Ce dossier est un vaste documentaire campanaire
sur les deux bourdons de la cathédrale de Sens, dans l'Yonne, en
France. Ce reportage a été effectué grâce à
l'accueil formidable et inénarrable de monsieur Bernard
Brousse. Qu'il en soit ici remercié. L'ensemble du documentaire
a été réalisé les 24 et 25 décembre
2010, avec le soutien direct de Nicolas Duseigne,
la moitié des photos sont de lui. Un grand merci pour son aide
dans les moments glaciaux et un peu cruciaux que sont les grandes volées.
C'est sans oublier le soutien de Philippe Simonnet
dans les démarches administratives, lui-même ayant vécu
la grande épopée du lancement des deux bourdons quelques
années auparavant.
Ce reportage
contient les éléments suivants
: -Une iconographie assez large, reprenant
de nombreux aspects de la cathédrale, sauf le comble et la tour à
plomb. C'est évidemment très axé sur le campanaire. -Deux
vidéos présentant la grande volée des bourdons Savinienne
et Potentienne. -Deux enregistrements
complets (20 minutes et 18 minutes) + une analyse sonore des harmoniques.
-Une brève étude historique
reprenant des points indiscutables. -Une
étude technique concernant la controverse du poids des bourdons. -Une
copie des articles historiques concernant la dégradation du plus gros bourdon
en 1837.
Chacun de ces éléments
est disponible pour des applications presse, tant que Bernard Brousse donne un
accord préalable.
La
Savinienne et la Potentienne sont deux gros bourdons placés dans la Tour
de Pierre de la cathédrale de Sens. Ce sont des cloches extrêmement
exceptionnelles dans le paysage français. Sans parler de leur poids, car
c'est une affaire assez compliquée, ce sont les deux plus gros bourdons
appariés en France. Cela signifie qu'il y a souvent un gros, voire très
gros bourdon, comme à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ici, nous
en avons deux. Cela donne une sonnerie à la musicalité exceptionnelle.
Vous
pouvez écouter ci-dessous deux superbes volées (19:53mn et 18:36mn). https://tchorski.fr/audio/voleesens1.mp3
https://tchorski.fr/audio/voleesens2.mp3
A la première volée, c'est d'abord la Savinienne qui
démarre. A la seconde volée, c'est la Potentienne. Ce n'est pas
un code spécifique. Ces enregistrements montrent uniquement la différence.
Chaque image ci-dessous amène à
une thématique de documentaire (images-liens). Pour une question de praticité,
tout ce qui concerne l'étude est placé après ces images,
étant donné que c'est quand même assez long à parcourir.
LES
PHOTOS (505 images)
La
nef
Les
monstres
Le
beffroi
Les
bourdons
Les
paysages
En
volée
Les
inscriptions
Le
campanile
La description physique des cloches
Il y a de très nombreuses confusions
dans la littérature (livres, internet, tv, etc), autant sur leur nom que
sur leur poids que sur leur note. Pour ce qui est de la description de ces deux
cloches, nous nous baserons sur la version d'inventaire des Monuments Historiques
[PM89001159 & PM89001158], que nous considérons comme exacte. Il faut
bien prendre une base de travail et celle-ci nous parait la meilleure étant
donné que dans d'autres cadres d'inventaires (Chartres, Beauvais, Bourges),
ça a toujours été exact. Cependant, je conteste leur lecture
des inscriptions, et en donne ma version, d'ailleurs concordante avec le bulletin
de la société archéologique de Sens, tome XVIII, 1897.
Les deux cloches ont été fondues
par Mongin Viard en 1560.
La
Savinienne est la plus grosse cloche.
C'est une certitude parce que c'est marqué dessus. Donc, cette affirmation
révoque un certain nombre de cartes postales anciennes, d'articles de journaux,
etc. Elle mesure 260 centimètres à la bouche et 208 centimètres
en hauteur diagonale sans la couronne. La pince est épaisse de 22 centimètres
en longueur de la patte à la fourniture.
La
dédicace au cerveau, en quatre lignes, comporte le texte suivant : Anno
milleno quingento, terque viceno. - Facta sonans senonis Saviniana fui - Obscurae
nubis tonitru ventosque repello ; Ploro defunctos, ad sacra quosque voco. Romae
sedente Pio quarto, imperante Germanis Ferdinando regnante. (version uniquement
sur inventaire MH : Gallis Francisco secundo Presulatum obtinente Senonis Iohanne
Bertrando Cardinale). Gaspard Mongin-Viard m'a faicte. La partie entre parenthèses
ne figure dans aucune littérature. Cependant, elle figure sur la pince,
sur une photo de la page 9/20. Sans garantir le contenu exact de la dédicace,
il est donc très probable qu'elle existe telle qu'elle.
