Accueil - Urbex minier - Cloches et clochers - Ardèche insolite - Paysages sonores - Contact & achat

La maison abandonnée Tourrette

Nous avons reçu les photos d'un voyageur et nous en avons fait la synthèse historique.

Voici la visite d’un ancien domaine agricole localisé en Ardèche. Si de prime abord, on pourrait convenir que les lieux sont insipides, il s’avère que l’intérêt principal se cache dans le fait de reconstituer son historique. En effet, c’est un jeu de piste intense, basé avant tout sur un travail de fourmi. N’importe quel visiteur dirait : quatre murs dévorés d’humidité. Nous avons voulu aller plus loin.

Le domaine est intensément enfoui dans des montagnes de ronces et d’un accès catastrophiquement difficile. Cela en fait une ferme sauvage. Nous remarquons que cette colonisation est récente. Les vues de 2013 révèlent un embroussaillement quasiment nul, une boîte-aux-lettres et un portail. Aujourd’hui le lieu possède une palissade. Derrière se trouve la jungle : ronce et salsepareille.

Nous aurions pu y soupçonner la présence d’une ancienne coconnerie, un lieu de dévidage du cocon de ver à soie, et de filature de la soie. Il appert cependant qu’autour de la ferme, il ne se trouve aucun mûrier. Les locaux ne témoignent pas ouvertement d’un ancien atelier. Donc, si l’idée première apparait comme séduisante, ce ne serait pas forcément le cas. On y verrait plutôt une ferme vivrière.

Le seul et unique indice en notre possession est l’inscription manuscrite dans un livre « Étienne TOURRETTE », précisant le nom de hameau et la ville, sans plus de détails. Le livre date de 1780, l’écriture quant à elle, a une graphie largement postérieure.

L’origine du domaine

Étienne Louis Vincent Joseph TOURRETTE est né le 16 octobre 1879, à la ferme, de Louis Ferdinand TOURETTE (un seul R) et Noémie BAUZELLY. (AD ARD actes de naissances 1879).
Louis Ferdinand TOURRETTE est né le 30 avril 1856, à la ferme, de Louis Etienne TOURRETTE et Anne Lucie CHEYRON. (AD ARD actes de naissances 1856). Louis Etienne est âgé de 30 ans.
Les actes de naissances de 1825, 1826, 1827, ne mentionnent aucun TOURRETTE au hameau.
Au sein du domaine, un porche mentionne la date 1827. Assez curieusement, ce porche est situé tout en bas, et donc ni à la porte principale actuelle, ni à front de rue. Le plan de cadastre napoléonien (AD ARD 1833 section C feuillet 2)  mentionne une structure qui laisse à penser que des remaniements de bâtiments ont été constants. En tout état de cause, faire hypothèse que le domaine débute en 1827 est plausible.
Toutes les personnes précitées sont indiquées comme « cultivateur ». Cela ne ferme aucune porte, notamment celle de la sériciculture. En tout cas cela confirme la vocation de ferme, ce qui n’est pas une réelle découverte en soi.

L’évolution du domaine par les recensements

Le recensement de 1911 (AD ARD recensement 1911) liste TOURRETTE Lucie (sic), née 1853, chef, ménagère. TOURRETTE Étienne, né 1879, fils, cultivateur. TOURRETTE Paul, né 1883, idem. TOURRETTE Lucie, née 1892, sans profession. TOURRETTE Louise, née 1851, belle-sœur, sans profession. FARGIER Marius, né 1879, domestique.
Ce recensement de 1911 fait mention de la mère de famille sous le prénom de Lucie. C’est une erreur. Il s’agit de Noémie BAUZELLY. A ce titre d’ailleurs, le recensement de 1921 corrige l’information.
On notera immédiatement l’absence du père de famille, Louis Ferdinand, que nous pouvons supposément considérer comme étant décédé (non confirmé aux AD, ne possédant pas la date).
Noémie (58 ans) a trois enfants : Etienne (32 ans), Paul (28 ans), Lucie (19 ans).

Le recensement de 1921 (AD ARD recensement 1921) liste les mêmes, moins Lucie. Nous pouvons faire supposition qu’elle s’est mariée.

Le recensement de 1926 (AD ARD recensement 1926) liste Étienne, Paul et Louise (belle-sœur). Nous pouvons faire supposition que Noémie, la mère, est décédée.

Le recensement de 1931 ainsi que 1936 (AD ARD recensement 1931+1936) listent Étienne et Paul, propriétaires exploitants. Aucun autre individu n’est mentionné à la ferme.

Le recensement de 1946 ne fait état d’aucun TOURRETTE.

On pourrait avoir une désaffectation de la ferme durant la seconde guerre mondiale. A la suite de quoi, l’établissement aurait été diversement repris. L’intérieur témoigne de poutrelles-hourdis, des travaux typiques des années 90-2000 en Ardèche. Rénovation trop exigeante, qui sait ? Le domaine est en état d’abandon depuis une date que l’on pourrait estimer voisine de 2015.

Le destin TOURRETTE, un effondrement

Le domaine originel est optimiste et exaltant. Il s’agit de vastes terrains, de belles caves, des dépendances cossues. En 1911, la maisonnée fait état d’un domestique. La vie doit être plutôt besogneuse mais relativement aisée. La présence de très grosses dames-jeannes 60 litres nous fait supposer une activité vinicole, accolée à des cultures et à un verger. L’arrière du terrain possède un très gros réservoir, formant une mare assez dangereuse d’ailleurs.

Lors du recrutement militaire (AD ARD classes 1887-1921) Etienne est décrit : cheveux châtains, yeux marrons, front moyen, nez ordinaire, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, taille 1m73. On ne peut plus ordinaire. Il sait lire et écrire.

Il est décrit de la sorte « séquelles de confusion mentale chez un éthylique chronique ». Il est mentionné le terme « scrofulose », que nous pourrions être tenté de définir par : moralement contaminé. Plus bas, il est encore mentionné « 1916 troubles mentaux, hôpital militaire de Marseille » « interné du 10 août 1915 au 20 juin 1916 ».

De cela, nous pouvons tout simplement déduire qu’Étienne vivait un alcoolisme chronique. C’est sans surprise que nous relevons qu’il ne s’est jamais marié.

La lignée TOURRETTE est allée vers un effondrement. Aucune sépulture TOURRETTE n’est visible au cimetière de la ville concernée (relevé du 29 novembre 2011), alors que nombre d’autres sépultures mentionnent des dates de naissance antérieures à 1879. Ceci n’exclut pas une reprise de concession, ceci étant. Le monument aux morts ne mentionne aucun TOURRETTE.

Il ne subsiste plus aucune trace de cette famille, sauf cette inscription filiforme dans un vieux livre. En guise de conclusion, « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière », Genèse 3:19.