ancienne ouvrière de la FN de l'atelier Traitements de surfaces.
Elle était sa muse, mais surtout, elle lui détectait les
phases critiques lors de traitements chimiques ou électrochimiques,
que lui exploitait par après pour trouver des processes innovants.
PS nous dit-il : J'ai toujours ici l'ébauche de moulage de la
main de ma femme, en plâtre !
A la suite de ces informations, nous avons récolté les compléments d'information suivants, provenant de Monsieur Marc Lorent :
Lorsque j'étais responsable de production de l'armement à Cockerill (aujourd'hui CMI) à Seraing, je confiais le chromage des tubes de canon de 90 mm à Interprochim, car ils étaient les meilleurs d'Europe dans ce domaine. J'ai donc très bien connu Monsieur Boulangé, qui en était le patron. C'était un personnage hors du commun, spécialiste en traitement de surface, mais dont l'autre passion était la copie et/ou la restauration des oeuvres d'art. Il avait, pour ce faire un autre atelier à Bruxelles, que j'ai pu visiter, et qui est entre autres, l'auteur de la copie du christ de Tancrémont, le plus vieux crucifix du monde, la restauration de stuc au palais de Laeken, et la copie de nombreuses oeuvres de l'Egypte ancienne. Je signale que toutes ces copies étaient construites pour être exposées à la place des originaux, dans le but évident de sécuriser ceux-ci. Alors, pourquoi des statues chez Interprochim ? Lorsque Monsieur Boulangé est décédé, tout s'est écroulé, sans doute les héritiers ont-ils vendu l'atelier de copies d'oeuvres d'art, et ont-ils dû le vider, transférant à cette fin tout le stock dans les ateliers d'Interprochim, elle aussi arrêtée. C'est la seule explication que je vois, mais en tout cas, à l'époque de la pleine activité d'Interprochim, on ne pouvait y voir aucune statue !
Le Christ de Tancrémont à la sortie de l'atelier d'Interprochim.
Une aventure qui continue
18/01/2013 - Nous apprenons que M. Boulangé a réalisé un moulage du visage de Michel Drucker et sa femme Dany Saval. Il a aussi réalisé un moulage du visage de l'évêque de Bruxelles, probablement Mgr Godfried Danneels (1980-2010). Et effectivement, quelques semaines plus tard, une fois de plus ça se confirme...
29/01/2013 - Le sérieux commence, nous sommes sur les traces des protagonistes.
Marcel Boulangé est né le 10 mars 1920 à Jupille-Sur-Meuse. Le 22 juillet 1980, il se marie avec Maria-Jozefina Peters, née le 11 avril 1925. Comme nous pouvons le remarquer, ce mariage est très tardif. Maria Peters est décédée le 24 mars 1981, à Herstal. Marcel Boulangé est décédé le 24 mars 1989, à Moscou, exactement huit ans plus tard.
Marcel Boulangé a
successivement habité à Schaerbeek, jusqu'en 1971, à
Oostende jusqu'en 1981, à Herstal ensuite. Le dernier domicile
était « En Plein Haren n°106 à 4040 Herstal
». Cette rue s'appelle aujourd'hui
« rue Plein Hareng ». La maison (si bien identifiée
car changements de numéros) serait sans remarque particulière.
Quelle curieuse coincidence que ce nom, lorsque l'on sait que l'atelier
de Machelen était à 100 mètres à peine de
la ville de Haren en région bruxelloise...
Ces informations sont peut-être maigres, mais confirment totalement tout ce qui fut dit par les témoins de l'époque.
Une
vue de En Plein Haren. Google street view, 2009.
Un article
du Soir
Samedi 12 décembre
1992. [Les photos sont
de mes ajouts]
Haute fidélité,
la recherche du double
Des répliques d'art d'une maîtrise incomparable à
Machelen.
Cette vitrine-là ferait saliver conservateurs et collectionneurs. Imaginez un instant, rassemblés dans la même pièce, les réalisations les plus abouties, les chefs-d'oeuvre marquants de l'histoire artistique. Civilisations d'Extrême-Orient, sculptures grecques antiques, travaux étrusques dans le bronze... À la différence près qu'ici tout est faux. Ou plutôt tout est réplique. Une création miroir en quelque sorte, un double fidèle.
Après sept ans d'existence dans la reproduction de haut niveau, la S.A. Interprochim est aujourd'hui l'un des ténors mondiaux dans l'art de la copie. Seuls quelques ateliers ont atteint une maîtrise comparable. Qu'il s'agisse de la réalisation des moules ou de la galvanoplastie (l' habillage métallique final de l'oeuvre). Ses clients sont donc nombreux. Parmi ceux-ci, bien sûr, les grands musées - on citera pêle-mêle le Louvre, le British, l'Hermitage ou le Mariemont, mais aussi des collectionneurs privés ou des artistes contemporains. Séries limitées dans ce dernier cas ou tirage plus important quand il s'agit d'une création pour une boutique de musée: la copie qui sort des ateliers de Machelen pourrait tromper bien des spécialistes. Mais que l'on se rassure, toutes les précautions ont été prises. La réplique ne sera jamais arnaque.