Dans
« Voyage dans les départements du midi de la France », de Aubin-Louis
Millin, il est répertorié que ces vers sont ceux de Guillaume Fauvelet,
archidiacre de Melun et Chanoine de Sens. Cependant, je dois bien préciser
que cette source est fort douteuse, l'information est donc à prendre avec
précaution. Malgré tout, Le fait que ce soit Guillaume Fauvelet,
archidiacre de Melun, qui soit l'auteur des vers est également cité
par Théodore Tarbé. Cela peut nous rassurer quant à l'exactitude
de la source.
Nous pouvons traduire
cette citation comme suit : Je fus fondue à Sens l'an mil cinq cent soixante
; Par mon son et le nom du premier saint prélat ; La tempête et les
vents n'offensent ce climat ; Je convoque à l'office et les morts je lamente
; Sous (la direction de) Pie IV à Rome, et sous le règne de Ferdinand
(du Saint-Empire) d'Allemagne. Gaspard Mongin-Viard m'a fondue. Cette cloche est
réputée avoir été fondue au mois d'août de l'an
1560. Le Journal de Sens, le facteur de la navigation et du flottage de l'Yonne
et de ses affluents, de Clamecy à Montereau, 7 mars 1840, mentionne qu'il
s'agit de février.
Dans
Affiches, annonces et avis divers
de la ville et Arrondissement de Sens (20 mai 1837), une note sur la
traduction exprime l'interprétation que la Savinienne est une cloche d'orage,
ce qu'on appelle en Belgique une Stormklok. J'en recopie le texte : Ce troisième
vers annonce qu'à cette époque et d'après un préjugé
qui règne encore dans quelques paroisses rurales, on attribuait aux cloches
la vertu d'écarter les orages et le tonnerre. A propos de la croyance concernant
les cloches d'orage, lire la thèse de Thierry Gonon, souvent citée
sur mon site, à propos des cloches médiévales.
Les
images en figure rectangulaires sont au nombre de six. Ce sont de petits encadrements
rectangulaires, usagés mais d'une réalisation soignée. Il
s'agit de : 1/ Une représentation de Christ en Croix, La Sainte-Vierge
et Saint-Jean, 2/ Dans un encadrement gothique dont le fond est semé de
fleurs de lys, un évêque, avec une mitre et bénissant, qui
est probablement Saint-Savinien, apôtre de la Sénonie, 3/ Saint-Etienne,
l'un des patrons de la cathédrale, 4/ Saint-Pierre, assis, et portant dans
ses mains les clés, 5/ Saint-Martin, à cheval, partageant son manteau
avec un pauvre, 6/ Saint-Paul, debout, la main droite appuyée sur une épée. Hormis
ces encadrements, on trouve plus bas répétées deux fois les
armes du chapitre, surmontées d'une croix simple, entourées d'une
guirlande de feuillage.
La
Potentienne est la plus petite cloche. Quand je dis petit, c'est tout relatif,
parce que ça reste encore un bien gros bourdon ! La Potentienne et la Savinienne
ont des notes assez proches. Elle mesure 233 centimètres à la bouche
et 195 centimètres en hauteur diagonale sans la couronne.
La
dédicace au cerveau, en trois lignes, comporte le texte suivant : Potentiana
ego proxima hujus Savignanae comes, fusa mense novembri anno Christi millesimo
quingentesimo sexagesimo, Pio 4 Romano Pontifice, Francisco 2, Gallorum rege,
Johanne Bertrando, Romanae Ecclesiae, Cardinale Senonense Archiepiscopo, Mongin
Viard m'a faicte.
Nous pouvons traduire
cette citation comme suit : Je suis Potentienne, la plus proche compagne de Savinienne.
J'ai été fondue au mois de novembre 1560, Pie IV étant Pontife
Romain, François II Roi de France, Jean Bertrand, cardinal de l'Eglise
Romaine, archevêque de Sens. Mongin-Viard m'a fondue.
Les
décorations sont identiques à la Savinienne.
Savinien
et Potentien sont d'après ibid source 1, des premiers apôtres et
martyrs sénonais.
La
note de ces cloches
Les
confusions les plus extrêmes existent. Cela peut se comprendre, le son est
d'une grande richesse d'harmoniques un peu complexes et évolutives.
