Cet
article explique comment calculer le profil d'une cloche.
Ca fait longtemps
que c'était nécessaire, notamment parce que ce site développe
peu à peu des questions basiques de théorie campanaire (uniquement
destinées à une simple mise en pratique), et diverses erreurs accumulées
dans les documentaires m'ont poussé à répondre à cette
interrogation qui n'est pas anodine. Après avoir étudié le
son d'une cloche et les différents
modes de volée, nous allons nous pencher sur cette question, ainsi
que sur quelques détails y afférant. Cette étude a été
initiée par Christophe, dont
son blog et ses vidéos sont un enthousiaste relevé campanographique
des cloches de Bourgogne (merci à lui !). La base de l'étude quant
à elle provient de l'analyse d'Hervé Gouriou, dont notamment son
livre : l'art campanaire en occident,
histoire, facture et esthétique des cloches de volée.
Les bases
La cloche est un élément musical, qui possède des mesures physiques aux noms normalisés. On appelle le diamètre la dimension de la bouche, elle se mesure de bord à bord. C'est très simple et intuitif, si ce n'est qu'en pratique, il est parfois difficile de mesurer seul, vu la nécessité d'écarter le battant placé dans la course du mètre. On appelle tangentielle la mesure, réalisée toute droite, de la bouche au cerveau. En tangentielle, on ne mesure jamais la couronne. On le peut, mais la couronne n'est pas un élément musical. C'est donc en principe inutile de la mesurer, c'est un caractère esthétique. Parfois, on mesure la circonférence, mais c'est de peu d'intérêt parce que le diamètre permet de l'avoir. En dernier lieu, on mesure l'épaisseur à la pince. La pince est le lieu du point de frappe, du battant ou du marteau. C'est le morceau le plus épais de la robe. Cette épaisseur est importante. On l'appelle le bord. Dans le milieu campanaire, ainsi, on dit par exemple qu'une cloche a 12 cm de bord.
Le bord ne se mesure pas à la règle sous la cloche, dans la partie légèrement inclinée du dessous, qui s'appelle la patte. Cette mesure serait légèrement fausse. Le bord se mesure au compas. Les pointes du compas permettent de mémoriser l'épaisseur au point le plus épais, et ensuite la mesurer à la règle. Ce compas peut poser des problèmes pour les bourdons, parce qu'il faut un grand instrument de mesure, ce qui n'existe normalement pas dans un milieu scolaire. Il faut bien entendu veiller à mesurer ailleurs que sur le point de frappe du battant, car en cas d'usure avérée, ce point de frappe peut être creusé.
Ce qui peut déstabiliser une personne qui n'est pas passionnée de cloches, c'est le profil. En effet, plusieurs cloches ayant le même diamètre peuvent ne pas avoir la même note, et par corollaire, pas le même poids. Des cloches de même poids peuvent avoir des notes très différentes. Comme l'explique Cornille-Havard : On peut faire des cloches donnant la même note avec des cloches dont le poids peut varier du simple au double en fonction du rapport épaisseur sur diamètre du tracé. Dans le même ordre d'idée, on pense que plus c'est lourd plus la note est grave, or des cloches plus lourdes peuvent avoir des notes plus aiguës. Ca peut paraitre absurde au premier abord. Qu'est-ce qui joue là-dedans ? C'est le bord, c'est le profil, c'est l'épaisseur, ce qui est à quelques détails près la même chose.
Comme le dit Christophe, et pour le citer, le profil d'une cloche s'exprime en bords. Il est le résultat d'une division du diamètre de la cloche à la bouche, par l'épaisseur de la zone de frappe. Le bord ainsi calculé va définir le profil de la cloche. Nous reproduisons sa nomenclature ci-dessous :
Si le
bord est supérieur à 19, c'est une cloche en profil ultra léger.
Si
le bord se situe entre 15 et 19, c'est une cloche en profil léger.
Si
le bord se situe entre 13 et 15, c'est une cloche en profil moyen.
Si le bord
se situe entre 9 et 13, c'est une cloche en profil lourd.
Si le bord est inférieur
à 9, nous aurons une cloche en profil ultra lourd.
En résumé donc, une cloche en profil lourd est un instrument robuste. C'est une cloche qui de manière caricaturale, ou disons plutôt exagérée, a un petit diamètre pour une grande épaisseur de métal. En contrepartie, un profil léger a un grand diamètre et une faible épaisseur. Le profil léger est plus fragile. A vue d'oeil, il n'est pas forcément évident de déterminer le profil de la cloche. Même en tant que spécialiste, ce n'est pas intuitif, ce ne sont pas des données physiques qui sont exagérément visibles. Seules des mesures permettent d'avoir le coeur net.
Pourquoi existe-t'il des profils ?
Pourquoi n'y a-t'il pas un seul profil ? Après tout, ce serait tellement plus simple... La réponse tient en plusieurs aspects cumulés, que nous allons développer.
* Les fondeurs développent leur profils, ou plutôt leur(s) profil(s). Ainsi, ils peuvent répondre aux besoins d'un client, ayant besoin d'un lourd ou d'un léger. Chaque fondeur calcule un profil qui lui est propre, ce qui constitue une signature sonore. C'est comme en musique, certains font du rock, d'autres de la techno. Chacun construit une spécificité. Si chaque fondeur développait un même spectre sonore, ce serait triste. C'est ainsi que les fondeurs peuvent rester assez secrets sur leur profil (et donc sur leur planche à trousser, par exemple), parce que cette simple planche constitue la signature sonore de leur ouvrage. Certains fondeurs un peu plus anciens, Osmond pour en citer un, sont restés strictement secrets sur ce profil. Normalement, vu cette signature sonore, un fondeur de cloches sait reconnaître son instrument en clocher rien qu'en l'entendant.