Le regard doit s'imprégner de l'original
La soixantaine épanouie, Roger Bruylant a de la passion dans les mots quand il explique le travail de son équipe. Cinq personnes à l'atelier de Machelen, regroupées autour de Bernard Legrand, le mouleur. C'est de lui que tout dépend. Le moulage n'est pas seulement un travail technique. Pour être bien reproduite, une oeuvre doit être comprise. Saisir la patte de l'artiste, les textures... Le regard de Bernard est donc essentiel. Il s'imprègne de la pièce. Pour ensuite passer au silicone et à la confection du moule, début du voyage vers la perfection.
Dès le premier regard, on voit ce qui différencie le moulage au plâtre d'une réalisation au silicone. Les imperfections de la surface tout d'abord, ces bavures, ces bulles éclatées, mais surtout la « mollesse » comme le fait remarquer Roger Bruylant. Regardez cet éclat, on a l'impression d'une usure. On a perdu la texture originelle. L'oeuvre s'est alourdie. Ce qui n'est pas le cas avec le silicone. Ici, les moindres détails sont rendus. On arrive à une fidélité de l'ordre de deux ou trois microns. Le résultat est d'autant plus remarquable que l'oeuvre est de petite dimension. Pour les Netsuke, ces boucles de ceintures japonaises, sculptées dans l'ivoire. Une fidélité absolue jusque dans les plus infimes détails, comme ces décorations vestimentaires, ces motifs floraux d'à peine 1/10 de millimètre d'épaisseur. Sans doute le domaine où l'atelier de Machelen est encore sans concurrent. Et de raconter ici l'histoire de cette collectionneuse belge qui avait confié dix Netsuke à reproduire. Elle connaissait donc parfaitement ses pièces, et pourtant elle n'a pu distinguer avec certitude que trois originaux seulement.
Si le silicone permet une réalisation du moule quasi parfaite, le travail sur la résine est aussi un instant-clé. C'est au moment du coulage en effet que nous donnons au matériau sa texture finale, en y incluant par exemple de la poussière de marbre. Ainsi la ressemblance devient aussi tactile. Mais c'est également à ce stade-là que nous donnons son poids à l'objet, en allégeant ou en alourdissant la résine. Ce qui permet, on l'aura compris, de distinguer immédiatement l'original de la copie. Aussi parfaite soit-elle, elle est un tout petit peu trop légère ou trop lourde...
Vingt-quatre carats plus vrais que nature
Il ne reste dès lors plus qu'à travailler la surface en vue de l'électrolyse. Cette galvanoplastie qui recouvre pour finir la résine d'une fine pellicule métallique. Tout le problème pour nous est de ne pas dépasser dix microns d'épaisseur entre les premières couches et le matériau final : de l'or, de l'argent ou des bronzes, du cuivre. Au-delà, l'objet perdrait en finesse. C'est donc l'une des supériorités du procédé. Parvenir à un traitement de la surface aussi précis, une véritable chirurgie électrique avant la dernière métallisation. Un traitement de luxe: argenture, or vingt-quatre carats. L'illusion est parfaite. Ce qui fait dire à notre responsable en souriant : On obtient une pièce dont l'extérieur est vrai, une sorte de double fidèle, mais dont l'intérieur, lui, est factice.
Environ trois à quatre jours sont nécessaires pour la réalisation d'un objet. Entre la première empreinte - le plus souvent prise sur place, les musées n'autorisant que rarement la sortie des pièces -, le moulage, le coulage et la galvanoplastie. Un temps de travail similaire à celui du plâtre pour un résultat d'une autre qualité. Naturellement, celle-ci se paie. Entre huit cents et deux mille cinq cents francs belges les Netsuke, mille et quatre mille francs belges, les « bronzes » et les « marbres ». Clients réguliers, les musées ont permis à la société cette année de réaliser un chiffre d'affaires de dix-huit millions. Pour l'essentiel les pièces sont vendues au public. Mais il existe aussi des copies destinées... aux musées eux-mêmes. Quand les pièces sont trop fragiles pour être montrées. Mais sur ce point, Roger Bruylant préfère rester discret. Pas plus qu'il n'évoque certains trafics à l'Est et le pillage systématique des collections.
Pas de trafic mais une arrestation
Une histoire par contre l'amuse beaucoup. Elle date d'un an et demi. Le Louvre nous avait confié la réalisation d'une série de statuettes. Un travail très soigné... À ce point réussi que les douaniers ne voulaient pas croire qu'il s'agissait là de reproductions. Le camion intercepté par la volante après la frontière, la cargaison fouillée, les douaniers (pas peu fiers) pensaient bien avoir mis au jour l'un des gros trafics de ces dernières années. Quarante-huit heures seront nécessaires pour que le Louvre parvienne à faire libérer le routier et les statuettes. Des ennuis qui, rassurez-vous, ne risquent pas de vous arriver. Les pièces en vente dans les boutiques sont numérotées. Même si la ressemblance est parfaite, n'espérez donc pas les refiler à un amateur d'art: vous passeriez pour un vrai filou... ou un authentique crétin.