Le
ton correct de la fondamentale est difficile à déterminer, soyons
clairs... Campalsa évoque qu'il s'agit de
Savinienne ré(2) +2, Potentienne mi(2) +12, sur la base d'un la3 à
435 hertz. Je ne suis pas d'accord avec cette version, sans pour autant argumenter
qu'elle est fausse, c'est je suppose une question de perception. De mon côté,
j'y vois Savinienne sol#(2) assez fortement altéré, Potentienne
fa(2), sur base d'un la3 à 440 hertz. La cathédrale elle annonce
officiellement Savinienne mib(2), Potentienne fa#(2).
Même
entre spécialistes, ou en tout cas amateurs passionnés, on n'arrive
pas à se mettre d'accord !
De manière plus précise, une
étude Wavanal a été réalisée. Elle porte sur
un dixième de seconde de longueur, à un dixième de seconde
après l'impact de battant. Cela donne le résultat suivant :
Savinienne
: Sous-bourdon : 28 Hz. Bourdon : 75 Hz. Fondamentale 151 Hz. Tierce : 177 Hz.
Quinte : 238 Hz. Nominale : 295 Hz. Octave nominale : 613 Hz. L'octave nominale
est à Eb(2)-25.
Potentienne
: Savinienne : Sous-bourdon : 33,5 Hz. Bourdon : 88 Hz. Fondamentale 169 Hz. Tierce
: 203 Hz. Quinte : 274 Hz. Nominale : 339 Hz. Superquinte : 513 Hz. Octave nominale
: 705 Hz.
Par wavanal, le virtual pitch
est estimé à 30 hertz. La mesure est à prendre avec précaution
car vu le brouhaha, ce n'est pas d'une évaluation facile. J'ai pris pour
étalon un dixième de seconde à la fin de raisonnance, après
que les deux battants aient frappé simultanément, ce avant l'apparition
de la frappe suivante.
Outre
cette analyse, on note les caractéristiques suivantes : la Savinienne a
une octave nominale extrêmement puissante. Les deux cloches ont un sous-bourdon
d'une extrême-extrême puissance, ce qui donne un son sourd permanent
qui surpasse beaucoup de nombreux bourdons (voir mon documentaire sur les
plus gros bourdons mondiaux). Ces
deux sous-bourdons mêlés ont la particularité de créer
une subharmonique puissante, à partir de plus ou moins deux minutes de
volée appariée. Cette subharmonique est ce qu'on appelle le virtual
pitch, cette note n'existe dans aucune des deux cloches. Cette subharmonique à
environ 30 hertz créée un brouhaha d'une grande violence sonore
dans la partie haute de la tour, environ 5 mètres au dessus des bourdons.
Philippe
Simonnet ajoute la précision : A
propos du virtual pitch, c'est logique, les bourdons servaient de basse continue
à la sonnerie des 8 cloches de la tour nord (dont la célèbre
Marie).
Par wavanal, ce
qui vaut ce que ça vaut..., Savinienne a une note fondamentale en Ré~Ré#(2)
et Potentienne en mib(2). Que conclure ?... Peut-être simplement avoir la
simplicité de dire que ces deux cloches sont d'une telle richesse d'harmoniques,
et ces dernières si puissament exprimées, qu'on ne peut pas se limiter
à une fondamentale - ce qui d'ailleurs fait toute la richesse et complexité
du timbre des bourdons...
Le
poids de ces cloches
Le
poids de ces cloches est totalement contesté, ce depuis des décennies.
La tradition reprend les valeurs suivantes
: [S = Savinienne, P = Potentienne] - [Poids exprimés en livres, puis rapportés
en kg]
Tradition des sonneurs : S=32000,
P= 28000 - S=14515, P=12700 Maximilien
Quantin, archiviste de l'Yonne : S=23674, P=21537 - S=10736, P=9770 Dr
Billon, bulletin monumental, Tome 26 : S=30000, P=20000 - S=13607, P=9071
L. Chicot, fondeur (1840) : S=31171, P=27730
- S=14139, P=12578 L. Chicot, fondeur
(1874) : S=32400, P=29000 - S=14696, P=13154 Cochois-Lubaux,
fondeur (1838) : S=24000, P=17000 - S=10886, P=7711 Théodore
Tarbé, d'après l'échelle de Pluche : S=35600, P=33900 - S=16147,
P=15376 Id, d'après l'Almanach
des Physiciens de l'an IX : S=22418, P=16129 - S=10170, P=7316 Id,
d'après son évaluation : S=29000, P=27000 - S=13154, P=12246
D'après Eric Brottier, Ingénieur
des Arts et Métiers, les valeurs sont : S=9800kg, P=7600kg.
