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Les ardoisières de Rimogne (1/5)

Les ardoisières de Rimogne représentent un pan entier de notre histoire d’exploration des mondes souterrains. Nous avons commencé les recherches à ce sujet en 2002, au gré de cette page de documentation devenue à la fois obsolète, mais aussi de documents anciens très précieux car tout ce qui est présenté est aujourd’hui ni plus ni moins disparu.

C’est aussi un pan entier de l’histoire et de l'identité de ce village des Ardennes. Village complètement secondaire dans l’imaginaire collectif – qui a entendu parler de Rimogne – sauf ceux qui inévitablement se sont intéressés à l’existence de ces ardoisières totalement majeures. Leur histoire remonte loin dans le temps, avec une exploitation attestée depuis le Moyen Âge, menée à l'origine par les moines. L'activité a vraiment pris son essor à partir du XVIIIe siècle, se transformant en une véritable industrie qui a connu son apogée au XIXe siècle.

Nous basons notre étude sur le livre de Léon Voisin : Les Ardoisières de l'Ardenne, et le soutien de recherches de Vincent Anciaux. Nos reportages concentrent les visites de la fosse Grand Fond, Saint-Quentin, canal des Paquis, Saint-Brice. Ce documentaire date de 2008.

Des origines monastiques aux fondations industrielles du XVIIIe Siècle

L'identité du village de Rimogne est indissociable de son histoire ardoisière. Plus qu'une simple industrie extractive, l'exploitation de l'ardoise a été la force motrice qui a profondément modelé le paysage, structuré l'économie et imprégné la vie sociale et culturelle de ses habitants sur près de huit siècles.

Le récit de l'ardoise à Rimogne ne commence pas avec l'industrie moderne, mais avec une exploitation artisanale dont les premières traces documentées remontent à 1158. Les seigneurs de Montcornet accordèrent alors l'autorisation de ramasser ce que l'on appelait à l'époque de « l'écaille ». Cette activité primitive était sous l'égide de trois puissantes abbayes cisterciennes : celles de Foigny, de Bonnefontaine et de Signy.

Cette phase, où l'extraction se faisait à ciel ouvert, illustre un modèle économique et social distinct, où la production était étroitement liée aux besoins monastiques et aux droits seigneuriaux, avec une première concession obtenue par l'abbaye de Foigny en 1230.  

Le retrait progressif des moines au XVIe siècle, notamment la vente de leurs possessions par ceux de Bonnefontaine pour contribuer à la rançon de François Ier, ouvrit la voie à l'exploitation par des laïcs. Néanmoins, l'activité demeura longtemps morcelée, gérée sur de petites parcelles, sans l'envergure d'une véritable industrie. Ce marché fragmenté, inefficace et instable, a créé les conditions favorables à l'arrivée d'une figure visionnaire.

Le tournant décisif se situe à la fin du XVIIIe siècle, avec l'arrivée de Jean-Louis Rousseau. En rachetant la Grande Ardoisière en 1779, il ne fit pas qu'acquérir une fosse ; il posa les fondations d'une exploitation industrielle moderne, lançant véritablement la « machine industrielle » qui allait durablement transformer Rimogne. Ce moment clé symbolise le passage d'une économie artisanale à une logique capitaliste de grande envergure, jetant les bases du modèle de la grande entreprise du siècle suivant.

Durant la révolution industrielle, La Grande Compagnie

Le XIXe siècle vit l'industrie ardoisière de Rimogne atteindre son apogée sous la domination de la Compagnie des Ardoisières de Rimogne et de Saint-Louis-sur-Meuse, constituée en 1831. Cette entité, en rachetant ses concurrents, établit un monopole qui lui conféra un pouvoir colossal. La concentration de l'exploitation, une stratégie d'élimination de la concurrence, se traduisit par une emprise totale sur la vie du village, où la Compagnie est qualifiée d'« impitoyable » et règne en maître. Son influence s'étendait bien au-delà des fosses, les grands propriétaires se regroupant autour de la famille Rousseau et contrôlant l'urbanisme et la vie politique locale.

