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Exploration campanaire, les cloches de Jaujac

Voici une exploration campanaire du clocher de Jaujac. Un très grand merci à Madame Henriette Tellier pour l’accueil si disponible durant l’inventaire, car au vu des difficultés, le relevé s’est un peu éternisé. Le présent documentaire est une situation avant travaux ; celle-ci sera détaillée dans cet article. Autant que faire se peut, les travaux et la situation après travaux seront documentés.

Bien que cela ne se voit pas d’office, le clocher de Jaujac est haut. On y monte par une volée d’escaliers en pierre, puis des volées successives d’escaliers en bois. La chambre des cloches est dans un état structurel parfaitement ordonné : les cloches sont accessibles, les lieux sont spacieux et propres. Des lames métalliques font office d’abat-son et sont fonctionnelles.

On y trouve trois cloches, toutes de volée.
- Une non signée, classée anonyme, datant de 1719.
- Une Burdin, datant de 1866.
- Une Paccard, datant de 1933.

La cloche Burdin émane de la fonderie de Lyon, sans grande surprise. Elle est quasiment anépigraphique et correspond à un instrument standardisé, que l’on qualifiera de « acheté en magasin ». En effet, cette cloche ne mentionne aucune dédicace spécifique à Jaujac. Elle possède le décor standardisé à stries. C’est une cloche robuste et qualitative.

La cloche Paccard émane de la fonderie d’Annecy. Elle ne possède pas la signature du fondeur, ce qui est en soi courant pour cette fabrique et cette datation. En contrepartie, on relève l’estampille du fondeur avec l’effigie de la Savoyarde. La cloche est placée dans un très solide joug arqué en acier, ce qui est fréquent voire systématique pour le rétrograde en cette période d’activité ; autrement ils font du lancé-franc avec un joug métallique à palette. Les fondeurs sont Joseph et Louis Paccard. La date ne permet pas de les différencier.

La dédicace est la suivante : (ligne 1) MARIE-ANTOINETTE-JOSEPHINE (ligne 2) REFONDUE PAR SOUSCRIPTION PAROISSIALE (ligne 3) BENIE PAR S. Exc. Mgr DURIEUX EVEQUE DE VIVIERS (ligne 4) CURE DE JAUJAC : ABBE H. HILLAIRE (ligne 5) PARRAIN : JOSEPH SAUTEL NOTAIRE (ligne 6) MARRAINE : MARIE-ANTOINETTE PIC NEE MORAND 1933. (ligne 1) A LA GLOIRE DU CHRIST JESUS (ligne 2) (J’HONORE ?) MARIE DE St JOSEPH ET DE St BONET entre parenthèse texte manquant) (ligne 3) J’ANNONCE  LES JOIES (ligne 4) JE PARTAGE LES PLEURS (ligne 5) JE SONNE TOUJOURS L’ESPERANCE.

Les anses sont coulées avec un décor de visage, ce qui rend cet instrument d’une ineffable finesse. Au vu de l’intense maîtrise de cette fonderie, on ne s’en étonnera nullement.

La troisième cloche est historique. Si nous la pensions classée à la POP, il n’en est rien. La source de confusion est l’inventaire de 1958 dans la Revue du Vivarais, qui de ce passage y voit 2 Meironet de 1719 et une Burdin de 1808. Ce relevé est archi-faux. En l’occurrence, Modeste Meironet n’était pas né à cette date.

Cette cloche date en effet de 1719. Elle est non signée. Elle est classée comme anonyme du fait qu’elle n’est pas à rapprocher des autres relevés à dates proches : Sablières, Joyeuse, Borne, etc ; pas plus qu’elle n’est à rapprocher des fondeurs de cette période : Babaudy, Millard, Chauchard, etc. Les graphies ne sont malheureusement pas concordantes. L’étude à date actuelle ne permet pas de deviner le fondeur (cela arrive souvent a posteriori un à deux ans plus tard).

L’épigraphie se caractérise par des lettres d’une esthétique totalement désastreuse, un détail frappant : des H avec une barre horizontale anormalement large, des anses curieuses formant un angle marqué. Les lettrines ne sont pas ébarbées, les matrices mauvaises, les décors d’une pauvreté forte, la robe dénonce des traces de troussage laissant apparaître le balayage. La métallurgie est inqualifiable, dans le même état que la cloche contemporaine de Notre-Dame de Thines.

Cette description peu amène n’empêche pas cette cloche d’être tout à fait estimable. Ce manque de technicité rejoint l’ensemble de ses contemporaines. Le 18e siècle voit une dégradation des maîtrises campanaires. Peu échappent à ce constat. Cette cloche est indéniablement à classer, ce d’autant plus qu’elle apparaît comme plutôt unique, et mentionnant des nobles personnes du terroir local. Elle possède un battant Paccard. Malheureusement l’ancien battant a été supprimé.