D'après Serge Joris, sur la base
de la formule P = 3 x Fréquence du bourdon x D4,
ou bien sur base de la formule P = 650 x D³, les poids sont S=11425
et P=8225. Ces valeurs semblent être à prendre en considération
comme étant assez valables.
Ce qui est comique, c'est que la littérature
la plus répandue, cartes postales anciennes, etc, ne reprend que le poids
le plus maximaliste, oubliant les autres valeurs ! Ce qui est amusant aussi, c'est
que plus le temps passe, plus elles perdent du poids.
Interrogé
sur la question et pour un mesurage qu'il n'a pas effectué lui-même
(ce qui implique des réserves évidentes), un fondeur de cloches,
exprime l'avis suivant : En ce qui
concerne la Savinienne, le diamètre correspond à la note connue,
pour un profil lourd. D'après le mesurage donné, si ce bourdon fait
bien 260cm de diamètre avec une épaisseur à la pince de 22cm,
c'est un bord assez lourd. Le tout est de voir aussi si le bourdon a un profil
constant ou un profil dégressif, c'est-à-dire l'épaisseur
de métal mise en ouvre sur la hauteur de la robe. En tout cas, 9800kg pour
260cm de diamètre, c'est vraiment léger et ce n'est pas possible.
Sur base de la fédération des carillonneurs français, il
estimerait ces bourdons à des valeurs de plus ou moins 14 et 10 tonnes.
Nous
n'ajouterons pas une affirmation à ces diverses mesures, il est inutile
d'en ajouter une couche ! En guise de conclusion, on peut simplement dire que
c'est très controversé et que seule une mesure sur balance sera
l'arrêt définitif des questionnements.
Les accidents de 1837 et 1985
Nous commencerons par l'accident de 1985,
le plus court. Un accident a touché la Potentienne, un battant s'est détaché.
C'est évidemment très dangereux et très grave. Ce battant
est conservé à la presque base de la Tour de Pierre, chapelle Saint-Vincent.
Ce battant est aujourd'hui remplacé.
A
propos de l'accident de 1837, il règne la plus grande anarchie d'information.
Grâce à la documentation fournie par Bernard Brousse, je vais tenter
d'éclaircir. Cet accident est donc arrivé à la Pentecôte
1837. Il a touché la Savinienne. A cette époque, la sonnerie était
manuelle et mobilisait 16 sonneurs par cloche. Le résumé est que
la Savinienne fut sonnée trop violemment, il en résultat une ébréchure
(et non pas une fissure, ni une fêlure). Un morceau de 97 centimètres
de long s'est détaché. Il pèse d'après la tradition
45 kilos. Depuis, afin de pouvoir re-sonner, la cloche a été tournée
d'un quart de tour.
Ce morceau
détaché est situé à la patte. Ce morceau manquant
est assez large et assez peu haut. Il monte au premier filet. Cela signifie en
principe, et je dis bien en principe car ce n'est pas évident, que ça
affecte la nominale et légèrement la fondamentale. Certaines sources
(Tarbé notamment) mentionnent que la note était auparavant en la
bémol et désormais en fa dièse. C'est n'importe quoi ! Ce
n'est pas vrai. Ce qui est certain, c'est qu'on a une sévère perturbation
des harmoniques, mais certainement pas un changement aussi radical de note fondamentale.
Certaines sources, l'Yonne républicaine
du 30 janvier 1997 notamment, mentionnent que le son est plus caverneux après
l'accident. Bien sûr, caractériser un son par des mots, ce n'est
pas évident. Ce qu'on peut dire, c'est que le son est affecté, oui.
Il y a une légère dysharmonique, il y a une légère
impression de son de casserole. Pour autant, le son de cette cloche reste magnifique,
exceptionnel et juste. Cette dégradation à la pince ne semble pas
capitale. Ce qui est comique, c'est que justement on a une nominale extrêmement
puissante. Alors ?...
Il est à
noter que les cloches asiatiques, comme SeongDeok, Chion-In ou Da Zhong-Si, ont
des pinces qui ont une forme de vague. Une pince rectiligne est une constante
occidentale. L'accident de 1837 est en réalité un évènement
qui a fragilisé la cloche. Quant à la neutraliser, par chance ça
n'a pas été le cas.
Plusieurs
sources nous relatent l'accident de manière poétique, exagérée
et peu exacte. Je me plairai à les recopier.