L'exploitation devint de plus en plus souterraine, les filons profitables se trouvant à de grandes profondeurs. Le sous-sol de Rimogne offrait deux variétés d'ardoise aux propriétés distinctes : l'ardoise grenue, de couleur gris-bleuâtre et contenant des cristaux de fer oxydulés, qui était plus difficile à travailler, et l'ardoise bleue, qui ne présentait pas ces cristaux et était beaucoup plus facile à façonner.

L'exploitation, adaptée à la forte inclinaison des veines (environ 40 degrés), nécessitait l'installation de machines d'exhaure pour évacuer les eaux d'infiltration. Les vestiges de cette époque, comme le bâtiment d'extraction de la Grande Fosse (fermée en 1948) ou le chevalement métallique du Puits Saint-Quentin, témoignent de cette puissance industrielle. En 1914, à son apogée, la Compagnie employait 600 ouvriers, et la production annuelle s'élevait à 30 à 35 millions d'ardoises. L'urbanisme de Rimogne, avec ses terrils de déchets ("verdous") et les anciennes maisons d'ouvriers, est une empreinte physique de ce modèle économique centralisé.

Un peuple de l'ardoise, un labeur comme au charbon du Nord

La vie des ouvriers ardoisiers, les « écaillons », était d’une rudesse peu égalée. La mine amène dans l’imaginaire collectif Valenciennes, Lens : le charbon du Nord et son Germinal. Ici en Ardennes, c’était tout aussi dur et pourtant méconnu. Le travail était d'une dureté immense.

Leur journée commençait souvent à 5 heures du matin, avec une descente dans une obscurité quasi totale. Bien que la mécanisation ait progressé, les risques demeuraient constants. La poussière d'ardoise dégagée lors du façonnage recouvrait les paysages alentour d'une pellicule grisâtre, une pollution visuelle et respiratoire qui marquait maisons et forêts.  

La relation entre la Compagnie et ses ouvriers fut loin d'être harmonieuse, ponctuée par un cycle de révoltes et de grèves qui signalait une profonde conscience ouvrière. Les grèves de 1869, où les ouvriers brisèrent 15 000 ardoises pour exprimer leur frustration, celle de 1888, soutenue par Jean Baptiste Clément et où 340 des 390 ardoisiers réclamèrent une augmentation de salaire sans succès, et le conflit de 1901, qui dura trois mois, ne furent pas des événements isolés. Elles étaient les expressions récurrentes d'une opposition face à une direction impitoyable et des salaires jugés insuffisants.

Au-delà des conflits, la vie au sein de l'ardoisière était également marquée par la présence de femmes et d'enfants travaillant à la surface. La dévotion à Sainte Barbe, patronne des ardoisiers, omniprésente à l'entrée de chaque descenderie, témoigne d'un second niveau de réalité : la foi comme réconfort face au danger omniprésent et la religion comme une stratégie de survie psychologique pour une communauté vivant avec la menace de la mort et de la blessure.

Le déclin inexorable et le tournant de 1971

Le déclin de l'industrie ardoisière fut le résultat d'une convergence de facteurs complexes, loin d'être un simple événement unique. Les deux guerres mondiales avaient déjà ralenti la production, et l'après-guerre vit l'industrie peiner à retrouver son niveau maximal de 1930. La faillite qui s'ensuivit est l'aboutissement de plusieurs difficultés.  

Les ardoisières de Rimogne firent face à une concurrence croissante, notamment des carrières d'Angers et de l'étranger, comme celles du Pays de Galles et du Canada. De plus, l'arrivée sur le marché de nouveaux matériaux de couverture moins onéreux, tels que la tuile mécanique et la tôle ondulée, rendit l'ardoise, un produit noble mais coûteux, moins compétitive.

Sur le plan opérationnel, l'épuisement des filons les plus accessibles obligea les mineurs à descendre à des profondeurs toujours plus grandes, rendant l'extraction plus coûteuse et techniquement difficile. Sur le plan social, les mouvements ouvriers des années 1960 et le poids croissant des charges sociales augmentèrent la pression sur la Compagnie.