* Si cet aspect lié au fondeur est indéniable, il faut bien voir que ce n'est pas tout. Le profil est lié à une nécessité physique. Comme on l'a vu dans l'article sur le son d'une cloche, pour une même note, une cloche en profil lourd sera plus puissante qu'un profil léger. Elle aura donc une voix plus forte.
Or, on sait aussi qu'une petite cloche, 40 kg par exemple, émet beaucoup moins de bruit qu'un gros bourdon, 7000 kg par exemple. C'est normal, c'est physique, c'est la différence entre un petit et un grand instrument. Or, dans notre culture européenne, les cloches sont placées ensemble en sonnerie. Il y a donc une nécessité d'équilibrage. Cela signifie qu'on a tendance à monter le profil des petites cloches en lourd ou ultra lourd, afin qu'on les entende bien dans une sonnerie comportant d'autres plus grandes cloches.
Comme l'explique Cornille-Havard : La solution moderne pour le profil de cloches consiste à choisir un profil d'autant plus lourd que l'on monte dans la gamme. C'est un concept que nous avons été les premiers à développer. Il permet d'obtenir des volées superbes, bien équilibrées avec des cloches aiguës puissantes qui ne sont pas éclipsées par les cloches graves de la sonnerie. C'est encore plus indispensable dans le cas des carillons. Dans le cas de notre proposition nous avons retenu une progression désormais classique d'un demi-bord par ton.
Après, les choix sont des question de budget d'une part, et historique d'autre part - ces deux aspects cumulés compliquent tout. En effet, pour une même note, un profil lourd sera plus cher, vu la quantité de métal mise en oeuvre. De plus et c'est l'autre aspect, il faut souvent s'adapter à une situation existante. Le remplacement ou l'ajout de cloches ne s'effectue que par l'analyse de la situation pré-existante. Du coup, il n'y a pas toujours une liberté totale quant au choix du profil, des concessions ou des choix cornéliens sont nécessaires.
* Historiquement, le premier tracé de profil qui est connu par dessin provient de Ghiberti Bonoccorso, en 1450. Cela ne signifie pas que les cloches antérieures n'avaient pas de recherche sur le profil. Ce serait même d'ailleurs entièrement faux, vu les cloches gothiques antérieures à 1450 très évoluées qui peuvent exister, notamment en Allemagne. Les dessins de Bonnocorso ont pour mérite de nous montrer ce qui se faisait à l'époque. Ce dessin fut appelé l'échelle de Bonnocorso, on y voit les éléments essentiels qui sont encore en usage aujourd'hui, à savoir le compas, l'équerre, le gabarit et la planche à trousser. Dans Le graphisme technique, son histoire et son enseignement (Yves Deforge), l'auteur explique que cette échelle a été complétée par un certain Biringuccio (qui nous est inconnu), en 1550, dans un document appelé "la pyrotechnie".
En réalité, le plus grand descripteur des profils a été Philippe Cavillier, en 1732, ce que nous avons eu l'occasion de décrire dans un article sur les cloches de la cathédrale d'Amiens (non consultable sur ce site). Dans son texte "L'art des fondeurs de cloches", référencé 1-J-3893 aux archives départementales de la Somme, et (re)publié en intégralité dans un livre fort intéressant, Cavillier esquisse, trace, explique, les manières de tracer un profil.
A ce titre, notons que Diderot explique aussi le tracé d'un profil, dans son Encyclopédie, 1ère édition, tome 3, page 540, en 1753. Que ce soit Bonnocorso, Cavillier ou Diderot, les modélisations sont proches de ce qu'on effectue aujourd'hui. Le fondeur de cloches de nos jours effectue un métier ancestral. Citant Blanchet, Yves Deforge explique que cette recherche a été empirique, elle est arrivée dans une certaine forme d'aboutissement : Ces modèles sont exécutés à l'aide de profils, tracés par nous en tenant compte de l'expérience, expérience qui nous a permis de trouver des profils assurant les qualités harmoniques désirées.
Cette brève description historique a pour but de définir le tâtonnement qui a pu exister durant des siècles, expérimentations qui ont pu donner des cloches merveilleuses d'ailleurs. Au 20ème siècle, les recherches se sont axées un peu plus précisément sur le carillon. En effet, nécessairement, l'instrument exige des cloches accordées entre elles, sous peine d'être considéré comme une grosse casserole. Comme évoqué dans l'article sur les modes vibratoires des cloches, les premières analyses techniques ont eu lieu en 1935-1936. Ces recherches ont pris toute leur importance, car plus qu'ailleurs, un carillon est parfois la conception entière et simultanée d'un instrument comportant de nombreuses cloches. Il est un peu moins fréquent de constituer une sonnerie de volée d'un seul tenant. C'est ainsi qu'on été crées les profils progressifs. Les profils progressifs ont été inventés par Paccard, en 1937. Ces profils permettent de donner une intensité sonore voisine à deux cloches distantes de 4 octaves.
Conclusion : La table passée en bleu dans le texte constitue une base essentielle afin de définir le profil de la cloche mesurée. C'est passer derrière le fondeur, afin de reconstituer une analyse sonore de la fonderie. Puisse cette table permettre de ne plus dire de bêtises à propos des profils !