La cimenterie abandonnée
Nous avons reçu les photos d'un voyageur et nous en avons fait la synthèse historique.
Cette cimenterie, j’avais eu le souhait d’y accéder en 2005. C’était du temps où nous avions visité les galeries souterraines de ciment qui alimentaient ce fol outil industriel.
Il y a 18 ans donc ni plus ni moins, au devant de cette magique cimenterie encore intacte à l’époque, deux toutous du genre plutôt épais, m’ont accueilli en politesses de rigueur. Description des cerbères : rottweiler noir au WAWA caverneux intense, profond et rauque, des dents comment dire pointues et très très aiguisées ; ils doivent prendre du dentiste exprès ces mecs là, c’est pas possible. Dentiste pour chien si si je vous le dis !
Du coup, je prends mon téléphone mobile, installe google traducteur, et je fais écouter les paroles WAWAWAWA rauques à la machine. J’ai compris m’énonce-t-elle. Ils disent : si tu entres, je te découpe aussi fin que du thé rooibos. PS : espèce de TRULULU !!!! Carrément. Un peu déçu, la cimenterie fut finalement partie dans les tréfonds de la mémoire, dans la case frustration.
Depuis, des légions de *ce mot a été censuré afin de garantir votre sécurité* sont passées. Cette fois-ci, ils n’ont pas réussi à casser. Non, le béton et l’acier auraient demandé trop d’efforts. Par contre ils ont tout salopé de tags hideux, fait du base jump, du slackline (funambulisme sur une corde), du parkour (sauter de manière dangereuse de bâtiment en bâtiment). De grand talent, ils ont organisé un accident grave en 2019.
Depuis du coup, des gardiens veillent très gentiment à notre sécurité de petits cœurs tendres adolescents prépubères. J’ai eu peine à le croire. Là-dedans ? Mais pour défendre quoi ? Toutefois j’ai vu que les clôtures avec du concertina sont soigneusement rebouchées, que les allées témoignent parfaitement de la circulation de véhicule à l’intérieur. Défendre quoi ? Tout simplement que l’imbécilité n’aille pas trop loin. Ils en sont responsables, c’est la loi. Débile ou pas, c’en est ainsi.
Du coup, j’ai eu un mal fou à entrer dans le site. Sincèrement pour moi qui suis expérimenté, je ne m’attendais pas tellement à ce genre de configuration. Et puis, je suis resté discret. Bien sûr je préfère visiter à 6h30 le matin, considérons simplement qu’ici, le moment n’était pas propice à cela.
Je pressentais que ce site allait être purement catastrophique au vu du vandalisme, mais j’ai été favorablement touché par le fait que c’est encore joli. Disons qu’il s’agit surtout de la monstruosité gigantique de l’outil industriel.
La cimenterie a été créée en 1873 et a fermé en 1987. On y trouve une succession d’exploitants. Cela explique en outre la diversité d’installations, qui en lieu et place de rénovations, sont venues plutôt se superposer. A la fin, on se trouve comme à l’Intermoselle, en présence d’un énormissime tentaculaire four rotatif alimenté en fuel. Pas évident à prendre en photo. Noir blanc contrejours machins comme ça, mais que d’immensité tout de même.
La sortie a été encore plus dure que l’entrée, un vêtement y est décédé. Ca reste globalement un site à considérer comme dangereux : vétusté des caillebotis, des tôles perchées dans un état peut-être incertain, des gros trous dans le béton. Des précautions sont indispensables.
Après reste l’énigme : pourquoi n’est-ce pas démoli ? Le gardiennage coûte une fortune, les aventureux y entreront de toute manière encore et encore. Il se promène une rumeur fantasmagorique : le propriétaire de l’époque aurait fait donation de l’usine au propriétaire actuel, à condition qu’elle ne soit pas démolie durant cent ans. Cela ressemble à un conte de fées tout droit sorti de Grimm. Il est à penser que la masse de béton est telle, c’est peut-être ultra-coûteux de démolir, tout simplement.
En effet, on se demande si tout le ciment qu’ils ont sorti de dessous-terre, il n’a pas finalement été englouti dans la construction de l’usine ! C’est une masse titanesque qui domine férocement la vallée. Quel avenir pour le lieu, aucune idée j’avoue. Pas grand monde ne doit le savoir d’ailleurs. Ca vit les étés les hivers, puis ça deviendra une ruine urbaine comme tant d’autres.
En repartant je me suis rendu au cimetière de cette petite ville alpine. J’ai cherché la tombe des deux toutous, puis j’ai trouvé. J’ai déposé deux ossements (humains, je le précise) en guise de don, pour m’excuser de ce que j’ai pu leur faire, odieux Trululu que je suis. Et puis, je suis parti de là – probablement pour toujours – en rangeant une ancienne frustration néfaste dans la cave des oublis. PS : WAWAWAWA !