Le
bulletin de la société archéologique de Sens, tome XVIII,
1897 - Le 14 mai 1837, jour de la Pentecôte, la cloche Savinienne fut fêlée
au moment où l'on commençait à sonner l'office. L'allongement
du baudrier, qui soutenait le battant, causa cet accident : le battant ayant touché
plus bas que la partie épaisse, appelée la frappe ou le bord, et
trop près de la partie terminale appelée la pince. Cette fêlure
nécessita l'ablation d'un morceau long d'environ un mètre. L'opération
fut faite par monsieur Foin, serrurier à Sens, qui répara la suspension
du battant, fit faire un quart de tour à la cloche et la mit en état
de sonner la fête de l'Assomption en 1838. Ce travail modifia le son de
l'instrument.
Contestations : la cloche
n'est pas fêlée. L'allongement du baudrier est un point de vue, c'est
peut-être juste, c'est peut-être contestable. Vu la forme de l'ébréchure,
pour ma part je parlerais d'une frappe trop violente. Quant à l'ablation,
ça parait tout bonnement incompréhensible. Le morceau a simplement
été arraché.
Monsieur
Bernard Brousse dit que le morceau manquant serait conservé quelque part,
mais ce n'est pas très bien identifié. A chaud, souder le morceau
serait envisageable avec les techniques de nos jours. Cependant, c'est une démarche
un peu compliquée et d'autant plus aventureuse que le bourdon ne peut pas
être démonté.
Journal
de Sens et du département de l'Yonne, 2ème année, N°10,
20 mai 1837 - Dimanche dernier, jour de la Pentecôte, on fut étonné
de ne point entendre, selon l'usage, le gros bourdon annoncer la Grand'messe.
C'était un évènement que l'absence de la grande sonnerie.
Bientôt, une triste nouvelle parcourut la ville : suivant les uns, la cloche
était cassée ; cinq éclats énormes avaient écrasé
une partie des malheureux sonneurs ; suivant les autres, elle n'était que
fêlée, sans qu'on eut à déplorer la perte de personne.
Nous avons donc entrepris le voyage de la tour ; nous avons examiné dans
tous les sens le magnifique bourdon, objet de sollicitude publique. Nous avons
constaté deux fentes bien prononcées. Cette double blessure met
la cloche hors de service.
Un
des sonneurs nous a donné les détails suivants sur ce triste évènement
: le baudrier qui attache le battant au bourdon se trouvant trop court, les efforts
multipliés des sonneurs ne pouvaient obtenir aucun son, bien que la cloche
fut lancée en grande volée. Le battant frottait rudement le tour
des parois, sans déterminer aucune vibration distincte, lorsque tout d'un
coup une détonation épouvantable se fit entendre : deux coups portés
à faux avaient fendu l'airain. La tour entière parut ébranlée
par ce terrible mugissement répété au loin dans les galeries
et dans la vaste étendue de l'édifice. Les sonneurs se crurent perdus
et se sauvèrent frappés d'épouvante : aucun cependant n'éprouva
d'accident. (.) Le même jour, le battant du petit bourdon s'est décroché
de l'anneau auquel il était suspendu, et a failli écraser le sieur
Richard, sonneur. Dans la même journée encore, un sonneur a eu le
bras écrasé contre les charpentes.
Contestation
ou annotation : Ce témoignage, bien que fort exagéré et imprécis,
est le seul provenant d'un sonneur. Un battant qui frotte, c'est signe qu'il se
promène sur un point de frappe, et généralement d'une bélière
trop large, ou d'une fatigue sévère du baudrier. Cela pourrait attester
la thèse que le baudrier s'est allongé. Il est intéressant
de lire que deux fentes prononcées ont été constatées.
Cela ne se voit pas aujourd'hui. Un texte en faveur de la thèse de l'ablation
?
J'ai passé certains paragraphes
concernant une femme de sonneur qui s'évanouit, etc ! Le témoignage
de ce journal semble en tout cas témoigner d'un sérieux manque d'entretien
et sera le plus précis sur l'accident.
Affiches,
annonces et avis divers de la ville et arrondissement de Sens, samedi 20 mai 1837
- C'est dans la matinée du jour de la Pentecôte, 14 mai 1837, que
la cloche Savinienne a été fêlée, au moment où
l'on commençait à la sonner en volée, pour annoncer la grand'-messe.
On attribue cet accident, auquel tout porte à croire que l'on ne pourra
point remédier, au relâchement ou allongement du baudrier qui supportait
l'énorme battant, lequel au lieu de porter sur sa frappe ordinaire, a atteint
le bord plus mince et inférieur de la cloche.
