La maison de Jeanine et Claude
Voici la visite d’une maison abandonnée dans le département de la Haute-Loire. Elle est localisée à 200 mètres d’une route fort passante. En contrepartie, si elle n’est pas indiquée par quelqu’un qui connait, elle se révèle pour le moins excentrée, et donc difficile à localiser. Il reste malgré tout et bien malheureusement qu’elle a été sauvagement retournée pour du vol. Tellement classique… Je remercie Vincent Mouton-Noir de nous avoir donné la localisation de cette maison.
De cette habitation, comme d’habitude, nous ne savons rien. Le parcours historique de cette famille nous est mystérieux. Je vais exposer ce que j’ai pu comprendre ou ressentir. Il en reste que cette histoire de famille reste éminemment personnelle et fragile. Dès lors, il faut bien comprendre que j’aborde ce récit de vie avec un immense respect.
Cette maison peut assez logiquement faire partie des logements d’une usine. Tout laisse à penser qu’il s’agit d’un corps d’habitation dédié au personnel. Il s’agit de deux maisons en fait, toutefois l’une des deux est abandonnée depuis très très longtemps. L’intérieur est vide et les planchers sont en large partie effondrés. C’est un habitat plus ou moins malcommode. Il n’y a pas d’entrée à la rue. On entre par l’arrière, arrivant directement sur un escalier. En gros c’est une maison un peu à l’ancienne. Le voisin, c'était Franco, qui en 1986 d'après Fabienne (elle avait 12 ans) était bête comme une poule.
En ce lieu ont habité Jeanine, son mari Claude, le fils de Jeanine Loïc.
Voici ce que nous savons. Jeanine est née du nom V. Elle provient du village de Saint-Préjet-Armandon. Elle est née le 19 juillet 1945 et décédée le 23 mai 2012 à l’âge de 66 ans. Elle a eu un fils, Loïc V., qui d’après les lettres, pourrait être né en 1971 ou 1972. Elle a eu une soeur, localisée à Bruxelles. Elle travaillait à l'ambassade de France et déclare comme adresse le numéro 179 avenue Louise à Ixelles. Cette adresse n'est pas celle de l'ambassade, laquelle est située rue Ducale, c'est donc un appartement. Avant son mariage, Jeanine habitait à La Carielle (sur les courriers) ou La Carrielle (sur Google Maps) à Saint-Préjet-Armandon. Il s'agit d'un groupement de quelques habitations (deux ou trois).
En 1972 et 1973, elle reçoit depuis l’Ariège un nombre colossal de lettres de la part de Claude G., qui souhaite la prendre comme épouse. Les lettres sont infiniment répétitives, mais démontrent en tout cas que Claude désirait absolument vivre avec Jeanine et accueillir Loïc dans sa vie. Claude et Jeanine se sont mariés, Jeanine est dès lors devenue Jeanine G. En un temps, les courriers de Claude sont adressés à Jeanine, chez Marie-Louise V., 4 avenue Carnot à Biarritz. Il s'agit d'une maison au centre-ville de Biarritz.
Claude est né le 30 mai 1940 à Pamiers en Ariège et décédé le 3 décembre 2020 à Saint-Amant-Tallende dans le Puy-de-Dôme, à l’âge de 80 ans. Avant de s'unir à Jeanine, il écrit comme adresse le hameau de Lafitte à Escosse en Ariège. Il s'agit d'une seule et unique maison : cela se situe à deux pas de Pamiers. Fait étonnant, la maison que nous visitons aujourd'hui comporte des œufs périmés en 2011 et quelques autres aliments périssables à la même année. Dès lors, la maison a-t-elle été vide d’occupant dès le décès de Jeanine ?
Il semble que ces gens là ont eu la vie dure, ou tout du moins le destin ne les a franchement pas épargnés, car nombre de courriers les voient séparés. Ces séparations pourraient provenir en tout ou partie d’hospitalisations, l’un comme l’autre d’ailleurs, car Claude se voit placé en hospi plusieurs fois et trouve le temps long. En tout état de cause, Jeanine a été fragile, des documents témoignent qu’elle était reconnue comme une personne handicapée.
Loïc le fils de Jeanine a pris comme compagne ou épouse Laurence. Ils ont eu pour enfants Célia et Elsa. Quelques photos nous montrent Célia nouveau-né. Loïc a été en maternelle à Saint-Préjet-Armandon, en primaire et collège en Haute-Loire, en lycée professionnel à Commentry près de Montluçon.
Les photos témoignent que Jeanine et Claude avaient un amour des animaux : les poussins sont soignés dans la maison parfois, ils accueillent un corbeau en soins. Aussi, il est à penser que de nombreux chiens étaient présents sur place. A cela s'ajoute qu'ils vendaient des chiens à des proches. Les photos anciennes de Jeanine la voient avec une machine à écrire ; peut-être se destinait-elle à être sténodactylo.
Certaines lettres écrites ou reçues laissent à penser que Jeanine vivait une tristesse gigantesque, les dernières années, elle était en pleurs au téléphone. Sur certaines photos, elle me fait penser à une petite grand-mère qu’on a tellement envie de CHOUCHOUTER. Pas d’autre mot. Y’a combien de mélancolies comme ça ? On circule, on passe devant, à pied ou en voiture, dans le fond on ne sait pas. C’est fragile. Jacqueline lui déclare le 12 septembre 1997 : ne te laisse pas aller à la déprime. Tu es encore si jeune et les tiens ont besoin de toi. Dans le même temps, sa maman ne va pas bien du tout.
Nous avons cherché la sépulture au cimetière du village, en vain. C’est peu de temps après que nous avons découvert qu’elle est inhumée à Saint-Préjet-Armandon. Logique. La maison natale de Jeanine est à Saint-Préjet de même, à La Carrielle. C'est devenu aujourd'hui l'implantation d'un entrepreneur de menuiserie métallique.
La tombe est très entretenue et démontre l'amour de la famille. Ce qu'on y apprend : Jeanine et Claude sont inhumés ensemble, il n'est pas à Saint-Amant. Ses parents probables : Alphonse et Marthe. Les parents de Jeanine vivaient à La Carielle. Sa soeur probable : Edith. Pas de trace de Denise. Ce serait une cousine ? La fille de sa sœur ? Encore un mystère. Denise a été nommée Chevalier de la Légion d'Honneur en 1997 après 45 ans de loyaux services auprès des ambassades. La dernière était Les Philippines.
Je crois bien qu’ils ont eu la vie dure, mais qu’ils se sont beaucoup aimés. Claude était un très grand fumeur au regard assez fermé, il donne des mots de tendresse à sa petite blonde. Il témoigne, j’ai peur des orages, les éclairs sont violets. J’aurais moins peur si tu étais là, cela fait toute la soirée que ça dure. Un autre papier, tu n’es pas là, je ne peux pas te dire fais-moi un café, tu me manques. La cafétière est encore là aujourd’hui, orange années soixante-dix, dans le coin de la cuisine. Tout est immobile, nous sommes témoins de ces vies aujourd’hui silencieuses, éteintes, oubliées aussi.
Dans ce documentaire, la photo de Jeanine avec un inconnu, elle est de profil : on croirait la connaître, on la ressent toute proche, de notre famille pour ainsi dire. Qu’est-il arrivé en fin de compte, nous ne le saurons jamais. En tout cas notre documentaire montre notre émotion d'avoir visité cette maison, que cela soit en honneur à cette petite famille.
A gauche, c'est Laurence, la femme de Loïc.
L'inconnu à droite est Roland, un ami qui habitait en face de l'ancienne maison.