La dédicace est la suivante : (ligne 1) Sta MARIA ORA PRO NOBIS XPHORVS DE LA TOVR St VIDAL MARCHIO DV (ligne2) CHOIINES MARGVERITA DE LAVNAY 1718. Étape de nettoyage afin de faciliter la lecture : SANTA MARIA ORA PRO NOBIS - CHRISTOPHORUS DE LA TOUR SAINT VIDAL - MARCHIO DU CHOISINET - MARGUERITA DE LAUNAY 1718.

Traduction : SAINTE-MARIE, PRIEZ POUR NOUS. CHRISTOPHE DE LA TOUR SAINT VIDAL, MARQUIS DU CHOISINET. MARGUERITE DE LAUNAY - 1718.

Christophe de La Tour Saint-Vidal : est né vers 1647, et décédé le 1er mai 1728, au hameau de Laulagnet à son château, à Jaujac. Chevalier marquis du Choisinet, baron de Jaujac et de Meyras, capitaine de Cavalerie au Régiment du Roy. Le terme « Marchio » provient du latin médiéval : gouverneur de marche. On remarque que sa signature mentionne le terme unique : Choisines, ce qui rejoint assez bien l’altération orthographique de la cloche.

Marie Marguerite de Launay d'Antraigues : est née vers 1652, et décédée le 2 février 1723 à Marvejols. Elle ne semble pas avoir de lien fort avec Jaujac. Son père est originaire d’Antraigues-Asperjoc, un de ses frères est seigneur à Lachamp-Raphaël.

Ces deux personnes sont donateur pour la cloche et donc implicitement parrain et marraine. Il est proposé un classement pour cette cloche, puisqu’elle a un intérêt historique indéniable. Le fait qu’elle n’ait pas de fondeur désigné ne fait pas d’elle une anonyme à titre définitif. Elle possède des signes distinctifs. Elle pourra être identifiée en croisant d’autres cloches aux mêmes signes.

Le clocher possède une accessibilité très dégradée à la date de visite, c’est-à-dire mai 2025. Un escalier et son palier sont très dangereux. Les équipements des cloches ont des signes de fatigue importants. Deux moutons sont vieillissants, les paliers et tourillons sont dans un état d’usure manifeste, une chaîne est cassée. Les travaux vont consister à remplacer l’escalier, remplacer un mouton, descendre l’horloge monumentale pour l’exposer.

Ce que nous préconisons :
1) La cloche 1719 est assez probablement fragile au vu de sa métallurgie altérée. Nous préconisons une mesure du point d’usure, qui sans grand étonnement, pourrait être supérieur à 14%. Nous recommandons une sonnerie en rétrograde lent et faible, et donc comme prévu, le remplacement du mouton. Du point de vue de l’ordonnancement, nous préconisons de tinter les trois fois trois coups de l’angélus dessus. Elle s’accorde mal en plenum.
2) La cloche Burdin est rustique et costaude. Son mouton est usé. Nous préconisons sa suppression totale et le passage de la cloche en lancé franc. Nous pensons qu’il s’agit de la cloche idéale pour la volée de l’angélus, sonnerie la plus répétitive, un lancé franc permettrait une dynamique heureuse.
3) La cloche Paccard est en toute logique un instrument récent de grande fiabilité, toutefois son point d’usure nous a interpelé. Il conviendrait de le mesurer. Le maintien en rétrograde est indiscutablement la seule option du fait que tout changement aurait un coût élevé. Nous recommandons la programmation pour la messe : Paccard + Burdin, voir détail ci-après.

Paccard : Fa(3) pour un poids estimé de 770 kg.
1719 : Sol(3) pour un poids estimé de 500 kg ou moins, profil très léger.
Burdin : Do(4) pour un poids estimé de 210 kg.

Pour l’angélus : tintement en Sol3, volée en Do4, idéal. Sollicite peu la cloche fragile.
Pour la messe : duo Fa3 et Do4, tout à fait bon. Ne sollicite pas la cloche fragile. Fa3 et Sol3, possible et d’ailleurs bon, mais sollicite la cloche fragile. Fa3+Sol3+Do4, à savoir le plénum : disgracieux.
Pour puriste : Un Fa3+Do4 pour la messe, un Fa3+Sol3 pour le mariage.
Il est clair que le passage en lancé franc de la petite cloche serait un plus indéniable, au vu de la grande lenteur de la sonnerie actuelle, presque comparable à la cathédrale de Béziers.

La découverte d’une cloche ancienne à Jaujac n’est pas une surprise. Il appert que l’épais mystère l’entourant n’amène qu’une seule motivation, en savoir plus. Les travaux imminents vont permettre de clairement mettre en valeur et protéger cet estimable patrimoine.

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