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La maison à Victorine

{ Je remercie l’ami Xavier, sans qui rien de tout cela n’aurait été possible ;
Préambule. Nécessaire. La maison l’on passe devant sans la remarquer. J’ai fait d’ailleurs, jusqu’au demi-tour après le téléphone – Xavier l’ami m’a aidé en de nombreux points clé et/ou épineux de mes voyages d’urbex. Souvenir précieux, même petit, mais précieux. }

{ Propos : Je m’appelle Victorine. Je suis née le 6 janvier 1891 et je suis décédée le 21 mars 1973, les deux dans le même patelin. C’est tout. Point barre. Basta. A toute personne bien intentionnée voulant en savoir plus, allez voir ailleurs ou bien même encore ailleurs d’ailleurs, car ma vie terne est vide, je ne savais pas écrire. }

{ Postambule. Nécessaire. Je
Suis née dans un patelin sans intérêt aux relents grisâtres de campagne morbide aux traits glauques, aux bordures d’un fleuve longuement contemplé durant mes temps d’enfance. C’étaient mes jours heureux, mes parents agriculteurs, moi-même destinée à cela de facto sans trop le choix. Agriculteur on dirait plutôt paysan d’une paysannerie de petite subsistance, mais de vos jours modernes que je contemple, mes yeux morts, vous ne savez même plus ce que c’est. On fait tout pour nous même et c’est dur, mais bon après vous le devinez bien. }

{ Tu
As trouvé mes photos, les dernières de mon regard heureux. Tu as posté sur tes-trucs-modernes pour demander quel âge je pouvais avoir, tu as fait la moyenne des réponses, 17 virgule 61 ans que ça dit. Tu as demandé à tes jeunes amis Lukas et Alicia, 16 ans qu’ils disent, reconnaissant mon visage comme l’une des leurs. Mon chien s’appelle Jaquin et il bave. }

{ Je
N’ai jamais voulu me marier. Sauvage, revêche, fuyante à foison et pourtant le regard paisible le caractère fort, reste le pas trop le choix, mais l’abject refus qui a déçu tant au-delà mon père Louis – puis il est décédé un peu plus tard, mais on s’en doute et c’est dans l’ordre des choses – mais voilà si cela doit être écrit, en vérité toute corps et âme j’étais en opposition violente, malgré mon regard doux je sais : non jamais. Jamais mariée et bonne à rien, mon chien Jaquin qui bave. Il était peut-être un temps pour cela, à l’aube de mes 23 ans la guerre a éclaté, tous les hommes sont partis au front, la pauvreté nous a sauté à la figure. Mon frère Anselme est mort là-bas. Puis c’est ma mère Marie qui est décédée. }

{ Tu
As alors parcouru ma maison dans tous les sens. Je suis morte depuis un demi-siècle d’années d’oublis et toi là… te voilà qui débarque dans la baraque abandonnée tu as grimpé même dans le grenier, personne n’avait foulé le plancher depuis cinquante ans. Je ne sais même pas si je t’en veux, j’ai résisté au mariage tout ce que j’ai pu, et toi qui vient partout comme un furet, de quelle curiosité, pourquoi ? Qu’ai-je été ? Tu as trouvé les balles de carabine, tu as compris que j’étais chasseur ; tu as trouvé le vieux café pétrifié au fond de la boîte, tu as compris que j’étouffais de pauvreté dans mon village gris, je ne t’ai rien demandé, je suis crevée depuis des lustres et tu es là. }

{ Je
Sais que lorsque le Jaquin est parti c’était un peu le dernier rempart de la solitude qui se formait, j’ai toujours été seule, le cheveux noir épais, le photographe on avait payé son passage un pont sur le fleuve, on n’avait pas les moyens mais le père avait absolument voulu – est-ce cela qu’aux confins de vos urbex, vous vous accrochez à mon souvenir ? Je suis décédée à 82 ans, rabougrie, accrochée à ma maison croulante sans intérêt, sombre mon village gris. Personne. Y’a eu personne à mon enterrement, puis je m’en fous en réalité. }

{ Tu
As trouvé mes chaussons, oui je sais que tu as contemplé 50 ans d’abandon au pied du lit, mais voilà tout c’était là quand je suis crevée et ça n’a plus bougé : une sacrée poussière incrustée dans le tissu, dégueulasse. Tu as vu que j’avais des petits pieds. J’ai entendu tes pas ressenti ta présence, et quand tu es venu au cimetière, j’ai été bouleversée car jamais personne ne s’était intéressé à moi, j’étais simplement une un-peu-rageuse aigrie mais surtout une taiseuse, une rabougrie qui a vécu seule dans l’antre sombre, attendant la mort comme une délivrance, ou tout du moins comme un soulagement. Puis tu as acheté ma tombe. J’ai rien compris. Mais j’ai laissé faire. }

{ Postambule.
D’un nous qui ne ressemble plus à rien de compréhensible, toi l’inconnu, moi la morte ; voilà que tu balayes ma tombe quand tu passes dans le coin et que tu passes un coup de percarbonate de soude, qui sommes-nous pour mériter ça, nous la famille des décédés ? Mon nom ne figure pas sur la tombe, tu as même embêté la mairie avec ça. Nous ne sommes rien que des parcelles d’étoiles dans un infini d’indifférence, un éclat de lumière infime dans un gris omniprésent. La maison finira de crever toute seule, c’est logique, il aura fallu cinquante ans d’oubli – fantôme en errance de destin solitaire – pour que cette histoire émerge, minuscule mais combien utile. Nous nous devons de dire merci, l’un comme l’autre, c’est le dernier mot qui reste. }

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