Journal
de Sens, le facteur de la navigation et du flottage de l'Yonne et de ses affluents,
de Clamecy à Montereau, 7 mars 1840 - Il y a quelques années, deux
ouvriers entreprirent de diminuer la force nécessaire pour les mettre en
volée, mais leurs efforts furent sans heureux résultat. Cette opération
causa même par la suite des dégâts très graves au gros
bourdon. Le battant était mal calculé et le baudrier, mal confectionné,
s'était allongé de telle sorte que la cloche étant mise en
mouvement, le mauvais battant, qui frappait trop bas, fit sauter un morceau pesant
37 kilogrammes. Toutefois, cette plaie n'atteignit pas le cordeau, aussi la cloche
étant retournée perdra très peu de son.
Contestation
ou annotation : ici il est bien évoqué un arrachement et non une
fêlure. Le poids du morceau est mentionné et il est contradictoire
avec mes informations. 37 kg paraissent une valeur probable.
Conclusion
: Si je conteste la fêlure, proposant un arrachement, il faut bien accepter
que c'est aller contre presque toute la littérature d'époque. Si
je conteste l'allongement du baudrier, pensant qu'il s'agit d'une frappe trop
forte, même remarque. Les points de vue sont exposés !
Le mode de volée
Un peu surprenant, le mode de volée
est un lancer franc, alors que tout laissait croire qu'il s'agissait d'un rétrograde.
Le grand point de confusion, c'est qu'il y a un mouton. Or, et c'est formel, le
battant frappe le haut de la pince. Le battant a une chasse. Il n'a pas de contrepoids.
Le mouvement de la cloche est rapide.
En
fonction de ces informations, je détermine le mode de volée comme
un lancé franc allégé, afin de ne pas fragiliser les cloches.
Le mouton sert à uniquement adoucir la force de frappe.
Philippe
Simonnet ajoute : Après
l'accident de la pentecôte 1837, ils ont effectivement été
montés en rétrograde en 1840 par Chicot, mais ça permettait
surtout de ne demander que 4 hommes pour les sonner au lieu de 16. Pour avoir
entendu la sonnerie en rétrograde (communions de 1982), c'était
beaucoup plus impressionnant. A 2,2 km de la cathédrale, et à 20m
du clocher de St-Clément, ils toisaient les cloches de St-Clément.
Aujourd'hui, de cet emplacement, on ne les entends plus. A
l'époque, du portail de la cathédrale, on ressentait des vibrations
dans son corps. Au final, aujourd'hui les bourdons
m'impressionnent moins que le beffroi.
Il
nous donne la citation de Tarbé à ce sujet : «
Les cloches sonnent maintenant par un système de bascule. Elles n'exigent
maintenant plus que quatre hommes chacun pour être sonnées en grande
volée. Les battants ont été calculés, les baudriers
remplacés par des chapes qui n'ont plus l'inconvénient de s'allonger.
Ce mode de sonnerie beaucoup plus économique, beaucoup plus simple, mieux
entendu et moins dangereux a été établi à Sens dans
les premiers mois de 1840. Les battants ont été rechargés
et rebattus, celui de Savinienne pèse 700 livres, celui de Potentienne
400 livres ». Le
système de bascule qui est évoqué est une longue pédale
de vélo qui est placée en prolongement du volant. Quatre hommes
poussant du pied ces pédales permettent à la cloche de se mettre
en mouvement. Ces hommes sont donc inévitablement au dessus du bourdon.
Il reste quelques vestiges de ce système à Sens, notamment les poignées
pour s'aggriper. Ce système est inévitablement couplé à
un fort équilibrage des poids, et donc la présence d'un mouton conséquent.
C'est en quoi cela donne une très forte probabilité de montage rétrograde
pour le bourdon.
Les
dates de volée ; Philippe Simonnet nous explique : La Potentienne sonne
tous les dimanches en solo, ainsi que les mariages (accompagnée par la
cloche de l'angélus). Savinienne et Potentienne sonnent ensemble pour toutes
les fêtes, c'est à dire Rameaux, Messe Chrismale (1 an sur 2), Pâques,
Ascension, Pentecôte, les communions, 15 août, Libération de
Sens, St-Fiacre, Fête de Fatima, Christ-Roi, et Noël. Il faut rajouter
les rassemblement diocésains s'il y en a. Les deux bourdons sonnent également
accompagnés de la cloche des morts pour les enterrements de chanoines.
Si par rapport a des cloches d'importance historique, c'est un usage important,
ca reste un usage modéré, car depuis le montage des nouveaux battants
(éventuellement 1997), elles sonnent beaucoup moins fort.
Les
photos sur le blog de Nicolas.
Le
beffroi
Entièrement
en chêne, spectaculaire et superbe, il est volumineux et très bien
entretenu.