Cette accumulation de difficultés conduisit inéluctablement au dépôt de bilan de la société en 1969. Après une ultime tentative de maintien de l'activité, l'année 1971 marqua la fermeture définitive de toutes les installations encore en activité. La fosse Truffy fut la dernière à cesser ses activités, quelques semaines après la fermeture de Fumay, tournant la page d'un livre de huit siècles.

Nous n’avons pas visité Truffy car nous avons jugé le puits profond et surtout trop dangereux. Des fendeuses ont été jetées dedans par vandalisme et sont suspendues dans le vide sur des armatures scabreuses. Descendre en dessous à la corde pourrait s’avérer fatal.

Vous pouvez écouter cette belle ardoisière souterraine ci-dessous :
Première sonorité, la descenderie
Seconde sonorité, l'exploration
Troisième sonorité, les chants souterrains
Quatrième sonorité, le canal des paquis

Le devoir de mémoire et un village qui a réussi à ne pas tout saccager

Le village de Rimogne a su transformer cette fin d'activité en une nouvelle ère axée sur la mémoire et le patrimoine. L'ancienne centrale électrique des Ardoisières, un bâtiment construit en 1911, a été reconvertie en Maison de l'Ardoise, un musée municipal. Loin d'être une simple vitrine, ce lieu retrace l'histoire du gisement, des techniques d'extraction et du quotidien des ouvriers.

Les visiteurs peuvent s'incliner sur le puits de 185 mètres de profondeur sous la Grand Fosse, éclairé par des spots. Nous avons été en dessous, lequel offre un sacré aspect.

Le chevalement du Puits Saint-Quentin, dernier vestige visible de l'industrie, a subi un incendie au début des années 2000. Nous avions visité les ateliers attenants en 2002 et de mémoire, tout avait été rasé lors d’un passage sur place en 2005. Partiellement rénové, le puits est devenu un point de repère visuel et un symbole de la réhabilitation du patrimoine.

L'installation de silhouettes d'ardoisiers sculptées par l'artiste ardennais Hubert Pauget ancre définitivement le lieu dans le récit humain. Le village a su transformer son patrimoine en une destination touristique en se positionnant comme la porte d'entrée de la «Route de l'Ardoise », un itinéraire transfrontalier qui relie les sites ardoisiers français, belges et luxembourgeois.

Cette initiative montre comment l'histoire locale s'intègre dans un patrimoine industriel plus large, créant un nouveau moteur économique et culturel pour le village. La reconversion de l'ancienne centrale électrique et du chevalement n'est pas une simple préservation, mais une réaffectation, où la fonction originelle est remplacée par une nouvelle fonction, transmettre le savoir et incarner la mémoire.  

Nos photos proposent des visites datant de 2008, dans un temps où tout n’était pas aussi compliqué.

L'ardoisière Grand Fond


Voici la première partie de la descenderie Grand Fond. Il pourrait sembler qu'il n'y a pas besoin de cordes d'après la photo, mais après les sangles vertes, la descenderie fait un coude, et ça part dans les profondeurs. Il est impossible de progresser en ce lieu sans cordes.


François équipe la deuxième partie de la descenderie. Après un long passage tout droit, cette descenderie fera un nouveau coude, avant de déboucher sur les galeries de circulation.


Le niveau auquel on accède est situé à vue de nez aux alentours de -40 mètres. Juste en dessous, à quelques mètres près, c'est le noyage. Un canal d'assèchement, que l'on verra ensuite, draine l'eau vers l'extérieur.


Ce que nous appelons une albraque. C'est une réserve d'eau derrière le mur.


Nous n'avons certainement pas tenté l'ouverture de la vanne ! Au dessus, on voit très bien la trace du forage pour effectuer le tir de mine.


Ce tuyau descend vers les anciennes fosses plus profondes (jusqu'à -120), mais tout est noyé.


Les anciennes échelles, pourries à l'extrême, plongent dans l'inconnu.


Un ancien tonneau abandonné depuis des lustres.


Une ancienne chambre, dont le sommet est malheureusement inaccessible.


Les murs d'ardoises stériles sont tout à fait impressionnants par leur volume et leur régularité.

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