Exploration campanaire, les cloches de Borne Ardèche
Voici une exploration campanaire des deux clochers de la commune de Borne, en Ardèche, à distinguer de Borne Haute-Loire. On découvrira en cette page le clocher de l’église de Borne. En ce qui concerne le clocher de tourmente du Mas de Truc, je vous reporte à la page dédiée à l’ensemble des : clochers de tourmente, où l’on trouve Borne en 7ème sur la liste, et documenté en précision.
L’église de Borne comporte deux cloches exceptionnelles. Il n'est pas possible de les sonner en volée. Les abat-son sont des volets, qui s'ouvrent. Dès lors une volée serait envisageable. Cependant, les deux manches de la suspension ont été accrochés avec un câble métallique (c'est fait pour protéger). Du coup, toute volée est rendue impossible sauf démontage, et ça ne se fait pas tout seul à cause du boulonnage. Afin de donner une illustration de ces deux cloches, je sonne brièvement un angélus.
La première cloche date de 1714. Elle est signée Claude et François Surrot. Il s'agit en réalité de la dynastie des fondeurs SEUROT. Les Seurot sont originaires du Bassigny, précisément du grand village campanaire de Levécourt en Haute-Marne. Selon Henry Ronot, Blaise Seurot (grand-père) s'est installé à Javaugues en Haute-Loire ; c’est près de Brioude. François Seurot est le père de Claude Seurot.
La cloche a une décoration exceptionnelle. Sa dédicace est la suivante : * (IHS) VERBVM CARO FACTVM EST ET HABITAVIT IN NOBIS et sur la faussure FAICT PAR FRANCOIS ET CLAVDE SVRROT PERE ET FILS 1714. On peut traduire par : LA PAROLE A ÉTÉ FAITE CHAIR ET A DEMEURÉ PARMI NOUS.
Ce qui interpelle immédiatement, c’est la similitude absolue des décors, considérant les cloches de Saint-Didier-Sous-Aubenas (1632) et Vagnas (1623). Toutefois de grosses embûches sont immédiates : presque un siècle d’écart, une similitude saisissante sans être pour autant une exactitude, la typographie de la dédicace différente, y compris dans la datation.
La supposition qui peut être proposée, du fait que l’on a affaire à une dynastie de fondeurs, c’est une transmission des matrices entre les générations. Franchement, en ces époques reculées, c’était geste fréquent, surtout au vu de la préciosité de ces pièces de buis (ou bois de fruitier). De là à attribuer les deux cloches 17ème aux Seurot, ce serait plausible, pratique, rassurant, mais il restera qualifiable que c’est aventureux. Une simple conclusion : le doute est permis, l’hypothèse est plausible.
On appuiera encore sur le fait indéniable que les décors sont d’une intensité de détails et de réussite rares.
La seconde cloche date de 1738. Elle est signée de Babandy Italius. Il s'agit en réalité de François Antoine BABANDY, fondeur italien originaire de Padoue / Padova, qui s'est installé à Bollène dans le Vaucluse. La cloche a une décoration de haut niveau. C’est un fondeur qualifiable de rare de nos jours, il est à citer toutefois une demi-douzaine d’objets classés, très essentiellement dans le Vaucluse.
Sa dédicace est la suivante :
* IN CONSPECTV EIVS NVBES TRANSIER VNT GRANDO ET CARBONES
& & IGNIS PRIORE PAROCHO HVIVS ECCLESIE IOANNE DURANT
& & MICHI NOMEN EST MARIA MATER SALVATORIS
BABANDY ITALIVS ME FECIT 1738
Sa traduction n’est pas immédiate de prime abord. Certains mots apparaissent comme peu clairs. Un essai de traduction serait le suivant (littéral) :
* À SON REGARD, LES NUAGES PASSENT, COMME LA GRÊLE ET LES CHARBONS DE FEU
&& EN NOTRE PRÉCÉDENTE ÉGLISE SOUS LE PASTORAT DE JEAN DURANT
&& MON NOM EST MARIE, MÈRE DU SAUVEUR
BABANDY L’ITALIEN M’A FAITE 1738
Deux faits saillants. Premièrement qu’il s’agit d’une cloche destinée à chasser l’orage. Elle sort de la définition stricte du clocher de tourmente, mais se rapproche du coup des cloches de tempête, à ce titre innombrables. Notre hypothèse concernant la première ligne de dédicace, c’est un rapport avec Ezéchiel 13:13 ou Psaumes 18:13 : « L'Eternel tonna dans les cieux, Le Très-Haut fit retentir sa voix, Avec la grêle et les charbons de feu ». Bien que nous signalions que la Vulgate ne cite pas « carbones » mais indistinctement la grêle et les tourments.
Du coup, le mot IGNIS de la seconde ligne se rattache à la première ligne. Il ne faut en aucun cas déduire la destruction par le feu « ignis priore parocho » d’un ancien édifice.
Le second fait, c’est la citation d’un édifice précédent, sous l’égide de Jean Durant. Peut-on y voir une ancienne église du prieuré clunisien, et une reconstruction d’un nouvel édifice dudit prieuré ? L’église actuelle de Borne est XIXe siècle.
L’église de Borne, avec ses deux cloches, constitue donc un patrimoine important, bien qu’entièrement discret. Les conditions de conservation sont excellentes, les cloches ne connaissent aucun danger. Une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques (devenue CRPA) serait souhaitable.