L'Yonne républicaine
écrit : C'est en 1535 qu'une centaine de chênes ont été
abattus dans la forêt du « Petit-Pas » à Fouchères.
Ils ont servi à confectionner les impressionnantes poutres du beffroi.
C'est la vente de bois de la forêt de Rageuse, qui a permis, en partie,
de financer les bourdons.
Lors
d'une volée, le beffroi s'écarte des murs de presque vingt centimètres.
C'est très impressionnant, c'est un bateau qui tangue. Cela ne nuit pas
à la stabilité de l'édifice étant donné que
les corbeaux sont bien plus bas, et tout à fait monumentaux ! Lors d'une
volée, les murs vibrent mais ne bougent aucunement.
Les
autres cloches de la Tour de Pierre (d'après
les notes personnelles de Bernard Brousse, lui-même d'après Gustave
Julliot, les cloches de la cathédrale de Sens, BSAS, tome XVIII, 1897).
Elles sont plus conventionnelles.
La cloche des morts : fondue en 1819 par
Pierre Cochois, fondeur à Champigneulle, Haute-Marne. Nommée Louise-Thérèse.
Parrain et Marraine : duc et duchesse d'Angoulême. Diamètre : 114cm,
hauteur 90cm. Poids : 1552 livres, soit 704 kg. Note : mi bémol.
La cloche de l'angélus : fondue au
XIVème siècle par le fondeur de Charles V, Juventus, connu généralement
dans notre littérature comme Jean ou Jehan Jouvente. Diamètre 81cm,
hauteur 62cm, poids : 450 livres, soit 204 kg. Note : do bémol. D'après
Philippe Simonnet, la cloche de l'angélus daterait de 1369.
C'est
l'ancienne cloche placée avec la permission du Roi, au dessus de la porte
Saint-Pregts, ou porte commune, pour convoquer les citoyens à l'assemblée.
Cette
cloche de Jean Jouvente est bien intéressante par son profil ancien. Bien
malheureusement, Sens ne fait pas partie actuellement du corpus détaillé
de Thierry Gonon, car il n'a pas pu monter à l'époque de rédaction.
Sans ces données de spécialiste, nous aurons du mal à déterminer
des informations fiables, d'autant plus que la dédicace au cerveau est
illisible. Il est évoqué dans certaines littératures (notamment
la société archéologique de Sens) que ces lettres ont toujours
été brouillées et que c'est un défaut de fonte. Nous
les suivons assez bien étant donné que cette cloche possède
des défauts liés à un métal fondu à une température
trop élevée, à moins que la fausse cloche n'ait pas assez
séché.
Les
cloches du campanile (même sources).
La
cloche Marie, qui sonne les heures. Fondue en 1376, par Jean Jouvente. Diamètre
150cm, hauteur 120cm, poids 7000 livres, soit 3,17 tonnes. Note : fa dièse.
Le son est brute, métallique, puissant et dénué de presque
toute harmonique. Elle semble ne pas avoir subi d'accordage. Inscription : Nomens
virgineum dico Maria meum Charle ay nom pour le roy de France VIIM et plus poyse
en balance les borgois de Senz mont fait faire l'an MCCCLXXVI et cest horloge
ouie suis mise de leur chatel a leur devise. Nous pouvons traduire plus ou moins
ce texte comme ainsi : Je me nomme Marie (littéralement : le nom de la
Vierge est le mien), Charles est le nom du Roi de France et le mien (Le Roi de
France Charles V m'a aussi donné son nom), je pèse 7000 livres sur
la balance, les bourgeois de Sens m'ont fait faire, l'an mil trois cent soixante
seize, c'est à l'horloge où je suis mise, de leur château
à leur devise. Je retraduis les derniers vers par : Et cette horloge dans
laquelle ils m'ont placé, du haut de leur château, parle à
chaque heure.
Cette inscription est
placée au cerveau, en trois lignes. Elle est en onciale assez sobre, très
bien écartée. Ca facilite la lecture. La première ligne fait
12mm de hauteur et les deux secondes 30mm. Les séparateurs sont des fleurs
de lys. On trouve quatre bas-reliefs tout à fait classiques, mais remarquables
pour cette époque : deux représentent une vierge à l'enfant,
deux autres représentent un christ en croix avec un lion au pied de la
croix.
Considérant que sa hauteur
est de 120cm sans la couronne, cela nous donne un rapport H/D de 0,8. C'est tout
à fait dans la valeur médiane des cloches gothiques, soit 0,83 (Gonon,
p214). La note de cette cloche est comme évoqué précédemment
métallique, dure, brève, avare en harmoniques, et puissante. On
notera qu'elle s'inscrit dans un cadre de très grosse cloche pour l'époque,
voire un niveau exceptionnel (Gonon, p234). Avec grand intérêt, on
notera que cette cloche a été tournée un nombre très
important de fois, de huit à dix, selon les traces anciennes de frappe
de marteau (jamais de volée).
La
cloche François. Fondue en 1377, par Jean Jouvente. Diamètre
55cm, poids 200 livres, soit 91 kg. Note : sol dièse 4. Inscription en
onciale : + Pierre ay hom frons Chanteprime C L froise ou en viron sans rime Iohan
Jouvente me fit por Sens l'an XVII M L XCCC.
La
cloche Pierre. Fondue en 1377, par Jean Jouvente. Diamètre 40 cm, poids
150 livres, soit 68 kg. Note : la bémol 4. Inscription : + Pour chanteprime
ay nom François IIC livres poise ou environ a en moin troi l'an XVII OO
CCC L X Pour Sens me fut Iohan Jouvente. L'inscription est précédée
d'un médaillon, qui pourrait être une reproduction d'une monnaie.
L'inscription est onciale, en lettres bien séparées, lisibles et
d'une hauteur de 9mm. Chaque mot est séparé par une fleur de lys.
L'inscription peut se comprendre comme ceci : Pour (la famille ?) Chanteprime,
j'ai le nom de François. [Je suppose qu'il s'agit d'une référence
à François Chanteprime, prévôt de Sens, qui était
maître à la Chambre des comptes sous le règne de Charles V].
Mon poids est d'environ 210 livres. L'an dix-sept, mille trois cent soixante,
Pour Sens, m'a fait Jehan Jouvente.
Dans sa thèse, Thierry Gonon s'interrogeait
(p221) si ces cloches étaient encore reliées à l'horloge.
La réponse est non. L'horloge mécanique est encore présente,
mais de nombreux travaux de réaffectation du campanile, notamment
l'installation d'un beffroi métallique, ont supprimé la
moindre trace de tringlerie. En un autre écrit, ce même auteur
signale : Les cloches de
Jehan Jouvente, fondeur connu par de nombreuses cloches encore existantes
(ces cloches sont nombreuses au regard de leur ancienneté: 2è
moitié du XIVe s.), portent très souvent des noms. Cela
semble aller de pair avec la signature du fondeur, que l'on retrouve également
souvent chez ce personnage. Presque toutes les mentions de noms sur la
cloche elle-même, en particulier les plus anciennes, apparaissent
dans le nord de la France. Il serait intéressant de voir si une
telle pratique est également courante en Belgique dès les
mêmes époques. La réponse est oui, c'est
une donnée assez fréquente, sans être majoritaire
(rapport de +/- 30% sur un corpus assez mal connu). Exemple : NYCLAES
ES MYNEN NAME IC WAS GHEMAECT UIT JAAR MCCCCLXVIII, en ancien flamand,
Nicolas est mon nom et j'ai été faicte l'an 1468.
Ces
deux dernières cloches ont des profils très semblables. Elles font
partie d'une tradition de fonte de cloches gothiques en tous points semblable
à la première évoquée (la cloche des heures). Les
autres cloches ont des rapports H/D de 0,77, 0,81 et outre les imprécisions
évidentes de mesure, se situent donc toutes dans un même cadre. On
peut penser que Jean Jouvente était un excellent fondeur pour l'époque.
En matière d'analyse métallurgique, nous n'avons bien évidemment
rien à disposition. Le métal est grisâtre et sombre. On notera
avec intérêt des coulures oranges et jaunes sous le cerveau. Nous
n'en déduisons rien, c'est trop hasardeux. Quant aux anses, elles sont
soignées. Elles possèdent, comme bien souvent pour cette époque,
un filet torsadé.
Conclusion
: quel univers campanaire merveilleux. Il n'y a rien d'autre à dire. Encore
merci à tous les intervenants pour leur aide. Je terminerai par une citation,
une dernière de Philippe Simonnet : A
force de réécouter ton enregistrement, le fait que tu parles des
cloches comme de deux belles, un souvenir me revient, celui d'Hubert Thomas, le
dernier clochard de la cathédrale. Pas au sens mendiant, mais celui qui
sonnait les cloches. A l'époque ou les bourdons ne marchaient plus. Avant
les grands offices, il se tenait dans le bas côté, près de
la porte de la tour, il nous arrêtait en nous demandant : « écoutez
les ! » . Sur une chaise était posé un magnétophone
dans lequel on entendait surtout de la friture !
Que ce documentaire soit à sa mémoire.